Législatives : pourquoi la menace d'un nouveau record d'abstention pèse sur le scrutin

par Maëlane LOAËC
Publié le 6 juin 2022 à 18h18

Source : JT 20h WE

Après un record historique d'abstention en 2017, le tableau est loin d'être plus optimiste pour cette année.
D'ordinaire, les législatives sont déjà des élections peu mobilisatrices.
Et cette année, la campagne peine à décoller : les électeurs ont le sentiment que tout s'est déjà joué à la présidentielle.

De scrutin en scrutin, elle grimpe : lors des dernières législatives, elle concernait plus d’un électeur sur deux. Au second tour de 2017, l’abstention avait atteint 57,36 %, un record sous la Ve République. Lors de la prochaine échéance électorale, les 12 et 19 juin, atteindra-t-elle les mêmes sommets ? Tout le laisse penser, selon de récentes enquêtes d’opinion. "Les indicateurs sont tous au rouge", prévient Frédéric Dabi, directeur général Opinion de l’Ifop, auprès de TF1info. 

Si le scénario d’une forte abstention se confirme, "ce serait seulement la deuxième fois dans l’histoire de la Ve République que l’on aurait une abstention majoritaire à un scrutin national, ce qui est spectaculaire", s’inquiète-t-il. Son institut de sondage donnait il y a une semaine 52% d’abstention, dans une enquête pour le Journal du Dimanche. Par ailleurs, seuls 38% des Français disent suivre régulièrement la campagne des législatives, selon un sondage BVA pour RTL publié vendredi.

Un désintérêt massif loin d’être surprenant, à en voir la "tendance globale à la hausse de l’abstention" sur toutes les dernières élections - municipales, départementales et régionales -, et plus largement "la crise de confiance des Français vis-à-vis de l’activité politique en général", pointe Pascal Perrineau, politologue et professeur émérite à Sciences Po. 

Des élections souvent peu mobilisatrices

Mais les législatives sont habituellement des élections particulièrement peu mobilisatrices, tout d’abord par leur fonctionnement : les candidats doivent obtenir 12,5% des voix des inscrits pour accéder au second tour. "Les chances sont donc faibles, et les électeurs sont susceptibles d’abandonner d’avance", note Pascal Perrineau, estimant qu’aucune triangulaire (second tour à trois candidats) ne se dégagera du scrutin.

Autre facteur de démobilisation : ces élections se tiennent après la présidentielle, suite à une inversion du calendrier électoral votée en 2001. "Elles apparaissent comme des élections de second ordre : les Français considèrent qu’après l’élection présidentielle, la messe est dite, et qu’au fond les législatives sont accessoires, sans enjeu véritablement important", poursuit-il. 

"Comme les législatives sont couplées avec la présidentielle, elles sont aussi indexées sur elle. Il n’y a pas eu de rampe de lancement de la présidentielle vers un intérêt pour les législatives", ajoute Frédéric Dabi, qui y voit "un facteur aggravant". Le scrutin présidentiel et sa campagne relativement atone, éclipsée par le conflit en Ukraine, aurait donc laissé dans son sillage des électeurs lassés, sans envie de se réinvestir dans une nouvelle élection

La majorité présidentielle peine à créer l’engouement

La campagne des législatives n’a d’ailleurs elle-même "absolument pas eu lieu" selon l’expert, qui attend de voir si les partis seront capables de mobiliser leur électorat, "le nerf de la guerre" dans cette dernière semaine de sprint avant le premier tour. Mais pour la majorité présidentielle, cela est loin d’être gagné, estime-t-il. 

Là où les législatives font souvent office de confirmation du vote de la présidentielle, cet "effet de souffle" sur les législatives devrait bien moins prendre cette année. D’après les derniers sondages de son institut pour LCI, les macronistes obtiendraient toujours le plus de sièges, mais sans majorité absolue

Cet "effet déceptif" s’explique par une lassitude face au nouveau gouvernement, analyse Pascal Perrineau. "Après le scrutin présidentiel, il y a généralement une petite lune de miel. Mais pas cette année : au début de ce second mandat, il n’y a aucune nouveauté. Emmanuel Macron et Elisabeth Borne sont impopulaires, et parmi les ministres nommés, aucun n’a réussi à entraîner quelque mobilisation que ce soit", pointe le politologue.

La présidentielle passée, déjà trop tard pour l’opposition ?

Dans ce contexte qui lui est favorable, l’opposition pourrait-elle donc inverser la tendance et faire davantage déplacer d’électeurs aux urnes ? La Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) s’est imposée comme "le récit que les Français voient le plus, pour la première fois", Jean-Luc Mélenchon appelant à un "troisième tour" présidentiel, pointe Frédéric Dabi. Mais si le sondagier y voit "un élément d’espoir", il ne s’attend pas pour autant à un bond de participation des électeurs de gauche. 

Pascal Perrineau est encore plus catégorique : "Une majorité absolue pour la Nupes, c’est complètement impossible. Jean-Luc Mélenchon fait semblant de le croire, il espère seulement être le premier groupe d’opposition. Emmanuel Macron vient d’être choisi, les Français ne sont pas stratèges au point de faire en sorte de le priver de la possibilité d’appliquer sa politique", juge le politologue. 

Il estime notamment que les électeurs socialistes ou écologistes déçus par la Nupes se résigneront à ne pas voter. Quant à l’électorat jeune, qui avait plébiscité pour une forte part l’Insoumis à la présidentielle, il sera difficilement mobilisable désormais, car il a le sentiment que tout a déjà été joué. "La Ve République est un système présidentiel, qu’on le veuille ou non", résume-t-il.

Plus largement, ce sont surtout les plus jeunes et les classes populaires qui bouderont les urnes, comme à l’accoutumée, une "mauvaise nouvelle" pour le Rassemblement National, relève le politologue. À l’inverse, les macronistes pourraient conserver leur avance grâce à leurs électeurs plus âgés, de classe moyenne ou bourgeoise, habitués à voter. Un électorat soutenant aussi les Républicains qui, bien que destinés à perdre leur titre de premier groupe à l’Assemblée, pourraient ainsi "tirer leur épingle du jeu"


Maëlane LOAËC

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