POLITIQUE - De la fin des années 80 et pendant une dizaine d’années, Bernard Tapie, décédé ce dimanche 3 octobre, a délaissé les affaires pour la politique, avec comme fil rouge la lutte contre le Front national. Le jour de sa disparition, Jean-Marie Le Pen a salué "sa mémoire" et "le caractère exceptionnel de sa personnalité".
"Si c’était à refaire, je ne le referais pas. Mais maintenant que je l’ai fait, je ne le regrette pas." Voilà ce que disait Bernard Tapie de son incursion en politique, dans l'émission "Au tableau" diffusée sur C8 en novembre 2018. Pour l'homme d'affaire, emporté par le cancer ce dimanche 3 octobre 2021, tout commence en 1987, lorsque le publicitaire Jacques Séguéla le présente au président de la République François Mitterrand.
Le socialiste souhaite se représenter en 1988 et est à la recherche de personnalités issues de la société civile. Alors que le secrétaire général du RPR Jacques Toubon vient de lui refuser une investiture dans une circonscription de Marseille, Bernard Tapie se laisse convaincre et accepte de représenter la majorité présidentielle.
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Le PS ne lui facilite pas la tâche et lui donne une circonscription des Bouches-du-Rhône réputée imprenable à la droite. Pourtant, en 1989, il est élu et fait son entrée à l’Assemblée nationale. "Épatant" par la même occasion le chef de l'État.
La haine du FN, sa rencontre avec Le Pen
Peu de temps après, le propriétaire du club de football de l'Olympique de Marseille se fait remarquer sur la scène nationale en étant le seul à accepter de participer à un débat sur l'immigration face à Jean-Marie Le Pen, en direct sur TF1. Le combat du Front national restera le fil rouge de sa carrière politique. Ce 3 octobre, après avoir appris son décès, le fondateur du FN a tenu à saluer "la mémoire" de celui qui fut un ardent adversaire et retient "le caractère exceptionnel de sa personnalité".
On a parlé et on parle encore des "années Tapie", c'est dire le caractère exceptionnel de sa personnalité, je salue sa mémoire. — Jean-Marie Le Pen (@lepenjm) October 3, 2021
En 1992 lors de sa campagne pour les élections régionales, Bernard Tapie choisit de ne plus se contenter de taper sur les dirigeants du parti, mais aussi sur ses électeurs. Lors d’un meeting, il déclare : "Arrêtons de trouver sans cesse des excuses aux électeurs du FN. Arrêtons de dire que Le Pen est un salaud, mais que ses électeurs doivent être compris, qu’ils ont des problèmes difficiles. Si l’on juge que Le Pen est un salaud, alors ceux qui votent pour lui sont aussi des salauds." Il ne s'est jamais excusé pour cette phrase, et le pensait toujours en 2018.
Pourtant, les deux hommes ont parfois réussi à s'entendre. En 1993, à l'issue du premier tour des législatives, une triangulaire avec un candidat FN et RPR se dessine pour Bernard Tapie. Il demande donc à rencontrer Jean-Marie Le Pen chez lui en région parisienne pour lui demander de maintenir la présence de son candidat au second tour, et le favoriser aux dépens du candidat RPR, directeur de cabinet de Bruno Mégret. Le président du Front national accepte et Tapie est réélu.
Si les deux hommes n'avaient jamais confirmé ce rendez-vous secret, Bernard Tapie l'a évoqué en 2019 sur RTL. "Le Pen, je ne l’ai pas rencontré une fois et à ce moment-là, je l’ai rencontré au moins vingt fois. On était députés européens et on s’est même parfois fait les voyages Paris-Bruxelles côte à côte. Et ça ne nous empêchait pas de nous tirer la bourre quand on était dans l’hémicycle."
Le vilain petit canard du gouvernement
En 1992, Bernard Tapie rejoint le gouvernement de Pierre Bérégovoy en tant que ministre de la Ville. Un portefeuille créé sur mesure pour lui, qui veut s'occuper des banlieues. Mais le 23 mai, moins de deux mois plus tard, il démissionne, accusé par le député du RPR Georges Tranchant d’abus de biens sociaux dans une société de distribution de la marque Toshiba en France. En décembre, il obtient finalement un non-lieu et revient au gouvernement.
C'en est trop pour les socialistes qui goûtent peu au mélange des genres et à la présence d'un homme d'affaires dans un exécutif de gauche. Pour beaucoup, l'admiration du Président pour ce novice en politique est incompréhensible. À l'occasion du come-back de l'homme d'affaires, François Hollande déclarera : "La première fois, c’était une erreur. La deuxième, c’est une faute."
Les choses ne s'arrangeront d'ailleurs jamais vraiment avec les socialistes. Aux élections européennes de 1994, Bernard Tapie fera beaucoup de mal à la liste menée par Michel Rocard en recueillant 12% des suffrages avec son mouvement baptisé Énergie radicale. Ce mandat, terminé en 1997, signera la fin de son histoire en politique. Il se contentera par la suite de commenter ou d'apporter son soutien à d'autres. En 2007, même s'il déclare préférer "la gauche à la droite", il soutient Nicolas Sarkozy aux dépens de Ségolène Royal.
Seul le Front national aurait pu faire revenir Bernard Tapie en politique. En 2015, à l'issue des élections régionales, alors qu'il avait toujours juré ne jamais le vouloir, il avait indiqué au JDD réfléchir à un retour pour faire barrage à son ennemi de toujours, dressant ce constat : "Le résultat des régionales est incontestablement un signal d’alarme qui doit alerter tous ceux qui ont l’envie et la compétence d’apporter des réponses aux problèmes du pays."
Le 3 octobre, au moment d'évoquer la disparition de l'homme aux mille vies, Jean Castex, le Premier ministre, a rappelé son combat contre l'extrême droite : "La première image qui me vient, c'est celle du combattant, pour ses idées, ses convictions. Je rappelle qu'il a toujours été très engagé contre l'extrême droite, mais surtout pour des causes, pour son club, sa ville, pour l'entreprise aussi... bref, un homme très engagé qui a tout donné. Et on l'a vu aussi contre la maladie face à laquelle il a lutté, pied à pied".