Selon le ministre de l’Intérieur, les plaintes pour violences conjugales sont devenues systématiques.Des consignes ont été passées pour abandonner les mains courantes.Une plainte n’entraine pas nécessairement un placement en garde à vue et encore moins des poursuites judiciaires.
Invité de France Inter mardi 25 janvier, Gérald Darmanin a mis en avant les moyens pris dans la police envers les femmes victimes de violences. Alors que déjà dix femmes ont été victimes de féminicides depuis le début de l’année, le ministre de l’Intérieur a vanté une meilleure prise en charge des victimes de violences au sein de leur foyer : "Les femmes qui désormais sont psychologiquement ou physiquement atteintes par leur compagnon déposent plainte systématiquement, il n’y a plus de main courante. Systématiquement, il y a désormais des gardes à vue, c’est ce que nous demandons avec le Garde des sceaux, systématiquement il y a des poursuites judiciaires".
Des mains courantes abandonnées en août
Selon Gérald Darmanin, le dépôt de plainte interviendrait donc, à sa demande, dans 100% des cas. Et ce dépôt de plainte permettrait des gardes à vue et des poursuites, là aussi systématiques. Le premier argument avancé par le ministre est que la main courante a disparu au profit du dépôt de plainte. Pour prioriser les dénonciations de violences conjugales dans les commissariats, la place Beauvau a ainsi demandé l’été dernier aux policiers de proscrire "définitivement" les mains courantes. Pour rappel, celles-ci n’ont pas pour but "d’engager des poursuites à l’encontre de l’auteur des faits, mais de signaler la nature et la date des faits aux forces de l’ordre". L’annonce a été faite par le ministre lui-même dans les colonnes du Parisien, après un féminicide survenu à Mérignac. En 2020, les plaintes pour violences sexistes dans le cadre conjugal ont augmenté de 11% par rapport à 2019, a d'ailleurs communiqué le ministère en ce début d'année.
Il y a ici un premier écueil dans le raisonnement de Gérald Darmanin. Lorsqu’il parle de plaintes systématiques, il désigne en fait les femmes victimes qui ont fait la démarche de se rendre dans un commissariat. Depuis les nouvelles consignes ministérielles, ces dernières sont censées être reçues différemment par les policiers. Mais les autres, qui n’osent pas passer les portes d’un commissariat et dénoncer ce qu’elles subissent, sont de fait exclues par cet argument.
Elles sont pourtant nombreuses, d’après la Fondation des Femmes que nous avons sollicitée : "Chaque année en moyenne entre 2011 et 2018 seules 27 % des 213 000 femmes victimes de violences conjugales se sont déplacées au commissariat ou à la gendarmerie, 18 % ont déposé plainte et 7 % une main courante ou un procès-verbal de renseignement judicaire (PVRJ)". Pour l’association, qui se fonde sur des chiffres donnés par la place Beauvau, cette déclaration du ministre "montre une méconnaissance grave du problème des violences faites aux femmes".
Hésitation ou découragement à porter plainte
Mais s’agissant du tiers des femmes qui se sont rendues au commissariat, elles sont aujourd’hui accueillies par des policiers qui doivent enregistrer leur plainte pour les faits qu’elles viennent dénoncer. Le syndicat Alternative Police nous confirme que ces consignes ont été assimilées dans les commissariats et gendarmeries. "Aujourd’hui, hormis la faute professionnelle du policier qui n’aurait pas souhaité prendre la plainte et qui se serait contenté d’une main courante, si la plainte n’est pas prise, c’est parce que nous n’avons pas réussi à convaincre la victime de la nécessité de déposer plainte pour la sortir de l’enfer dans lequel elle se trouve", témoigne Jacob Denis, secrétaire général du syndicat.
Car le principe peut se heurter à l’hésitation ou à la peur de la victime. Comme le souligne Jacob Denis, "qui dit dépôt de plainte, dit enquête, qui dit enquête dit présentation de la police à domicile avec toutes les conséquences que cela peut avoir quand on vit avec le conjoint violent". À la différence d’une main courante, où le suspect n'en aura pas connaissance et ne sera pas convoqué, rappelle le ministère de la Justice.
Cette nouvelle consigne se heurte également à la réticence de certains policiers. D’après une enquête du collectif Nous Toutes, menée en 2021 auprès de 3500 femmes, la prise en charge policière des plaintes pour violences doit être améliorée. La moitié de ces témoignages concerne des dépôts de plaintes ayant eu lieu entre 2019 et 2021. Un peu moins de 700 d’entre eux concernent des plaintes pour violences conjugales. 59% des récits font état d’une mauvaise prise en charge : parmi eux, 68% évoquent une banalisation des faits par les policiers, 55% d’un refus de prendre la plainte ou d’un découragement et 50% d’une culpabilisation de la victime. "La question de la formation des policiers est un vrai sujet", reconnait le secrétaire général d’Alternative Police. "On ne traite pas l’accueil d’une victime de violences conjugales comme une victime qui s’est fait voler son vélo. On doit trouver les bons mots."
Des "investigations insuffisamment approfondies"
Concentrons-nous maintenant sur la suite des propos de Gérald Darmanin et partons du principe qu’une plainte pour violences a été déposée. Cette procédure n’entraine pas obligatoirement un placement en garde-à-vue, comme le laisse entendre le ministre de l’Intérieur. "Il faut déjà convoquer le mari. À l’issue de l’audition, l’officier de police judiciaire (OPJ), en lien avec le parquet, valide ou non le placement en garde à vue", abonde Jacob Denis. Dans un rapport de 2019 sur les "homicides conjugaux", l’Inspection générale de la Justice (IGJ) constate même que "le placement en garde à vue du mis en cause reste exceptionnel". Concrètement, cela s’est produit dans un dossier sur 88 dossiers jugés, concernant des féminicides commis en 2015 et 2016 et consultés par l’IGJ.
En aucun cas, les gardes-à-vue ne sont systématiques malgré les "demandes" du ministre de la Justice. Et les poursuites judiciaires sont tout aussi rares. Dans le détail, 80% des plaintes pour violences conjugales sont classées par le parquet, rapporte encore l’IGJ, pour qui "les investigations insuffisamment approfondies empêchent de donner une réponse pénale efficiente". Parmi les 21 plaintes comptabilisées dans ce rapport, "seules deux ont reçu un commencement de réponse pénale avec un classement après rappel à la loi".
En résumé, Gérald Darmanin fait plusieurs raccourcis en affirmant que les plaintes pour violences conjugales sont devenues systématiques depuis l’abandon de la main courante dans les commissariats. Il ignore d’abord ces victimes qui ne portent pas plainte mais aussi la réalité du terrain, selon laquelle la réception de la plainte par les policiers mérite d’être améliorée. Ensuite, le dépôt d’une plainte pour ce type de violences conduit encore très rarement au placement en garde à vue du suspect, voire à des poursuites judiciaires.
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