Cabinets de conseil : ce qu'il faut retenir du rapport explosif du Sénat

par Léa COUPAU
Publié le 17 mars 2022 à 16h41

Source : 24H PUJADAS, L'info en questions

Dans un rapport publié mercredi, une commission d’enquête du Sénat dénonce le recours régulier de l’État aux cabinets de conseil privés.
Les sénateurs s'inquiètent d'une trop grande dépendance du gouvernement et plaide pour que ce dernier reprenne "en main ses politiques publiques".

Gestion de la crise sanitaire, réforme des APL, organisation de colloques... La commission d'enquête du Sénat dénonce, dans un rapport publié mercredi 16 mars, un "phénomène tentaculaire" sur le recours par l'État aux cabinets de conseil. Pendant quatre mois, une commission menée par la rapporteure Eliane Assassi (Parti communiste français) a enquêté sur l’emprise massive de ces derniers dans les affaires de l’État. La demande répondait à une polémique sur le rôle de plus en plus grand des entreprises dans la gestion de la crise sanitaire. Combien de cabinets privés ont-ils été appelés par l'État ? Pour quelle influence ? Et quels risques ? On fait le point.

Un phénomène "tentaculaire"

Premier écueil pointé du doigt : l'intervention trop massive des cabinets de conseil. Mi-janvier, le Premier ministre Jean Castex a fait passer une circulaire pour encadrer le recours aux "prestations intellectuelles". Elle n'a aucun "caractère contraignant", répondent les sénateurs, qui rappellent que "les cabinets de conseil sont intervenus sur la plupart des grandes réformes du quinquennat Macron". "C’est une volonté politique de faire appel à des cabinets de conseil en lieu et place de l’administration", a fustigé Eliane Assassi, prenant notamment l'exemple du cabinet Mckinsey.

Ce dernier, accusé d'optimisation fiscale dans le même rapport, a été appelé aussi bien sur la réforme du mode de calcul des aides personnalisées au logement (pour un montant total de 3,88 millions d'euros) que dans le cadre de la campagne vaccinale contre le Covid-19 (12,33 millions). Et il n'est pas le seul : d'autres cabinets, comme Capgemini ou Sémaphores, ont, eux aussi, accompagné l'État sur des sujets importants. Selon les calculs des sénateurs, "20 cabinets représentent, à eux seuls, 55 % du conseil aux ministères".

Risque d'influence

Dès lors, la commission d'enquête s'inquiète d'une "dépendance" des pouvoirs publics à ces acteurs. "Le recours aux consultants constitue aujourd’hui un réflexe qui donne parfois le sentiment qu’il ne sait plus faire", prévient-elle. Elle met notamment en garde contre le risque d'influence. Les cabinets ont "pour habitude de 'prioriser' les scénarios proposés" auprès de l'administration qui les sollicite, "ce qui renforce leurs poids dans la décision publique", argumentent les sénateurs.

Le secrétariat général du ministère de l’Intérieur a, en outre, reconnu auprès de la commission que certains des consultants ne venaient pas apporter une expertise spécifique, mais combler "un manque d’effectifs (...) dans un contexte budgétaire dégradé s’agissant du recrutement d’agents publics". Problème, en plus de s'appuyer sur les cabinets privés pour compenser un manque de ressources internes, l'État leur confie aussi "des tâches de gestion", continuent les sénateurs.

Le recours aux cabinets privés "n’a pas commencé sous ce quinquennat. Chacun garde en mémoire l’appel assumé aux consultants" pendant la présidence de Nicolas Sarkozy, nuance toutefois la commission. Mais c'est pourtant bien sous le mandat d'Emmanuel Macron que les dépenses de conseil des ministères ont explosé, passant de 379,1 millions en 2018 à 893,9 millions d'euros en 2021. 

Face à ce constat, la commission plaide pour que "le transfert de compétences des cabinets de conseil vers l’administration" soit rendu "plus effectif". Parmi leurs dix-neuf propositions finales, les parlementaires suggèrent de publier la liste des prestations de l'État et de ses opérateurs en données ouvertes. Ils se prononcent également pour un examen systématique des prestations de conseil supérieures à 150.000 euros et l'interdiction des prestations gratuites pour les pouvoirs publics.

Autre piste : la destruction systématique, à l'issue de leur mission, des données confiées aux cabinets. Les sénateurs comptent enfin sur la Haute autorité pour la transparence de la vie publique, dont ils souhaitent renforcer les moyens pour qu'elle contrôle le respect, par les cabinets, de leurs obligations déontologiques.

"Il est temps que l’État reprenne en main ses politiques publiques", a estimé Eliane Assassi, qui espère présenter "à l'automne" une proposition de loi transpartisane sur le sujet des cabinets de conseil.


Léa COUPAU

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