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Fraude fiscale : une récente réforme a-t-elle permis à Google d'économiser six milliards d'euros ?

Publié le 2 avril 2022 à 16h45

Source : TF1 Info

Fabien Roussel veut lutter contre la fraude fiscale, en particulier celle des grandes entreprises.
Le candidat communiste pointe du doigt une loi instaurée durant l'actuel quinquennat, permettant de négocier des amendes pour les sociétés incriminées.
Il fait référence à un accord trouvé en 2019 avec Google, mais présente les faits de manière contestable.

Invité de France 2 jeudi soir, le candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel a évoqué les mesures qu'il souhaiterait appliquer une fois à l'Élysée. Il a aussi regretté que des dispositions prises durant le quinquennat actuel permettent "aux fraudeurs fiscaux de négocier leurs amendes". 

L'exemple avancé par Fabien Roussel ? Google, qui a été "rattrapé par la patrouille, devait payer sept milliards d'impôts, mais a négocié et au final en a payé un". Au bout du compte, les grands groupes "gagnent toujours", déplore le chef de file du PCF. Une présentation succincte et globalement trompeuse des faits.

"Amende d'intérêt public"

À quel épisode Fabien Roussel fait-il référence ? 

Le candidat évoque un accord conclu le 3 septembre 2019 entre le procureur de la République financier et les représentants des filiales françaises et irlandaises de Google. La firme américaine s'engageait alors à verser à l'État français 953 millions d'euros. Une "amende d'intérêt public", actée au terme de négociations avec les pouvoirs publics et mettant à toutes les procédures judiciaires. 

Qu'était-il reproché à Google ?

L'entreprise était dans le viseur de Bercy depuis plusieurs années déjà, poursuivie notamment pour "fraude fiscale aggravée" depuis 2015 par le parquet national financier (PNF). Google, via l'accord conclu en 2019, n'a pas reconnu officiellement de culpabilité, mais a accepté collaborer avec l'État pour trouver un arrangement à l'amiable.

Une négociation d'un genre nouveau ?

Fabien Roussel évoque l'influence du gouvernement dans cette affaire, à juste titre. En effet, une telle procédure se révèle assez nouvelle. Elle a vu le jour en 2016 et porte le nom de convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Conçue à l'origine pour régler des contentieux liée à des affaires de corruption, elle a été entendue à l'initiative de l'actuel gouvernement, afin de pouvoir couvrir également la fraude fiscale. Cette prolongation remonte à 2018.

Pourquoi évoquer une amende potentielle de 7 milliards d'euros ? 

Lorsque le candidat communiste mentionne la somme qu'aurait pu avoir à débourser Google dans ce dossier, il fait référence au document publié suite à la signature de la CJIP. Figure en effet un montant d'amende potentiel pouvant aller jusqu'à 8,2 milliards d'euros, un montant supérieur aux 7 milliards évoqués par Fabien Roussel. Ce total a été calculé en fonction de plafonds basés sur le chiffre d'affaires, comme le prévoit la loi. 

Un milliard d'euros payé par Google : la fin de la fraude fiscale pour les Gafa ?Source : JT 20h WE

Pourquoi avoir fixé un montant inférieur à 1 milliard d'euros, plutôt que de 8,2 milliards ?

La particularité de la CJIP réside dans la négociation qu'elle organise entre l'entreprise mise en cause et la puissance publique. Si les deux parties ne trouvent pas de terrain d'entente, alors la procédure se clôt sur un échec, laissant se poursuivre les procédures judiciaires. Il faut bien noter que l'État (qui poursuivait Google jusque-là) réclamait 1,15 milliard d'euros à l'entreprise dans le cadre d'un redressement fiscal, une somme finalement assez proche de celle obtenue en 2019 par le biais de la CJIP. Si le géant du numérique a accepté des négociations, c'est parce qu'il savait que l'amende infligée serait au bout du compte inférieure aux sanctions potentiellement encourues devant les tribunaux. 

Pourquoi le raisonnement de Fabien Roussel est-il trompeur ?

Dans sa présentation des faits, le candidat laisse entendre que les évolutions législatives mises en place ces dernières années ont empêché la France de réclamer à Google une somme de 7 milliards d'euros (8,2 en réalité), et que l'État serait sorti lésé par la négociation d'une amende d'environ 1 milliard. Or, sans l'extension de la loi de 2016, l'État n'aurait tout simplement rien pu réclamer sans porter l'affaire devant la justice. Une option envisageable, mais risquée et potentiellement longue.

"Avec Google, il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais procès"

Aller en justice aurait-il été plus profitable à l'État ?

Si l'on considère qu'une négociation avec Google aboutit à un accord trop favorable à l'entreprise, il aurait été possible de poursuivre les actions en justice déjà entamées. Mais la probabilité de victoire pour l'État était pour le moins discutable : le redressement fiscal d'1,15 milliard d'euros à l'encontre de Google a été annulé à l'été 2017 par le tribunal administratif, une décision confirmée deux ans plus tard en appel. Et rien ne permet d'affirmer que le Conseil d'État, qui aurait pu être sollicité en dernier recours, aurait rendu un verdict plus favorable pour Bercy. Conscient de la difficulté de faire condamner la firme américaine, le gouvernement s'est donc résolu à entamer des négociations. "Avec Google, il vaut mieux un bon accord qu’un mauvais procès", glissait en 2019 Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des comptes publics.

Une tentative d'apaisement de Google ?

En théorie, Google aurait tout à fait pu refuser une CJIP, miser sur une poursuite des procédures judiciaires et espérer échapper à toute sanction. Le choix de la négociation, avec une amende à la clef, apparaît ainsi comme un geste à l'égard des autorités, tout autant qu'une manière de redorer un blason écorné par les accusations de fraude fiscale. "Lorsqu’une entreprise accepte de renoncer à ses droits à contentieux et à payer ce que le fisc lui demande, c’est avant tout je pense pour une question d’image, à laquelle les entreprises sont très sensibles", expliquait Gérald Darmanin suite à l'accord trouvé en 2019. 

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Thomas DESZPOT

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