ECLAIRAGE - A l’origine du nouveau coup de théâtre dans cette affaire qui a déjà connu de nombreux rebonds judiciaires depuis 2013, la saisine du Comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies replace au cœur des débats la notion même de handicap. Mais que dit la loi en la matière ?
"Les parents de Vincent Lambert se sont retournés vers ce comité qui s’occupe des personnes handicapées, et non des personnes en état végétatif." Le 4 mai dernier, Agnès Buzyn, réagissant à un avis du Comité des droits des personnes handicapées (CDPH) des Nations unies, semblait elle-même distinguer la situation de ce patient tétraplégique en état de conscience minimale depuis 2008, de celle d’un patient en situation de handicap.
Une situation occulte-t-elle l’autre ? Certains experts, comme Me Noémie Saidi-Cottier, membre de l'Alliance des avocats pour les droits de l'Homme (AADH), concèdent qu’au fil des années, et à mesure que l’affaire est devenue un symbole du débat sur les soins de fin de vie, la notion de handicap a petit à petit été relayée au second plan dans ce dossier. "Je reconnais qu’avant l’avis du CDPH, je n’avais moi-même pas assimilé ce cas précis à un cas de handicap", confie l’avocate qui s’est dite surprise par la récente saisine de l’instance onusienne, évoquant un "recours ingénieux" sur le plan juridique.
Un énième rebondissement qui invite à se pencher sur la définition légale du handicap et à se demander en quoi ce statut juridique de personne handicapée peut changer la donne dans un dossier qui a déjà connu de nombreuses péripéties judiciaires depuis 2013.
Que dit la loi ?
"C’est avec la loi du 11 février 2005 que, pour la première fois, le droit français a posé la définition de ce qu’est un handicap d’un point de vue juridique", rappelle Alexandra Grevin, avocate spécialisée en droit du handicap. Ainsi, selon l’article L114 du Code de l’Action sociale et des familles, "constitue un handicap (..) toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant."
Pour rappel, depuis un grave accident de la route, survenu en 2008, et le profond coma qui s’en est suivi, Vincent Lambert est atteint de tétraplégie, à savoir une paralysie des quatre membres qui se classe dans la catégorie des handicaps moteurs. Mais ce drame l’a aussi laissé cérébrolésé, un handicap "invisible" mais avec des troubles cognitifs "irréversibles" dans ce cas précis.
Deux conceptions qui s'opposent
Vincent Lambert, malade en fin de vie ou handicapé cognitif ? C’est tout le débat, loin d’être clos, qui oppose depuis six ans les proches du patient. D’un côté, le clan de l’épouse Rachel et du neveu François, qui souhaitent mettre fin à ce qu’ils décrivent comme de l’"acharnement thérapeutique". De l’autre, le clan des parents, fervents catholiques opposés à l’arrêt des soins, dont la défense considère que les lois Leonetti et Claeys-Leonetti, s'appliquent aux personnes malades ou en fin de vie, non à une personne handicapée. "Nous prétendons que si Vincent Lambert est un jour malade ou en fin de vie, il n’y aura pas de difficulté pour arrêter ses traitements, mais tant qu’il n’est que handicapé et qu’il n’est pas malade ou en fin de vie, il n’y a pas du tout de raison d’arrêter son traitement, et ce traitement doit continuer à défaut de quoi il y aurait une discrimination à l’égard d’une personne handicapée", a expliqué Me Paillot sur les ondes de la radio canadienne, LCN.
Engagée en justice à leurs côtés, l’Union nationale des familles de traumatisés crâniens, insiste elle aussi sur le "handicap" de Vincent Lambert, tout comme une soixantaine de médecins signataires d’une tribune intitulée "Laisser mourir, faire mourir ou soigner ?" publiée dans Le Monde 20 mai dernier. "Vincent Lambert n’est pas en fin de vie. Il est en grave situation de handicap et n’a aucune assistance externe de fonction d’organe vital (poumons, cœur, reins)", écrivent-ils, insistant sur la difficulté pour les médecins d’analyser l’état de conscience d’une personne.
Des juristes partagés
Pour rappel, la dernière expertise, menée en novembre 2018, et au cœur du débat, fait état d’"atteinte encéphalique sévèrissime" interdisant à ce patient "tout accès à la conscience de son être et de son environnement" et le dépossédant "de tout ce qui constituait sa personnalité".
Chez les juristes, bien que spécialisés sur le sujet, la question est également loin d’être tranchée. "Est-ce qu'on se trouve véritablement dans un cas de défense d’une personne handicapée ? La question se pose", concède Me Noémie Saidi-Cottier. "Je n’ai pas l’impression que la question du statut de personne handicapée fasse débat, par contre toute la question est de savoir si on est justement dans un état de la conscience maintenue", souligne de son côté Me Alexandra Grévin. Et cette dernière de poursuivre : "Si j’étais l’avocat des parents de Vincent Lambert, il est évident que le fait de démontrer sa situation de handicap tout en axant sur le fait qu’il n’est pas en fin de vie a du sens pour justifier le maintien des soins d’une personne qui n’est finalement pas en situation de grande souffrance."
Le statut de handicapé "hors-sujet" ?
Pour Pascale Ribes, vice-présidente du Conseil français de personnes handicapées pour les questions européennes (CFHE), "faire prévaloir le handicap dans cette affaire revient en quelque sorte à priver le patient de certains droits fondamentaux dont celui de mourir dans la dignité". Un contresens estime celle qui rappelle le comité de l’ONU récemment saisi est justement chargé de garantir le respect d’une "convention qui prône le respect des libertés fondamentales des personnes handicapées dans tous les domaines de la vie quotidienne sur la base de l’égalité avec les autres".
Et de conclure : "Imaginez qu’on ait un traitement diffèrent en matière de droit à la vie pour les personnes en situation de handicap… Vincent Lambert est avant tout une personne avant d’être une personne en situation de handicap. C’est d’abord un sujet de droit, pas un objet de soins et à partir de là il convient de se demander : comment fait-on pour le restaurer dans sa dignité d’être humain à part entière, comment respecter au mieux ses volontés ?"
De l’avis des uns et des autres, une chose est certaine en tout cas, le jugement sur le fond du Comité des droits des personnes handicapées, s’il a lieu, devrait de nouveau donner matière à alimenter les débats autour de la fin de vie qui ne trouvent pas de réponse ferme et définitive.
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