Ministre de l'Environnement, poste maudit ? "On est un peu des vers solitaires"

par Antoine RONDEL
Publié le 17 juillet 2019 à 11h11, mis à jour le 17 juillet 2019 à 11h18

Source : JT 20h Semaine

SACERDOCE - Le poste de ministre de l'Environnement, occupé par quatorze personnes différentes ces 18 dernières années - dont la dernière en date François de Rugy -, n'a rien d'une sinécure. Instrument symbolique souvent mis sur le côté, avec cette nécessité de faire avancer une cause qui ne peut pas être négligée, la fonction laisse un souvenir mitigé à ceux qui l'ont exercée.

26 mois de quinquennat Macron et déjà deux ministres de l'Environnement. Avec la démission de François de Rugy, qui suit celle, fracassante, de Nicolas Hulot il y a un an, les ambitions politiques de l'exécutif, si souvent mises en avant, essuient une nouvelle gifle. Non pas que les deux situations se ressemblent. L'ancien animateur d'Ushuaïa avait utilisé son départ pour alerter sur le trop faible enthousiasme écologique de ses employeurs. Son successeur, plus politique, et adepte d'une écologie qui s'adapte aux ambitions de croissance du gouvernement, ne doit son départ qu'à des pratiques para-ministérielles et non à un éventuel décalage entre ses convictions et ses missions. Il n'empêche. Le départ du Ligérien du gouvernement, et son remplacement par Elisabeth Borne, dans un ministère dépouillé de son rang d'Etat, suggère l'existence d'une malédiction au poste de l'hôtel de Roquelaure, qui ne date pas d'hier et qui souligne les difficultés du poste.

"Ça me fait chier, ils n'ont toujours pas compris l'essentiel. Le problème, c'est le modèle. Cela me fait penser à cette phrase de Bossuet : 'Nous nous affligeons des effets mais continuons à adorer les causes'", se lamentait ainsi, peu avant sa démission, dans un confidentiel glissé à Libération, Nicolas Hulot. Il donnait alors un écho particulier au "dilemme" des ministres de l'Environnement depuis le début de la Ve République : comment défendre des intérêts écologiques contraires à l'action d'un gouvernement qui pense principalement croissance, création d'emplois et hausse de la consommation ? Comment, en dehors des "petits pas" et des "quelques dossiers qui avancent", avoir du poids, par exemple face aux lobbies qui freinent des quatre fers pour sortir du glyphosate ou qui répètent à qui veut l'entendre que l'énergie nucléaire est un préalable à la transition écologique ?

Des collègues à convaincre et à rallier

Cette question, si François de Rugy semblait faire avec, l'ancien animateur d'Ushuaïa n'était évidemment pas la seul à se l'être posée. Et rares sont celles ou ceux qui pensent y avoir trouvé une réponse, exception faite, peut-être, de Ségolène Royal, toujours prompte à défendre son bilan. Peut-être se trouve-t-elle en partie dans ce que la presse nomme "la valse des ministres de l'Environnement", avec, sur les 18 dernières années, pas moins de 14 ministres, un des turn-overs les plus élevés de la Ve République pour une durée moyenne en poste de 18 mois. "Beaucoup de ministres ont ressenti cette contradiction", convient auprès de LCI Yves Cochet, ministre de l'Environnement de Lionel Jospin entre 2001 et 2002. Période pendant laquelle, il aura vu le Premier ministre, "peut-être cinq fois, un quart d'heure, en tête à tête". Une illustration du peu d'intérêt que représentaient les préoccupations de l'ex-député aux yeux de son patron ? "Il était surbooké, bien sûr, mais c'est vrai que l'écologie, il s'en foutait un peu : des écolos au gouvernement, d'accord, mais ça n'allait pas plus loin."

Yves Cochet et Lionel Jospin en 2001.
Yves Cochet et Lionel Jospin en 2001. - AFP

Manque d'intérêt, et donc, isolement : "On est un peu des vers solitaires", sourit encore le Breton, en référence aux intérêts divergents qu'il cultivait avec ses collègues ministres. "Je me souviens du ministre des Transports Jean-Claude Gayssot, très productiviste, qui voulait absolument son tunnel du Mont-Blanc et toutes ces conneries, ou du ministre de l'Industrie qui était à fond derrière le nucléaire." Des contrariétés que confirme pour LCI Philippe Martin, qui a occupé l'hôtel de Roquelaure entre 2013 et 2014 : "Vous imaginez bien que le ministre de l'Ecologie que j'étais n'était pas favorable à la suppression de l'écotaxe ou à la libéralisation des barrages hydroélectriques pour faire plaisir à l'Union européenne. Ce qui m'a bien sûr valu des divergences avec Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg." Pourtant, la sensibilité des autres membres du gouvernement aux préoccupations écologiques est prioritaire, plaide-t-il : "Sinon, ça n'a pas de sens, on se retrouve à être le ministre des oiseaux et des fleurs sauvages".

J'ai fait enlever les belettes de la liste des animaux nuisibles : des associations m'ont écrit pour me remercier. Ça fait plaisir mais, pardon, tout le monde s'en fout, des belettes !
Yves Cochet, ministre de l'Environnement de 2001 à 2002

Les différents arbitrages auxquels est confronté un chef du gouvernement face à ses ministres donnent souvent le ton de la politique donnée. Yves Cochet, qui veut placer l'écologie en modèle économique "concurrent des paradigmes productivistes que sont le libéralisme et le socialisme", l'a ressenti profondément. "Quand vous rentrez au gouvernement, vous devez emmerder vos collègues, les déranger, leur déplaire, sur des dossiers comme l'alimentation, le logement, la politique étrangère, les transports. Mais c'est difficile quand vous avez un périmètre défini par le Premier ministre". Une difficulté qu'ont pu éprouver ses successeuses Chantal Jouanno ou Nathalie Kosciusko-Morizet qui, au-dessus d'elles, devaient composer avec un président qui ne faisait pas mystère de l'agacement que lui procurait le sujet : "L'environnement, ça commence à bien faire", avait en effet tranché Nicolas Sarkozy début 2011, entre autres poncifs sur l'opposition entre "le progrès" et "le retour à la bougie" que prônerait l'écologie politique. Le tout, trois ans après avoir communiqué à grands frais sur le Grenelle de l'environnement.

Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy au salon de l'agriculture en 2011.
Nathalie Kosciusko-Morizet et Nicolas Sarkozy au salon de l'agriculture en 2011. - AFP

Dance ce contexte de désintérêt poli, Yves Cochet tire de son expérience ministérielle un bilan "enrichissant, très enthousiasmant, mais décevant." Qu'a-t-il pu faire ? "Les arbitrages du Premier ministre m'étaient bien souvent défavorables, par exemple sur l'application du principe de précaution sur les OGM, mais Bernard Kouchner était pour..." Restent alors des actions plus symboliques : "J'ai obtenu une promotion du prix du KW/h d’origine photovoltaïque. J'ai fait enlever quelques animaux de la listes des espèces nuisibles qui pouvaient être chassés par des méthodes non autorisées aux chasseurs, la belette, la martre, le putois... J’ai reçu des lettres d’associations de défense des animaux pour me remercier. Ça fait plaisir, mais, pardon, tout le monde s’en fout, des belettes !" Philippe Martin estime, lui, avoir été un peu plus entendu : "J'ai eu des arbitrages favorables, par exemple la contribution climat énergie (plus connue sous le nom de taxe carbone, ndlr) que Jean-Marc Ayrault m'a laissé annoncer devant les écologistes, à l'été 2013. Ça témoigne d'une certaine confiance." Quand bien même Jean-Marc Ayrault était extrêmement attaché à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

Un empêcheur de croître en rond
Philippe Martin, ministre de l'Environnement entre 2013 et 2014

La marge de manœuvre reste limitée. D'abord pour des raisons de politique économique : "Le ministre de l'Ecologie peut souvent être vu comme un empêcheur de croître en rond, observe Philippe Martin. Il va vouloir retarder un chantier parce qu'on doit protéger une espèce, et donner l'impression qu'il ne s'intéresse ni à l'emploi, ni à l'économie. [...] C'est tout le problème de l'écologie politique : les gouvernants veulent recevoir les lauriers de leur politique. Mais en matière d'écologie, le fruit de vos actions ne paye pas à court terme. Ça ne se voit qu'une fois que vous être parti." Le poids des lobbies, fortement dénoncé par Nicolas Hulot, n'est pas à négliger non plus. "Si vous avez la confiance du président et du Premier ministre, rien ne peut vous arriver", assure le président du département du Gers. Mais dans l'ensemble, rien de tel, regrette Yves Cochet : "J'ai vraiment éprouvé leur poids. Le nucléaire, la FNSEA, etc. Ils sont extrêmement forts, ils ont plein de fonctionnaires partout. Quel que soit notre poids, notre courage, Hulot, Voynet, Batho ou moi, on n'y arrive pas."

François Hollande et Philippe Martin
François Hollande et Philippe Martin - AFP

Le rôle de ministre est-il utile si la croissance est l'obsession du gouvernement ? C'était un peu "le putain de dilemme" dont parlait Nicolas Hulot à Libération. "Il faut faire le tri, juge Philippe Martin, plus mesuré que son médiatique successeur sur ce coup-là. Il y a des éléments de croissance qui peuvent être gardés, mais d'autres, qui menacent à terme la vie humaine sur la planète. De toute façon, la nature n'attend qu'une chose, c'est que l'espèce humaine la déserte pour se porter mieux." Yves Cochet, qui dirige aujourd'hui l'institut Momentum, spécialisé en collapsologie, cette science qui prédit, recherches et études à l'appui, "l'effondrement", a renforcé son engagement et plaide pour la décroissance : "Les modèles libéraux, productivistes sont incompatibles avec la défense de l'environnement. Si vous vouliez vraiment un gouvernement qui agisse là-dessus, il vous faudrait dix socialistes, dix écologistes et dix insoumis".

En dehors de ça, difficile d'avoir le moral et de percevoir le sens de son quotidien : "Je me mets à la place de Nicolas Hulot, compatit Philippe Martin. Une décision positive le lundi, une négative le mardi, une avancée le mercredi, un recul le jeudi, ça ne peut pas marcher comme ça." Et ça n'est pas sans effet sur l'équilibre personnel, comme en témoigne les attitudes souvent à fleur de peau observées chez le ministre démissionnaire : "Ce qui rend fou, ce qui donne envie de hurler, et je pense qu'il a dû le ressentir comme ça, c'est qu'on se dit : 'Mais putain, rendez-vous compte ! Mes petits-enfants, qui ont 5 et 10 ans, en 2050, ce sera horrible pour eux !" Remplacé par Elisabeth Borne, François de Rugy rejoindra-t-il les rangs des anciens ministres désabusés sur leur fonction d'ici quelques années ?


Antoine RONDEL

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