"On en arrive à ne plus avoir de goût" : un maire explique les raisons de sa démission

"On en arrive à ne plus avoir de goût. Or c'est une fonction tellement importante, tellement riche, qui demande tellement d'afflux, que si vous n'avez pas la pêche, c'est difficile à supporter." À l'été 2021, un an après sa réélection à la tête de la mairie d'Hennebont (Morbihan), 16.000 habitants, André Hartereau démissionne. Comme lui, de plus en plus d'édiles quittent leur fonction, alerte l'Association des maires de France. 

Depuis les élections municipales de 2020 ils seraient 1000 à avoir jeté l'éponge, à cause de difficultés à concilier vie personnelle et professionnelle avec leur mandat ou d'un impact nocif des réseaux sociaux sur leur santé mentale. Ce qu'a confirmé André Hartereau à TF1info.

Lorsqu'il est élu en 2014, il ne découvre pas les difficultés qui incombent à sa nouvelle fonction : il était déjà conseiller municipal depuis douze ans et former des élus était son métier. "Oui, je connaissais le sujet. Mais entre le connaître et le vivre, il y a une sacrée différence", explique-t-il. "J'ai très vite compris que l'équilibre entre la vie familiale, la vie professionnelle et la vie d'élu allait être compliqué à gérer", ajoute celui qui fait rapidement le choix de se consacrer à son mandat, pour lequel il est indemnisé 1500 euros net. 

Voilà pour le premier obstacle, "inhérent à la fonction, et que chacun résout comme il le souhaite : en assumant le déséquilibre permanent ou en choisissant de sacrifier sa vie personnelle ou professionnelle", constate celui qui était également vice-président de Lorient agglomération.

André Hartereau nous a également parlé de la "frustration" ressentie à ne pas pouvoir résoudre tous les problèmes ou à devoir faire des choix entre certains services publics à cause de la baisse des dotations de l'État. "Toutes les revendications de la population arrivent au maire, du nombre de ballons nécessaires pour le club de football aux demandes de repas bio pour la cantine. C'est normal, ce n'est pas un problème. Mais en face, il y a de moins en moins de moyens. Hennebont a perdu plus d'1,2 million d'euros de dotations de l'État par an sur l'ancien mandat", regrette-t-il. 

"Donc pour ne pas sacrifier les centres de loisir, les cantines ou la piscine, qui creusent le déficit de la commune, on rationalise, on tire les marchés. On décide que la cantine se satisfera du mieux disant financièrement quitte à ce que tous les repas ne soient pas bios ou en circuit court et on baisse la température de l'eau de la piscine. Être maire c'est gérer la frustration, entendre des besoins parfaitement légitimes mais être dans l'incapacité d'y répondre", lance-t-il, amer. 

Un phénomène plus récent a également fait son apparition : les menaces directes, notamment via les réseaux sociaux, les critiques et les sollicitations permanentes. "Si vous y répondez, vous alimentez la bête, si vous n'y répondez pas, vous laissez la fake news se diffuser", déplore André Hartereau. "Il y a des jours où vous acceptez, quand vous êtes en forme ça n'a pas d'importance. D'autres, ça vous fait mal, notamment quand il y a un grain de sable dans votre vie personnelle, et sur la durée ça peut même faire très mal. On en arrive à ne plus avoir de goût."

Aussi, la crise Covid est passée par là, qui a laissé les élus très seuls en première ligne. "Je me souviens d'un coup de téléphone du préfet me disant 'Vous avez 4 Ehpad sur le territoire de votre collectivité, plus de 600 personnes dans les Ehpad avec un centre de gériatrie important, vos chambres funéraires ne seront pas suffisantes, est-ce que vous pensez dès maintenant équiper un gymnase en chapelle ardente ?'. J'ai pris ça en pleine face", relate celui qui s'occupe aujourd'hui du haras de la ville. 

Pour aider les édiles, André Hartereau propose de mettre à leur disposition une cellule d'écoute. "Je pense que ce n'est pas facile pour un maire de se confier à son équipe", explique celui qui a pu bénéficier du soutien de son épouse. "Un numéro pour parler avec un autre maire, qui éventuellement viendra avec quelqu'un dont le métier est l'écoute pour faire le point, je pense que ce serait très utile", suggère-t-il. Il espère que l'éducation, la création de liens entre les gens pourront remédier à la crise des vocations qui touchent les élus locaux. "Le danger est réel pour la démocratie locale. En 2020, dans beaucoup de villes, il n'y avait qu'une seule liste, voire pas du tout. Une seule liste, ça veut dire peu de pluralité, et donc pas de démocratie."