FISCALITÉ - La promesse-phare d'Emmanuel Macron, jeudi 25 avril, suscite une forte attente des contribuables. Mais qu'implique-t-elle dans la politique économique du gouvernement ? Ce geste répond-il aux attentes de justice fiscale ? LCI a posé la question à l'économiste de l'OFCE Pierre Madec.
C'est l'une des annonces d'Emmanuel Macron les plus scrutées à l'issue du Grand débat. Le chef de l'Etat a promis une baisse de 5 milliards d'euros d'impôt sur le revenu pour les ménages fiscaux, dont les revenus les situent dans la première tranche (entre 9.900 et 27.500 euros annuels) ou dans la seconde (entre 27.500 et 73.700 euros). Cela représenterait une baisse de 350 euros pour ceux qui sont dans la tranche à 14%, et de 180 euros pour les foyers fiscaux qui paient la tranche à 30%, a précisé Bruno Le Maire, mardi 30 avril sur France 2.
Un geste consécutif à la prise en compte par Emmanuel Macron d'un besoin de "justice fiscale" de la part des Gilets jaunes et des participants au Grand débat. Mais cette baisse de 5 milliards d'euros traduit-elle cette volonté ? Quelles seront les conséquences des mesures à prendre pour la financer ? Eléments de réponse avec Pierre Madec, économiste à l'OFCE.
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LCI - Cette baisse de l'impôt sur le revenu traduit-elle une recherche de justice fiscale de la part du gouvernement ?
Pierre Madec - C'est la suite d'un rééquilibrage. Nous avions démontré, après les annonces d'Emmanuel Macron de décembre 2018, faisant suite à la crise des Gilets jaunes, que l'exécutif cherchait à rééquilibrer ses politiques fiscales, orientées en faveur du capital jusque-là. Le budget 2019, comme nous l'avions démontré, était composé de plusieurs mesures favorables au pouvoir d'achat des classes moyennes : fin de la bascule des cotisations salariales vers la CSG, suppression de la taxe d'habitation, défiscalisation des heures supplémentaires, prime d'activité exceptionnelle... Les annonces du 25 avril ont confirmé cette tendance, pour des catégories de population qui avaient largement absorbé le choc fiscal de 20 milliards d'euros à partir de 2012.
Si cette annonce donne du pouvoir d'achat aux classes moyennes et classes moyennes supérieures, il est toutefois difficile de parler de justice fiscale quand on ampute l'impôt sur le revenu, qui est le seul impôt progressif. Le Grand débat a été l'occasion de discussions autour de l'impôt pour tous, tout comme il a permis de constater que, payé par seulement 43% des Français, l'impôt sur le revenu était trop concentré. Et que fait-on ? On décide de baisser son poids de 5 milliards d'euros sur les 75 milliards d'euros qu'il rapporte. Ce qui signifie que son acquittement va être encore plus concentré et que le système socio-fiscal sera plus injuste. Répondre à un besoin de justice fiscale passait aussi par le fait de faire payer davantage les plus aisés. Là, la mesure s'adressera, c'est vrai, aux classes moyennes, mais elle bénéficiera aussi aux ménages qui sont au sommet de la tranche à 30%, ceux qui déclarent 73.700 euros de revenu fiscal, et qu'il est difficile de considérer comme des classes moyennes.
Il faudra également regarder de près le calibrage de la mesure, pour que seuls les foyers situés exclusivement dans les tranches à 14 et 30% (contacté par LCI, Bercy a assuré que l'effet de la mesure serait "neutralisé" pour les contribuables situés dans les tranches de 41% et 45%, NDLR).
Le financement de la mesure reste son point noir : que vous évoquent les pistes proposées par Emmanuel Macron ?
Ce n'est pas très précis, ce n'est pas très simple. L'une des annonces du 25 avril consistait à dire que l'on renonçait à la suppression de 120.000 fonctionnaires d'ici la fin du quinquennat, une des principales pistes de réduction de la dépense publique. Sachant qu'il faut aussi prendre en compte les mesures à destination des retraites, la suppression de la taxe d'habitation, il va falloir compenser. Ce n'est pas en supprimant des organismes "inutiles" qu'on y arrivera. Si on parle juste des annonces d'hier, on arrive à une enveloppe proche des 20 milliards d'euros supplémentaires à trouver. Pour baisser la dépense publique d'autant, les niches fiscales aux entreprises vont-elles suffire ? Revenir sur celles-ci, ce n'est pas baisser la dépense, c'est augmenter les impôts. Le gouvernement voudra-t-il augmenter la pression fiscale sur les entreprises compte tenu de son discours depuis le début du quinquennat, ouvertement pro-business ?
Il y a aussi l'idée de la sanctuarisation de l'école, des hôpitaux, le retour sur les économies pour le logement, la décentralisation qui va coûter de l'argent à court terme même s'il doit ensuite permettre d'en faire.
Si vous financez la baisse d'impôt par la baisse de la protection sociale, les ménages modestes seront les oubliés du quinquennat
Pourquoi l'exécutif n'envisage-t-il pas plutôt d'augmenter ses recettes ?
Les deux seules mesures d'augmentation de la fiscalité, c'était la taxe carbone et la taxe sur le tabac. La taxe carbone annulée suite au mouvement de contestation des Gilets jaunes, on a renoncé à la seule grosse augmentation fiscale envisagée, soit 4 milliards d'euros. Au-delà, c'est le mantra du gouvernement que de faire baisser la pression fiscale. On fait baisser l'impôt sur les sociétés, on ne touche pas aux niches fiscales sur les ménages, en misant sur l'effet d'entraînement de l'économie. La flat tax sur les revenus du capital, la transformation de l'ISF en IFI... Ce sont des mesures qui sont censées porter leurs fruits à long terme, en matière de création d'emplois, de croissance et donc de rentrées fiscales à venir. Mais si effet il y a, il ne va pas arriver tout de suite. Même les personnes qui soutiennent que cela va se ressentir conviennent que l'on est sur des processus très longs, aux effets incertains.
Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'impact direct dans les décisions gouvernementales. Les mesures de demande prises en décembre 2018, chiffrées à 10 milliards d'euros, auront cet effet-là. Les dernières mesures ont été partiellement absorbées parce qu'il y a eu de l'épargne, mais une fois que cette passade sera surmontée, cela va générer de la consommation en plus et donc, de la fiscalité supplémentaire. Mais ce n'est pas de cette façon qu'on baissera la dépense publique. La réforme des retraites ne le permettra pas avant quelques années.
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Reste-t-il d'autres pistes pour le gouvernement ?
La protection sociale. Le revenu universel d'activité annoncé en septembre 2018, qui devrait être conditionné à ceux qui recherchent du travail, aura pour vocation d'enlever de l'argent à ceux qui travaillent moins pour les inciter à vouloir travailler plus. Alors que, quand on lit les enquêtes, la plupart des gens sont en temps partiel subi. Cette politique d'incitation à l'emploi se heurtera à un problème d'adéquation entre la demande et l'offre de travail.
Il y a une vraie volonté de la part de l'exécutif de baisser la dépense publique, donc ils parviendront à le faire. La question, c'est où. Si vous financez les 5 milliards d'euros d'impôt sur le revenu en moins pour les classes moyennes - les plus pauvres ne le payent pas - en baissant la protection sociale, ce sera le signe que les ménages les plus modestes seront les oubliés du quinquennat.