Législatives : comment expliquer la percée historique du Rassemblement National ?

Propos recueillis par Aurélie Loek
Publié le 20 juin 2022 à 21h40

Source : Sujet JT LCI

Avant le second tour des législatives, des estimations prédisaient un groupe parlementaire au Rassemblement national de 45 sièges maximum.
Le parti a finalement doublé ces attentes en décrochant 89 députés, contre 8 lors de la précédente législature.
Explications avec la chercheuse Christèle Lagier.

C'est une véritable victoire pour le Rassemblement national. À la grande surprise des sondages, qui prédisaient une cinquantaine de sièges maximum au parti de Marine Le Pen, ce sont 89 députés qui se sont finalement qualifiés au second tour des élections législatives. 

Non content d'avoir un groupe pour la première fois à l'Assemblée nationale, le RN pourrait même devenir le premier parti d'opposition. La chercheuse en science politique à l'Université d'Avignon, Christèle Lagier, spécialiste de l'extrême-droite dans le Vaucluse et le Sud de la France, explique cette percée historique.

Comment expliquez-vous que le Rassemblement national ait rencontré un tel succès lors de ces élections législatives ? 

C'est la traduction parlementaire de l’installation dans le paysage politique nationale du RN depuis plusieurs années. On ne peut pas vraiment comprendre la qualification de ces candidats lors de cette élection sans replacer les choses dans l’histoire de ce parti qui s’est largement implanté, enraciné. Il a été très aidé aussi par les partis de droite qui lui ont précipité la tâche. Cette traduction parlementaire, elle est la conséquence de l’affaiblissement de la droite républicaine.

Si vous prenez la région Sud, dans le Var ou dans le Vaucluse, des terres où la droite était très implantée, on a vu progressivement le RN grignoter les suffrages au détriment de la droite. Aujourd'hui, cela se traduit en députés. Par ailleurs, on voit aussi des circonscriptions où le RN fait une apparition alors qu’il n’était pas implanté sur ces territoires-là, à la faveur d’un vote anti-Macron très fort. Il a été sans doute beaucoup plus prégnant chez les électeurs qui se sont mobilisés que ce qu’on avait pu l’appréhender lors de la présidentielle.

L’autre raison qui explique la percée du RN est le fait qu’on a une offre politique très instable, avec des responsables politiques qui changent d’étiquette politique, des partis qui changent de noms, des responsables qui ne disent plus qu’ils sont à gauche ou à droite. Plus personne ne sait très bien s'y retrouver. Finalement, le RN est un repère un peu stable pour une partie des électorats et notamment des électorats de droite. 

D'autant que Marine Le Pen joue depuis maintenant une quinzaine d’années une banalisation dans le paysage politique. Elle a été qualifiée deux fois au second tour d’une élection présidentielle et cette année, elle a bénéficié de la candidature d’Éric Zemmour qui l’a beaucoup aidée pour normaliser sa position. Elle se retrouve presque légitimée dans une configuration face à une majorité présidentielle élue par un électorat qui ne lui était pas acquis.

Le vote RN, un vote aussi de contestation

Pourquoi cette large progression a-t-elle été une surprise le soir du 2e tour ? 

Oui, on l’a vu, les élus du RN eux-mêmes étaient très surpris. Le problème, et on le dit depuis plusieurs scrutins, c'est qu'on présente systématiquement les résultats en pourcentage des suffrages exprimés, en expliquant qu’on a des vagues macronistes, ou qu’on a des vagues bleues… alors qu’en fait, cela ne veut plus rien dire quand vous avez plus de la moitié du corps électoral qui s’abstient

Aujourd'hui, on a un comportement intermittent majoritaire, c’est-à-dire une grande partie des électeurs qui ne votent pas de manière systématique. Ils ne votent pas en plus pour les mêmes candidats parce que vous avez des repères politiques qui ont été complètement brouillés, à dessein. Vous avez donc toute une partie du pays qui ne se sent pas représentée pas les responsables politiques depuis plusieurs années. Ils trouvent alors des modes d’expression très erratiques pour l'exprimer, parfois dans l’abstention, parfois dans les votes des extrêmes, qu’ils soient de gauche ou de droite. Puis ponctuellement, ils peuvent aussi se raccrocher à des candidatures locales qu'ils connaissent. Tout cela rend très difficile les prévisions que les sondages prétendent faire.

Cette percée du Rassemblement nationale marque-t-elle la fin du barrage du "Front républicain" ?

Je pense que les conditions d’existence de ce front républicain sur ce 2e tour n’étaient pas réunies. Les électeurs de gauche auraient peut-être attendu que la majorité présidentielle renvoie l’ascenseur. Cela fait des années que des électeurs de gauche vont voter au 2e tour pour des candidats qui ne les représentent pas, et qui l’ont encore fait à la présidentielle. Là, le discours de la majorité présidentielle sur l’équivalence des extrêmes était très ambigu

Forcément, le Front républicain ne marche pas. Quand vous expliquez que c’est la même chose, vous avez aussi des électeurs de gauche qui se sont sentis un peu trahis dans ces configurations-là et qui ont pu favoriser aussi l’élection de députés du RN dans des duels Ensemble!-RN. Certes, les consignes n’étaient pas si claires du côté de la gauche, mais en réponse, je pense. La consigne était très claire au lendemain du premier tour de la présidentielle. 

Nous, on travaille sur des mouvements très fins au niveau des bureaux de vote. On voit très bien que les électorats de Marine Le Pen et les électorats de Jean-Luc Mélenchon, ce ne sont pas les mêmes. Ni politiquement, ni socialement. Quand il y a des consignes claires, ce sont des électorats qui ne se retrouvent pas. Par contre, si les consignes ne sont pas claires, vous pouvez favoriser de l’abstention, du vote blanc et puis du vote de dépit. C’est sans doute ce qu’il s’est produit là dans ce 2e tour.


Propos recueillis par Aurélie Loek

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