YO-YO - Les fluctuations de poids ne sont pas seulement une question d'arithmétique liée à nos habitudes alimentaires et à notre hygiène de vie. Ce serait également une question d'émotions. Une thérapeute alimentaire et une psy nous expliquent pourquoi.
Alors que les magazines nous abreuvent, comme chaque année à cette période, de régimes en tout genre, on a voulu savoir pourquoi nos émotions nous poussent à manger plus qu’il ne faut, en dehors du mécanisme naturel de la faim ? En effet, qui n'a jamais craqué sur une tablette de chocolat, un paquet de gâteau ou un morceau de fromage en cas de stress, de déprime, ou de coup de blues ?
Et ça tombe bien, deux livres viennent de paraître sur le sujet : "Faites sauter les verrous qui empêchent de maigrir" (éditions Marabout) écrit conjointement par le nutritionniste Patrick Serog et la psychologue Roselyne Levy-Basse, et celui de la coach Chine Lanzmann et de la thérapeute alimentaire Gabriella Tamas, "Quand l'alimentation nous bouffe la vie" (éditions Eyrolles). L'occasion de mieux comprendre notre rapport à la nourriture, et de savoir comment remédier à ces "kilos émotionnels" sans passer par un régime.
Un plaisir immédiat
Car ne nous voilons pas la face, alors que l'on célèbre ces vendredi et samedi 17 et 18 mai, les Journées européennes de lutte contre l'obésité, le problème du surpoids se pose aujourd’hui pour presque la moitié des Français : 15 % d’obésité et 32 % de surpoids. Voilà les chiffres, imparables, qui amènent de nombreuses personnes à s’interroger sur ce qu’elles mangent et sur la manière dont elles se comportent à table et entre les repas.
Pour Gabriella Tamas, thérapeute alimentaire à Angers, ces fameux 'kilos émotionnels' sont une réalité assez complexe et très individuelle. "Il n'y a pas une définition claire et précise qui pourrait aller à tout le monde. Parfois un même événement (deuil, stress, manque de sommeil...) va chez certains leur couper l'appétit et donc leur faire perdre du poids quand chez d'autres, ce sera l'effet inverse. Il peut aussi y avoir un composant de notre enfance, de notre histoire, la façon dont on se construit, qui nous font perdre ou gagner du poids", explique-t-elle à LCI.
Mais alors quel mécanisme mental régit ce besoin compulsif d'engouffrer une demi-baguette pour calmer son stress, quand d'autres vont juste avoir envie d'aller courir ? "On constate sur le plan physiologique un plaisir immédiat, analyse la psychologue Roselyne Levy-Basse. L'apaisement ne dure que quelques minutes, certes avec de la culpabilité mais on est tout de suite mieux, c'est spécifique à la nourriture. C'est un moment intime avec soi-même où il n'existe plus rien d'autre, où tout ce qu'il y a autour de soi disparaît. On a alors le sentiment d'exister pour soi et plus pour les autres".
Manger n’est pas un acte isolé, il s’inscrit d’emblée dans la relation mère-enfant.
Roselyne Levy-Basse, psychologue
Pour mieux comprendre cette addiction, il faut se replonger dans l'enfance. Car "manger n’est pas un acte isolé, il s’inscrit d’emblée dans la relation mère-enfant. La mère donne du lait, le bébé l'avale et en retour, car il ressent du plaisir, il montre son contentement par des sourires, ce qui encourage la mère à continuer à lui donner de la nourriture, c'est ce qu'on appelle le cycle du don, poursuit la psychologue. Celui-ci va s'installer toute la vie dans tous les rapports humains, aussi bien entre les parents et les enfants, qu'entre les conjoints ou dans les relations professionnelles, sociales ou amicales : on donne aux autres, ils le reçoivent et rendent quelque chose en retour".
Oui mais voilà, tout s'emballe quand ce cycle du don est perturbé. Cela crée des déséquilibres, dont des troubles du comportement alimentaire. "C'est le cas parfois quand les parents n'expriment pas assez leur affection à leurs enfants, souligne Roselyne Levy-Basse. L'enfant donne mais a l'impression que son père ou sa mère ne s'en aperçoit pas, parce ce qu'ils ne verbalisent pas cette reconnaissance mutuelle. Résultat, ces enfants peuvent avoir des problèmes alimentaires parce que le seul espace où ils ont l'impression d'exister, c'est quand ils mangent. Et évidemment ils vont continuer, adultes, sur le même mode".
A l'inverse, "il y a aussi les parents qui veulent toujours bien faire, renchérit Gabriella Tamas. Le bien connu 'finis ton assiette' entraîne une situation de pouvoir qui peut donner à l'âge adulte une relation à la nourriture conflictuelle. Ce sont ces fameuses petites voix : 'Tu as trop mangé !', 'Tu n'as pas assez mangé !' Elles viennent de notre enfance et ce sont les voix de nos parents. Résultat, on va compenser toutes ces émotions négatives avec des aliments de réconfort".
Education, transmission... et contrôle de ses émotions
Autre dictature, celle des régimes. Il faut dire qu’aujourd’hui, les publicités et les magazines créent bien des fantasmes, à grand renfort de retouche d’images, sur une silhouette et un poids idéal, aux limites de la maigreur, incitant les personnes à vouloir "maigrir, et vite". Pourtant, un rapport d’expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire montrait en 2010 que 80 % des personnes ayant suivi un régime avaient retrouvé leur poids initial, voire davantage de kilos au bout d’un an !
"Ce n'est pas évident de s'en défaire mais cela passe par l'éducation. Moi j'ai deux ados à la maison et je sais qu'au lycée on leur dit comment les photos des magazines sont truquées avec Photoshop, pointe Gabriella Tamas. Après il y a aussi la transmission des parents, de l'acceptation par l'enfant de son corps tel qu'il est. Il y a des plus fins, des plus costauds, on peut être grand ou petit... En tant que parent, rassurer l'enfant dès le plus jeune âge sur son image est essentiel. D'autant que si le régime n’est pas adapté, le corps et la tête entrent en résistance. Et le stress provoqué peut avoir comme effets de renforcer le problème plus qu'il ne le résoudra. A long terme du moins".
Mais la bonne nouvelle c'est qu'il existe un moyen de contrôler ses émotions et son stress pour réguler sa prise de nourriture et son poids. Ainsi, il est possible de reprendre contact avec la sensation de faim grâce à des exercices de pleine conscience. C'est l'un des outils utilisé par Gabriella Tamas. "Car il n'y a pas qu'un seul genre de faim mais sept différents : la faim des yeux (qui nous donne envie de manger ce que l'on voit), du nez (ce que l'on sent), de la bouche (ce que l'on goûte), du cœur (là on est vraiment dans les émotions), de l'estomac (la faim par excellence), des cellules (ce sont les fameuses envies des femmes enceintes) et du mental (quand la tête nous dit ce qui est bon pour nous), détaille la thérapeute. Quand on arrive à déterminer ce qui a faim en nous, on peut y donner une réponse plus adéquate car on ne confond plus la faim du cœur avec le besoin physique de manger".
Faut-il pour autant éluder l'aspect alimentaire ? "Sans un état des lieux sur la façon dont on se nourrit, on ne peut entamer aucune thérapie", préviennent en chœur nos deux spécialistes. Pour la psychologue Roselyne Levy-Basse, se passer de la partie nutrition est même qualifié d'"erreur", d'où son travail en duo, depuis plusieurs années, avec le nutritionniste Patrick Serog. "Cela permet d'être cadré, d'avoir un tableau de bord. On peut commencer par l'aspect régime et ensuite essayer de comprendre ce qui nous pousse à manger de façon compulsive. Ou l'inverse. Cela dépend du moment dans lequel on se trouve. Parfois il n'y a pas le choix, il faut maigrir rapidement et on comprendra après. Et parfois le fait de comprendre suffit à avoir un autre comportement avec les aliments", dit-elle.