Limiter la diffusion d'images des forces de l'ordre : pourquoi cette proposition de loi fait polémique

Publié le 17 novembre 2020 à 12h16, mis à jour le 17 novembre 2020 à 15h38

Source : JT 13h Semaine

SECURITE - Une proposition de loi LaREM "relative à la sécurité globale" est discutée le 17 novembre à l'Assemblée nationale. Plusieurs dispositions visant à "protéger" les policiers font polémique, dont celle visant à encadrer la diffusion d'images des forces de l'ordre, épinglée par la Défenseure de droits.

La protection renforcée des forces de l'ordre se fera-t-elle au détriment de la liberté d'informer ? C'est la question qui doit être débattue à l'Assemblée nationale le 17 novembre à l'occasion de l'examen de la proposition de loi "relative à la sécurité globale", un texte polémique à l'initiative des députés LaREM et Agir qui subit le feu de plusieurs organisations de défense des droits de l'homme, Syndicat de la magistrature, syndicats et sociétés de journalistes

Adopté en commission le 4 novembre, le texte porté par les députés LaREM Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, ancien patron du Raid, comprenait initialement une série de mesures visant à élargir le champ de compétences des polices municipales afin de permettre aux forces de l'ordre de se concentrer sur des missions prioritaires. La proposition de loi initiale, fondée sur un rapport des deux députés, a été considérablement élargie, avec un volet tenant à la protection des forces de l'ordre, et notamment un titre IV qui concentre aujourd'hui les inquiétudes. 

La diffusion d'images de policiers en question

Ce titre IV contient plusieurs mesures destinées à fournir "un cadre d'action clair et protecteur" pour les agents. L'article 23 réduit la possibilité de réduire les peines pour les personnes "qui se sont rendues coupables d'infraction sur les forces de sécurité intérieure". L'article 24, le plus polémique, "prohibe l'usage malveillant de l'image des policiers nationaux et militaires de la gendarmerie en intervention", selon les termes du texte.

Cet article modifie la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse en prévoyant de punir d'un an de prison et de 45.000 euros d'amende "le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, dans le but qu'il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l'image du visage ou tout autre élément d'identification d'un fonctionnaire de la police nationale ou d'un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu'il agit dans le cadre d'une opération de police". A charge pour un juge, donc, d'évaluer cette intention de nuire. 

Jusqu'ici, le droit de filmer les forces de sécurité intérieure était précisé dans la note du 23 décembre 2008, qui stipulait que "les policiers ne peuvent s'opposer à l'enregistrement de leur image lorsqu'ils effectuent une mission", et qu'il est "exclu d'interpeller pour cette raison la personne effectuant l'enregistrement, de lui retirer son matériel ou de détruire l'enregistrement ou son support". Il ne pouvaient, non plus, empêcher la diffusion de ces images. Les seules limitations portaient sur le risque d'atteinte au secret de l'enquête, le fait de filmer l'auteur présumé d'un délit, et la diffusion d'images permettant d'identifier des agents des services d'intervention, de l'anti-terrorisme et du contre-espionnage. 

"Risques considérables" pour les droits fondamentaux

Outre les nombreuses critiques venant de l'opposition, des associations et des sociétés de journalistes, la proposition de loi a fait l'objet d'un avis particulièrement sévère de la Défenseure des droits Claire Hédon. Elle "soulève des risques considérables d'atteinte à plusieurs droits fondamentaux", a fait valoir cette dernière, "notamment au droit à la vie privée et à la liberté d'information"

Alors que le fait de filmer des opérations des forces de l'ordre a été considéré dans de nombreux cas comme le témoignage de violences commises à l'égard de manifestants, l'autorité indépendante rappelle "l'importance du caractère public de l'action des forces de sécurité", jugeant la diffusion de ces images "nécessaire au fonctionnement démocratique"

La Défenseure des droits pointe en outre d'autres articles de la loi susceptible, selon elle, de porter atteinte à la vie privée. Par exemple, l'extension de la possibilité de consulter des images de vidéosurveillance aux policiers municipaux, l'exploitation en temps réel des images des caméras piétons des policiers et le recours étendu aux drones comme outils de surveillance. 

"Le strict respect du droit à la vie privée et de la liberté d'information est notre boussole depuis 2017 : nulle avancée ne doit se faire au détriment du respect des droits fondamentaux", ont répondu, le 6 novembre, Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot. Les députés ont assuré que "l'article 24 ne remet pas en cause la liberté d'informer et la libre diffusion d'images par des citoyens ou des journalistes". "Seule constituera un délit la diffusion de l'image du visage d'un policier avec l'intention de nuire à son intégrité physique ou psychique, c'est-à-dire un appel à la violence ou des menaces de mort, par exemple", argumentent-ils. Pas sûr que ces garanties rassurent les pourfendeurs du texte. Quand bien même ces images seraient considérées a posteriori, en cas de menaces contre un policier, les opposants estiment qu'une telle loi aurait un effet dissuasif sur ceux qui, journalistes ou citoyens, souhaiteraient filmer les forces de l'ordre à des fins d'information. 


Vincent MICHELON

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