LIEU DE MÉMOIRE - Le Nord-Pas-de-calais a été particulièrement touché par la Première Guerre mondiale. D'octobre 1914 à 1915, plus de 100.000 soldats français sont tombés lors des batailles de l'Artois. Certains Poilus reposent dorénavant dans la nécropole de Notre-Dame de Lorette, gardés chaque jour de l'année par des gardes d'honneur, une association créée en 1927 qui maintient leur souvenir.
Malgré la pluie, Gonzague, Serge et Bernard sont fidèles au poste. Béret sur la tête, cravate autour du cou, ils "veillent sur les morts" comme ils disent. Les trois hommes font partie de la garde d'honneur de Notre-Dame de Lorette. Depuis 1927, cette corporation s'est donnée pour mission de maintenir le souvenir des quelques 43.000 soldats français morts durant les terribles batailles de l'Artois de la Première Guerre mondiale et enterrés dans la plus grande nécropole militaire de France. Celle-ci se situe sur le lieu même où ont eu lieu des combats sanglants : le mont Coquaine, plus communément appelé mont Lorette, à Ablain-Saint-Nazaire dans le Pas-de-Calais. Alors qu'il vente, qu'il pleuve ou qu'il neige, ces gardes "veillent" du mois de mars au mois de novembre.
Gonzague Carpentier a intégré la garde il y a maintenant 10 ans. "J'ai deux grands-pères qui ont fait '14', ce qui est rarissime pour des gens de mon âge", explique-t-il. L'un d'entre eux a même combattu sur le site de Notre-Dame de Lorette. Si lui s'en est sorti vivant, de nombreux de ses camarades sont tombés et reposent dorénavant ici. Devenir garde, comme son grand-père avant lui était une évidence. "Je suis né engagé", philosophe-t-il.
Si tous les gardes ne sont pas forcément des descendants de poilus qui ont combattu ici, tous éprouvent un immense respect pour ces Français morts pour leur patrie et tous évoquent l'importance du devoir de mémoire. "Est-ce que nous, on aurait été apte à vivre le calvaire qu'ils ont subi ?" se questionne Serge Petit, un membre de la garde de 62 ans.
"À sa création en 1927, la garde consistait en une vingtaine de personnes, principalement des membres des familles des défunts", nous explique Jacky Lefort, vice-président de l'association du monument de Notre-Dame de Lorette et de la garde d'honneur de l'ossuaire. "Mais depuis, ça ne fait que se renforcer". En effet, presque un siècle plus tard, ils sont plus de 4000.
"Lorette c'est un site phare ici", souligne Laeticia Podevin, garde d'honneur depuis maintenant deux ans. "On est très imprégnés des sites de mémoire dès tout petit quand on fait sa scolarité ici, avec des visites régulières. Il y a Lorette, il y a le mémorial canadien de Vimy, il y a la carrière Wellington. Il y en a beaucoup autour", explique la jeune femme de 34 ans. Un temps fermé aux femmes, la Garde d'honneur a ouvert récemment ses portes, elles sont dorénavant 154 femmes.
Leur intégration a créé un temps quelques remous, dans ce groupe jusqu'alors très masculin. Laeticia Podevin, pharmacienne à Lens, avait alors beaucoup échangé avec le doyen de la garde, un de ses clients réguliers. Lui était favorable à cette ouverture : "du coup, il m'a proposé de me parrainer". Car pour intégrer la garde, il faut être intronisé par deux parrains, déjà membres. "Une sorte de passage de flambeau", nous explique la jeune femme. "Ça fait 73 ans que le doyen monte la garde. Depuis ses 22 ans, il n'a jamais raté une ronde", rapporte-t-elle un brin de fierté dans la voix. "Pour faire aussi bien, je suis rentrée un peu tard", ajoute-elle amusée.
Tous les membres de cette association s'engagent à effectuer une garde par an. Leur rôle principal est d'accueillir et de guider les visiteurs sur le site. "On aide les familles à s'orienter, parfois à retrouver la tombe d'un proche, raconte Serge Petit, gendarme à la retraite. "Pour cela, on a à disposition un ordinateur qui nous permet de localiser la personne recherchée."
"Ce matin, quelqu'un cherchait son grand-père", rapporte Gonzague Carpentier. Retrouver sa sépulture permettait à ce visiteur d'avoir enfin un lieu où se recueillir. "Il n'est pas perdu dans l'anonymat de l'ossuaire". Mieux que ça, "dans un cimetière classique, même les concessions à perpétuité ne seront pas éternelles. Ici c'est figé dans l'histoire de France."
Leur tenue et notamment le brassard et le béret permet de mieux les repérer sur le site. Mais pour Laeticia Podevin, ces objets représentent bien plus que de simples signes distinctifs. "C'est par respect pour les personnes enterrées ici, on se doit d'avoir une tenue correct et un peu officiel aussi", avance-t-elle. "Et puis c'est un peu corporatif ici, n'importe qui ne rentre pas comme ça dans la garde. On s'engage et ces objets, c'est le symbole de l'engagement."
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Au-delà de leur journée de garde, les membres de l'association honorent de nombreuses cérémonies, notamment celle de la veillée du 10 novembre ou encore, cette année, celle organisée pour la venue du président de la République. Bien que très investis dans l'association, Etienne, Benjamin et Valentin ne pourront pas répondre présents à ces rendez-vous. "On sera en cours", se justifie Valentin Gruson, étudiant en droit. "Et le samedi pour la veillée, on a déjà une cérémonie dans notre commune, à Hinges" ajoute son ami Etienne Delforde, étudiant en STAPS. "On ne peut pas être partout", sourit-il.
Pour les trois amis, passionnés d'histoire, le devoir de mémoire dépasse leur seul engagement à la garde d'honneur. Pour le centenaire de l'Armistice, ils ont par exemple créé une exposition dans leur commune. Différentes classes de l'école d'Hinges ont apporté leur petite pierre à l'édifice. "C'est aussi le but de cette exposition", soutient l'un des jeunes âgé de 21 ans. "C'est aussi d'en parler et de faire découvrir aux jeunes ce pan de l'histoire".
Un message de paix
Surtout ce devoir de mémoire doit être pour Etienne Delforde "un message de paix". "Ça a été un conflit dévastateur et encore on ne parle souvent que des victimes militaires, pas des civils", confie-t-il. "Donc c'est important d'en parler pour que ça ne se répète jamais."
Dans cette optique, la nécropole accueille depuis maintenant quatre ans, l'anneau de la mémoire, un monument grandiose qui rassemble les noms des 600.000 victimes de la guerre tombés dans le Nord-Pas-de-Calais, toutes nationalités confondues. Car le carnage n'a pas touché que les Alliés : le plus grand cimetière allemand en France se trouve d'ailleurs à quelques kilomètres de là. Près de 44.000 soldats reposent pour l'éternité dans la nécropole de Neuville Saint Vaast.
Les ennemis d'hier ne se retrouvent pas réunis que dans la mort. La garde d'honneur accueille aujourd'hui des membres étrangers. "Depuis quelques années, on a des gardes belges et même un garde allemand", nous glisse Jacky Lefort. "C'est une bonne chose, ça va dans le sens de la réconciliation européenne."
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