FISCALITÉ - Le ministre de l'Economie répète depuis quelques jours qu'il introduirait une taxe à l'échelle française, si l'UE ne se mettait pas d'accord pour taxer les Gafa, ces géants du web qui s'organisent pour échapper à l'impôt sur les sociétés. La France peut-elle faire cavalier seul face aux géants du web ? LCI décrypte cette mesure annoncée.
"Si les Etats européens ne prennent pas leurs responsabilités sur la taxation des Gafa, nous le ferons au niveau national dès 2019". Sur France 2, jeudi 6 décembre, le ministre de l'Economie et des finances Bruno Le Maire a donné le ton. Après le refus d'une taxation européenne sur le chiffre d'affaire de ces géants du web, opposé notamment par l'Allemagne, qui craint qu'elle ne l'expose à un retour de flammes protectionniste des Etats-Unis sur ses exportations automobiles, le patron de Bercy entend faire son bonhomme de chemin, comme l'ont fait, en leur temps, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie ou la Hongrie, à différents niveaux. Une annonce aux allures souverainistes qui a, dans l'apparence, tout pour plaire, alors que l'appel à une plus juste répartition de l'effort fiscal est réclamé à corps et à cris par les Gilets jaunes et l'opposition politique à son gouvernement.
Les géants du numérique font des profits considérables grâce aux consommateurs français et paient 14 points d'impôts en moins que nos PME. Si les États européens ne prennent pas leurs responsabilités sur la taxation des #GAFA , nous le ferons au niveau national dès 2019 ! #Les4V pic.twitter.com/zsv8fojqig — Bruno Le Maire (@BrunoLeMaire) 6 décembre 2018
Preuve du caractère central que prend cette démarche, l'ancien bras droit de Dominique de Villepin a lancé un appel, lundi 10 décembre sur RTL : "Battez-vous avec moi pour que l'on taxe les géants du numérique". Mais aujourd'hui, qu'implique cette volonté ? De quelles marges de manœuvre dispose Bruno Le Maire ? A quel point cette quinzaine d'entreprises, allant de Google à Amazon en passant par Facebook et Apple, peut-elle être sollicitée ? Où irait cet argent ? Réponses entre Bercy, l'Assemblée et l'ONG Oxfam, mobilisée contre l'évasion fiscale.
Pourquoi la France veut-elle cette taxe ?
En l'état, la piste à laquelle ont abouti les membres de l'Eurogroupe (les ministres des Finances de l'Union européenne) mène à une taxation sur les revenus publicitaires réalisés par les géants du web. Loin de l'objectif porté par Bruno Le Maire, qui poussait pour une taxe de 3% du chiffre d'affaires des services numériques quand ceux-ci ouvrent la voie à des ventes de données personnelles recueillies par les Google, Amazon et autres Facebook. "C'est un peu vidé de sa substance", reconnait Bénédicte Peyrol, députée LaRem auteure d'un rapport portant sur ces questions en septembre dernier. "La taxe proposée par la France aurait pu permettre de réunir environ 5 milliards d'euros pour toute l'UE. Là, ce serait forcément moins."
En quoi consisterait alors la proposition de Bruno Le Maire ? Le flou demeure encore, d'autant que, du côté de Bercy, on espère surtout que l'accord européen obtenu sera respecté. Une gageure quand on considère qu'en matière de fiscalité, les décisions à cette échelle se prennent à l'unanimité. Dans l'entourage du ministre, on reconnait d'ailleurs que l'annonce de Bruno Le Maire sur une taxation nationale "est une façon de mettre la pression, de montrer sa détermination. [...] C'est du bon sens, ça permettrait d'aller vers une égalité fiscale, mais au niveau européen, on a du mal à être entendu."
Quelles marges de manoeuvre pour la France ?
Face à ce risque, l'idée d'une taxe nationale "doit être faite de manière la plus intelligente possible", glisse Bénédicte Peyrol. "Parce qu'il ne faut pas qu'on se frotte aux conventions fiscales, qui permettent d'éviter les double impositions entre Etats-membres." Vient alors l'hypothèse de la taxe anti-abus, adoptée par le Royaume-Uni en octobre dernier, pour entrer en vigueur en 2020 : "Cela permettrait de capter des flux financiers ou des recettes qui passent sous nos radars", précise l'élue de l'Allier. Outre-Manche, la mesure consiste à taxer à 2% sur leur chiffre d'affaires les sociétés bénéficiaires qui réalisent un chiffre d'affaires d'au moins 500 millions d'euros. Ou encore intégrer dans le droit français la notion d'établissement stable virtuel.
Aujourd'hui encore, l'établissement stable relie l'imposition d'une société à la présence physique sur un territoire. Un lien jugé obsolète alors que les entreprises créent de plus en plus de valeur en ligne. La notion de virtualité "permettrait de mettre en relation le lieu d'imposition avec le lieu de création de la valeur", avance Pauline Leclère, référente de l'ONG Oxfam sur les questions d'évasion et d'optimisation fiscale. Une hypothèse que soutient Bénédicte Peyrol, qui y voit aussi la possibilité d'écarter les restrictions des conventions fiscales : "On pourrait remettre un impôt sur les sociétés, justifié par les stratégies d'optimisation fiscale agressives de Google et Facebook."
Quand cette taxe s'appliquerait-elle ?
Là encore, les versions divergent, et dépendent surtout de l'avancement du projet de taxe au niveau européen. Alors que la France plaidait pour une mise en place en 2020, Bruno Le Maire a dû se résoudre à attendre 2021. Toutefois, le calendrier pourrait s'accélérer si une taxe française voyait le jour. "Je me donne jusqu'à mars 2019 pour voir comment avance l'accord", disait Bruno Le Maire sur France 2 jeudi 6 décembre. Dès lors, les pistes sont ouvertes. Dans l'entourage du ministre, on se positionne à moyen terme : "Si on n'a pas d'accord européen, ce serait quelque chose qu'on proposerait à l'automne prochain, lors des discussions pour le projet de loi de finances, en vue du budget 2020." Bénédicte Peyrol évoque une fenêtre un peu plus rapide : "Pour la fin d'année, ce n'est pas possible. Par contre, si, au mois de mars, la directive européenne n'est pas adoptée, on pourra prendre des mesures pour que notre taxe soit effective en 2019. On peut envisager un correctif budgétaire en avril 2019, qui intégrerait les recettes fiscales dès le 1er janvier.
Grosses recettes ou symbole fort ?
"Ça fait plus d'un an que la France est en première ligne sur cette question", se défend le ministère, interrogé sur le timing opportun de l'annonce. Alors que le retour de l'ISF est réclamé à cor et à cri dans le sillon des Gilets jaunes, elle tombe à pic. "Plutôt que de rouvrir ce vieux débat, nous ferions mieux de nous demander où est l'argent, où est la valeur et où il faut la chercher", disait ainsi jeudi 6 décembre Bruno Le Maire, qui a dénoncé un système où "les Gafa paient 14 points d'impôts en moins que nos PME". "C'est une bonne chose que la France le fasse", prolonge Pauline Leclère, dont l'ONG critique régulièrement les orientations budgétaires du gouvernement. "Il y a un enjeu global à lutter contre la concurrence fiscale. Il faut quitter ce système où on va vers moins de fiscalité sur les sociétés pour les faire venir chez nous." En d'autres termes : s'éloigner du positionnement qui a conduit la majorité présidentielle à voter la flat-tax et la transformation de l'ISF en IFI.
Et budgétairement, quel poids une telle initiative apporterait-elle ? La taxe portée par la France et retoquée par ses collègues européens, "aurait rapporté 5 milliards d'euros à l'UE", note Bénédicte Peyrol. Pour une part française qui se serait élevée aux alentours de 500 ou 600 millions d'euros. Une recette qui s'amoindrira forcément en réduisant l'assiette comme le prévoit l'accord obtenu ce mardi. Et dans le cas d'une taxe nationale ? "Ça dépend du champ d'entreprise que vous prenez en compte, mais ça peut être entre 500 millions et un milliard", répond Bercy, qui aimerait que "les esprits de gauche ou d'extrême gauche se révoltent contre les Gafa plutôt que contre les gens qui devraient payer l'ISF alors qu'ils payent déjà l'impôt sur le revenu à 45% voire 57% [un taux d'impôt marginal, ndlr]." Pour rappel, la transformation du symbolique impôt a coûté 3,2 milliards aux finances publiques. Histoire d'alimenter le "vieux débat".
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