Contrôles policiers au faciès : ce sujet qui embarrasse tant le PS

Publié le 18 octobre 2015 à 15h49
Contrôles policiers au faciès : ce sujet qui embarrasse tant le PS

DISCRIMINATIONS – Condamné pour "faute lourde" en juin dernier pour une affaire de contrôle d'identité "au faciès", l'Etat s'est pourvu en cassation, suscitant la colère des associations et d'élus de gauche vendredi. Le sujet gêne particulièrement le gouvernement. Voici pourquoi.

La décision, divulguée vendredi par Le Monde, a fait bondir associations et élus de gauche. Condamné en appel pour "faute grave" dans une affaire de contrôles de police au faciès, l'Etat vient de se pourvoir en cassation, sous la pression du Premier ministre, Manuel Valls.

Les faits : le 24 juin dernier, la cour d’appel de Paris a reconnu que des contrôles effectués sur 5 plaignants tenaient compte "de l'apparence physique et de l'appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race". Le  pourvoi de l'Etat  a suscité un tollé à gauche : "pas admissible" pour la Ligue des droits de l'homme, "faute politique" pour les écologistes d'EELV, "cynisme d'Etat" pour l'aile gauche du PS… Voici pourquoi le gouvernement a de quoi être gêné.

 C'est un engagement non tenu de François Hollande
"Je lutterai contre le délit de faciès dans les contrôles d'identité par une procédure respectueuse des citoyens." C'est  l'engagement numéro 30 du candidat François Hollande en 2012. Un engagement que le gouvernement ne se contente pas d'envoyer aux oubliettes, mais qu'il contredit totalement avec ce nouveau pourvoi. Le jugement du 24 juin 2015 s'appuyait pourtant sur l'argumentaire du Défenseur des droits , favorable à une "régulation des contrôles d'identité", au moyen, par exemple, d'un récépissé remis au citoyen contrôlé.

"Vous ne pouvez pas vous engager vis-à-vis des Français puis vous ranger du côté de la police la plus réfractaire", martèle le député Pouria Amirshahi, de "l'aile gauche" du PS, joint par metronews. Le renoncement remonte en fait à juillet 2012, deux mois seulement après l'élection de François Hollande. Manuel Valls, ministre de l'Intérieur, avait fait machine arrière pour ne pas froisser les syndicats de policiers. Il avait fini par proposer des aménagements, dont le port d'un numéro de matricule par le policier. Une mesure "hypocrite et inefficace", estime Pouria Amirshahi, selon qui "ce système n'a fait qu'accentuer les tensions en débouchant sur une hausse des plaintes contre la police".

EN SAVOIR +
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 Le gouvernement est en pleine contradiction
Selon Le Monde, le pourvoi en cassation de l'Etat est intervenu après un long conflit estival au sein du gouvernement, opposant Manuel Valls à Christiane Taubira. Début septembre, la ministre de la Justice plaidait encore clairement en faveur du récépissé , un dispositif "qui ne met pas en cause les policiers, mais les protège et doit rétablir la confiance".

Ce n'est pas la première fois que l'exécutif se déchire sur le sujet. En août dernier, le ministre des Transports Alain Vidaliès s'était fait épingler par certains camarades pour des propos favorables aux pratiques discriminatoires lors des contrôles

 Le débat déchire le PS
Alors que le patron du PS, Jean-Christophe Cambadélis, mène une campagne tonitruante pour l'unité de la gauche , le sujet fait tache. Outre les attaques des autres formations de gauche, l'aile gauche du PS, à l'instar de Pouria Amirshahi, n'a de cesse de se désolidariser du gouvernement. "Les députés sont les représentants des citoyens, leurs porte-voix, clame le député. Je ne suis pas le porte-parole de Manuel Valls."

Cela dit, impossible, sans l'aval du gouvernement, de déposer un nouveau texte à l'Assemblée. Résultat : d'autres formations vont s'en charger. Parmi les propositions de loi en préparation, celle de l'UDI Yves Pozzo di Borgo, qui a remis sur la table un texte déjà déposé fin 2012 après un long travail avec feu Dominique Baudis, l'ancien Défenseur des droits. "Ce débat doit être abordé", juge le sénateur centriste, pour qui "la logique du récépissé est intéressante. Lors des travaux menés il y a trois ans, on s'était rendu compte que ce dispositif, là où il était expérimenté, stabilisait les relations entre les gens et les forces de l'ordre." Le Sénat de droite débattant d'un engagement de François Hollande que sa propre majorité n'assume pas ? Le scénario est cocasse.

 En l'absence de loi, la décision de justice ouvrirait la voie à d'autres plaintes
L'Etat s'est-il mis lui-même dans le pétrin ? En juin, après la condamnation de l'Etat pour "faute lourde", l'un des avocats des plaignants, Félix Du Belloy, prédisait " une belle jurisprudence " après cette "injonction implicite faite aux policiers de justifier chaque contrôle". Si l'Etat s'expose à des centaines d'autres plaintes, c'est "tant mieux", assène Pouria Amirshahi. "Ça apprendra au gouvernement à refuser d'en passer par la loi. Tout est de sa faute. En outre, plus les citoyens usent de leurs droits, mieux c'est."

Le timing de ce pourvoi en cassation est d'autant plus ennuyeux pour le gouvernement que ce dernier a annoncé, à la rentrée, son souhait d'élaborer un projet de loi "contre les discriminations". Un texte qui doit être débattu à l'automne sous la houlette… de Christiane Taubira, celle-là même qui défend le récépissé lors des contrôles de police.


Vincent MICHELON

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