Plus tôt, plus tard, un jour sur trois... comment le retour au travail se dessine-t-il ?

par Sibylle LAURENT
Publié le 30 avril 2020 à 17h55, mis à jour le 30 avril 2020 à 18h05

Source : JT 20h Semaine

ENTREPRISE - Il faut revenir au travail, a demandé le Premier ministre, à partir du 11 mai. Sur le fond, tout le monde est d’accord. Sur la forme, organiser le retour au travail soulève de multiples enjeux. Comment les entreprises, et au premier chef les ressources humaines, s’organisent-elles ?

"Des soldats au front !" Voici comment Lise Ferret, DRH chez Cadremploi, évoquent le travail de ses collègues les semaines passées. Elle le dit presque en rigolant, mais il est vrai que le rythme est "bien soutenu" depuis quelques mois. Les grèves de décembre avaient donné le ton et servi de mise en jambe. 

Cadremploi "avait décidé de fermer les locaux avant même l’annonce du confinement", raconte-t-elle. "Le lundi 16 mars, les collaborateurs étaient déjà organisés pour ne pas revenir. Certains sont venus récupérer un peu de matériel, mais tout s’est fait très vite." Et voilà l'entreprise est passée à 100% de télétravail.

Dans cette société de 250 personnes spécialisée dans le recrutement de cadres, certaines équipes, tech, informatique, sont déjà rompues au télétravail.  "Au total, deux tiers avaient déjà cette culture", note-t-elle. Et finalement, le plus compliqué, à part quelques ajustements de matériel chez des collaborateurs, a été d’accompagner les managers dans leur nouveau rôle. "Il fallait les aider à retrouver cette proximité avec les équipes, à trouver de nouveaux formats, formels ou informels, de nouveaux échanges à mettre en place". Les managers ont dû également prendre en compte les situations personnelles : être en télétravail seul chez soi ou avec des enfants, ce n'est pas du tout la même chose. Et on ne peut pas comprendre le fonctionnement d’un collaborateur si on ne sait pas comment il a pu s’organiser." 

Des formations managements à distance ont rapidement été mises en place, ainsi que des apéros virtuels, et des points quotidiens. "La semaine dernière, nous avons adressé un questionnaire à l’ensemble des collaborateurs. Il semble que le moral soit bon :  88% des collaborateurs se sentent très bien". 

C'est un vrai enjeu RH de pouvoir faire revenir les salariés au travail
Lise Ferret, DRH de Cadremploi

Comme Lise Ferret, les service RH sont sur le pont depuis le début de la crise. "Les DRH travaillent jour et nuit", raconte à LCI Me Guillaume Roland, avocat associé du cabinet Herald, responsable du pôle social, qui assiste de nombreuses entreprises. "Il y a eu beaucoup de travail pour la mise en confinement, et depuis quelques semaines, depuis qu’on a la date du 11 mai, ils commencent à préparer le déconfinement". "Beaucoup ont travaillé sur des plans de continuité d’activité, pour voir quelles sont les personnes dont la présence sur place est essentielle, comment faire tourner le service si une personne est affectée...". 

Ce qui se joue, maintenant, c’est le retour au travail. "Un vrai enjeu RH", constate Lise Ferret. "Dans la foulée des annonces d'Edouard Philippe, nous avons décidé de limiter à un quart des effectifs et sur la base du volontariat le retour dans les locaux. Ces derniers ont été aménagés, réorganisés, et toutes les mesures de protection prises. 

Outre le gel, les masques, la problématique majeure est la distanciation sociale : la distance dans les bureaux, les espaces communs, les ascenseurs, la cafétéria", énumère Lise Ferret. "Nous avons à la fois des open-space, du flex-office et des bureaux individuels. On va rendre accessible un bureau sur deux, installer les gens en diagonale." Pour l’instant, il est difficile de savoir combien de salariés souhaiteront revenir dans les locaux". Encore trop d'incertitudes sur la réouverture des crèches et des écoles.  

On va voir comme ça des équilibres nouveaux pendant un peu de temps
Me Guillaume Roland, avocat associé au sein du cabinet Herald

Et remettre l'activité en marche a des incidences en chaîne. Les nouvelles règles d'hygiène sont communes à toutes les entreprises - gel, masques, voire prise de température. L'aménagement des espaces de bureaux, aussi, avec des salles de réunions transformées en bureaux, la limitation des réunions en présentiel, ou encore la mise en place de parois en plexiglas pour séparer les espaces, des marquages au sol...  En revanche, les adaptations vont être très différentes, suivant que l'entreprise relève du secteur industriel ou du tertiaire, que les salariés sont en télétravail et en open-space, ou à l'usine. 

Me Guillaume Roland cite l'exemple d'une usine qui tourne en temps normal avec 8 personnes sur la chaîne de production. Avec la distanciation sociale, ils ne pourront pas être plus de 4. Pour maintenir la production, cette entreprise va mettre en place trois équipes au lieu de deux, dont une de nuit, ce qui va renchérir le coût du travail pour l’employeur", relate l’avocat. Plus que pour éviter l'heure de pointe dans la transport en commun, la mise en place d'horaires décalés va être liée à un souci de maintien de la production. Autre exemple avec une société de propreté, dont les agents interviennent habitude quand les  salariés ne sont pas dans les bureaux. Elle va décaler ses horaires, à la fois pour espacer les agents, et aussi parce que les sociétés leur demandent d’intervenir en journée. 

Dans le secteur tertiaire, ce sont davantage les roulements de salariés qui sont évoqués : ceux-ci peuvent venir sur site à tour de rôle, une semaine sur deux ou trois, soit certains jours de la semaine. Car on ne peut pas fondamentalement changer les horaires de travail de ses employés "sans un accord individuel des salariés, ou sans un accord collectif", rappelle l'avocat.

Quand on a vécu la première phase, on trouve que la deuxième est réjouissante
Lise Ferret, DRH de Cadremploi

La machine se remet donc, doucement, en branle. Lise Ferret, la DRH de Cadremploi, est optimiste pour la suite. Le début du bout du tunnel apparaît, enfin. "Quand on a vécu la première phase, on trouve que la deuxième est réjouissante", raconte la DRH. "Elle nous amène à repenser les retrouvailles, notre organisation de demain, et c’est quand même très positif. Il y a un mois et demi, nous travaillions dans l’urgence, à devoir protéger tout le monde, ce n’était pas évident comme situation. Aujourd’hui, on se projette, et on nous donne le temps. Ce temps, c’est très important et rassurant." 

Et, sans doute, que l’après ne sera pas tout à fait comme l’avant. Elle voit déjà plusieurs changements, dans cette société de 250 salariés. "La première avancée, est que des personnes plutôt réticentes au télétravail ont pu constater que cette organisation avait des vertus, et qu’entre le zéro et le tout, on pouvait trouver un bon équilibre", dit-elle. "Ce qui favorise aussi l’équilibre pro-perso. On sent aussi que peut-être, pour des collaborateurs qui voulaient partir en région, ce sera plus facile à envisager… C’est une avancée sociétale qui vient bousculer le monde du travail, il sera nécessaire d’en tenir compte."


Sibylle LAURENT

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