ANNONCES - Le Premier ministre a détaillé mercredi les options retenues pour la réforme des retraites. Face au mouvement social, le gouvernement retarde la transition vers le nouveau système par points à la génération 1975 pour le régime général, et 1985 pour les régimes spéciaux. Des primes sont prévues pour compenser certaines professions. L'âge pivot à 64 ans pour bénéficier du taux plein, est en revanche validé, avec prise en compte de la pénibilité et des carrières longues.
Sa prise de parole était attendue depuis plusieurs semaines, et rendue pressante par le mouvement social qui paralyse les transports. Edouard Philippe a annoncé mercredi les grandes options retenues pour la réforme des retraites lors d'un discours de près d'une heure au Conseil économique, social et environnemental. La France devra passer à terme dans un système "universel" - sans distinction entre régime général ou complémentaire -, obligatoire, par répartition et en points.
Le gouvernement, dont l'objectif est désormais de gagner l'opinion et de rallier les syndicats réformistes, a mis en avant plusieurs concessions notables. Parmi elles : le report de la transition vers le système par points pour le régime général à la génération 1975, ainsi que des primes pour compenser les pertes dans certaines professions.
En revanche, il a tranché en faveur de l'âge pivot à 64 ans pour bénéficier du taux plein, une mesure pourtant contestée également par les syndicats réformistes comme la CFDT. L'exécutif prévoit également une "règle d'or" imposant l'équilibre financier du système. Voici le détail des annonces.
Régime général : la bascule se fera à la génération 1975
L'exécutif a finalement repoussé d'une décennie la transition vers le système de retraite par points pour le régime général. C'est donc la génération 1975 qui sera la première à passer au nouveau régime, alors qu'il était de la génération 1963 au début de la concertation.
Le nouveau système de retraite par points s'appliquera à compter du 1er janvier 2022 pour tous les jeunes arrivant sur le marché du travail. Il s'appliquera également à cette date aux petites retraites, avec l'engagement sur le seuil de 1000 euros mensuels pour tous. Le régime par points s'appliquera à tous à partir de 2025.
"Nous avons conçu ce système pour les jeunes générations", a indiqué Edouard Philippe. "Ceux qui entreront pour la première fois sur le marché du travail en 2022 intégreront directement le nouveau système. La génération 2004 sera la première. Pour les personnes déjà dans la vie active, nous avons décidé de ne rien changer pour les personnes nées avant 1975". Le Premier ministre a toutefois précisé que "pour les personnes qui rejoignent le nouveau régime, la transition sera progressive". "Jusqu'à 2025, les retraites seront calculées selon l'ancien système. La génération de 1975 aura encore 70% de sa retraite calculée selon l'ancien système."
L'âge pivot fixé à 64 ans
Le chef du gouvernement a finalement retenu une mesure fortement contestée par les syndicats mais avancée depuis le début de la consultation, à savoir l'instauration d'un âge pivot assorti d'un bonus-malus selon qu'on part avant ou après cet "âge d'équilibre" à la retraite. L'objectif de la mesure est l'équilibre financier du système.
Cet âge pivot est fixé à 64 ans. L'âge légal de départ à la retraite reste de 62 ans, mais il faudra en principe atteindre l'âge pivot pour prétendre à une pension à taux plein. La réforme prévoit de laisser les partenaires sociaux fixer le montant du bonus-malus, mais elle propose par défaut un taux de 5% par an.
Le Premier ministre a cependant indiqué que les discussions autour de cet "âge d'équilibre" serait mises entre les mains d'une gouvernance assurée par les partenaires sociaux. "Nous ne pouvons pas mettre en place un âge d'équilibre à 64 ans d'un seul coup, en 2025. J'ai accepté de décaler le calendrier initial jusqu'à 2027", a-t-il indiqué. "Je propose de mettre en place la nouvelle gouvernance au plus tard le 1er janvier 2021. Elle aura à prendre des décisions à mettre en oeuvre dès le 1er janvier 2022."
Pénibilité, carrières longues et "retraite progressive"
La mise en oeuvre de "l'âge d'équilibre" connaîtra des aménagements. Ainsi, selon le Premier ministre, "les personnes qui ont travaillé tôt, avant 20 ans, pourront continuer à partir avant les autres". Plus exactement, il faudra avoir validé au moins cinq trimestres avant 20 ans pour partir deux ans plus tôt. En outre, les départs anticipés pour les travailleurs handicapés entre 55 et 59 ans seront conservés.
"Les personnes exerçant des métiers usants pourront partir deux ans plus tôt que les autres", a également détaillé Edouard Philippe. Le compte professionnel de pénibilité (P2P) sera ouvert aux fonctionnaires et aux salariés des régimes spéciaux, soit 250.000 personnes concernées, parmi lesquelles les infirmiers ou les aides-soignantes. Les métiers pénibles se verront ainsi accorder davantage de points, et les seuils de pénibilité relatifs au travail de nuit seront abaissés et applicables aux salariés du privé.
Edouard Philippe a en outre annoncé un "assouplissement du dispositif de retraite progressive, avec la possibilité de continuer à accumuler des points en cumulant retraite et activité". Alors que seuls 31% des 60-64 ans travaillent aujourd'hui, le dispositif permettant de travailler à temps partiel sera ouvert à l'ensemble des salariés, y compris les cadres au forfait. Ce travail à mi-temps permettra de continuer à cotiser en vue d'améliorer sa propre retraite.
La fin des régimes spéciaux confirmée
"Nous mettrons fin progressivement, sans brutalité, aux régimes spéciaux", a annoncé Edouard Philippe. "Le temps du système universel est venu, celui des régimes spéciaux s'achève."
La suppression des régimes spéciaux de retraite est au coeur du mouvement social, notamment dans les transports publics - SNCF et RATP en tête. Si cette suppression est maintenue dans son principe, la bascule ne sera pas immédiate, loin de là. Le gouvernement a opté en faveur d'une voie médiane, entre transition immédiate et "clause du grand-père".
Pour les fonctionnaires et les agents des régimes spéciaux dont l’âge légal de la retraite est 57 ou 52 ans, la première génération concernée sera 1980 (pour ceux dont l’âge est 57 ans) et 1985 (pour ceux dont l’âge est 52 ans). Les cotisations des salariés du privé, des régimes spéciaux et des fonctionnaires devraient en principe être identiques dans les 10 à 15 ans après l'entrée en vigueur du nouveau système.
Compensations pour les professions lésées
Pour répondre à la colère de certaines catégories de fonctionnaires, dont les enseignants, qui perdraient avec le nouveau système, l'exécutif a retenu la piste d'une revalorisation des primes pour compenser les pertes. Le chef du gouvernement promet aux enseignants d'inscrire dans la loi "la garantie d'un niveau de retraite comparable au niveau de la fonction publique".
"Nous mettrons l'accent sur les débuts de carrière", a-t-il ajouté au sujet des enseignants. "Le ministre de l'Education nationale réunira les organisations syndicales pour baliser une discussion qui fixera d'ici le printemps 2021 le cadre des rémunérations, des carrières et de l'organisation de l'Education nationale."
En outre, les "forces de sécurité intérieure conserveront le bénéfice de dérogation d'âge" actuellement en vigueur quand ces agents sont exposés au risque.
Au-delà de la fonction publique, l'exécutif promet aux professions qui bénéficiaient d'un régime spécifique, comme les avocats, que "les réserves" constituées grâce à leur bonne gestion "resteront dans les caisses des professionnels concernés" et "auront vocation à accompagner la transition vers le système universel. Il n'y aura pas de siphonnage".
Pour les professions libérales, "la réforme de la CSG et des cotisations vieillesse" sera mise en place "au 1er janvier 2022". Pour éviter une hausse de leurs charges, les indépendants auront un taux de cotisation identique aux salariés jusqu'à 40.000 euros annuels, puis de 12,94% (au lieu de 28,18%) entre 40.000 et 120.000 euros.
Compensations pour les femmes et les familles nombreuses
"Les femmes seront les grandes gagnants du système universel", a assuré Edouard Philippe, qui promet "une compensation du congé maternité à 100%", dès le premier jour d'arrêt, et confirme la majoration des pensions de 5% dès le premier enfant. Les personnes (en majorité des femmes) qui doivent actuellement travailler jusqu'à 67 ans pour compenser les pertes liées aux interruptions de carrière et éviter une décote pourraient ainsi, à terme, s'arrêter de travailler plus tôt, selon le chef du gouvernement.
En outre, au-delà des 5% de majoration dès le premier enfant, est prévue une autre compensation de 2% pour les familles de trois enfants et plus.
Le système de la réversion sera "préservé" et "amélioré", assure aussi le Premier ministre, "en garantissant 70% des ressources du couple au conjoint survivant" sans conditions de ressources.
En cas de congé maladie, en outre, une interruption d’activité dépassant les 30 jours par an donnera lieu à l’acquisition de points sur la base du revenu de l’année précédente.
Retraite minimale à 1000 euros, surcotisation pour les hauts salaires
Selon le projet du gouvernement, "le système universel permettra de mieux protéger les Français les plus fragiles". "Nous garantirons une pension minimale de 1000 euros nets par mois [à partir de 2022] pour une carrière complète au Smic", a indiqué Edouard Philippe. En outre, "le minimum de pension sera garanti par la loi à 85% du Smic net" pour toute personne ayant cotisé toute sa vie avec des revenus modestes.
Le projet prévoit en outre que les pensions soient désormais indexées sur les salaires, partant du principe que ce fonctionnement serait plus avantageux que l'indexation sur l'inflation. Il s'appuie sur l'évolution récente, qui montre une hausse plus forte des salaires que de l'inflation.
Dans le nouveau dispositif, précise le gouvernement, les Français les plus défavorisés pourront bénéficier "de points financés par la solidarité nationale au titre de leurs périodes d'inactivité involontaire", d'une valeur identique à celle des points accumulés lorsqu'ils étaient en activité. Les périodes de chômage et d'invalidité donneront lieu à l'acquisition de points, sur la base des indemnités versés pour le chômage, et sur la base des dix meilleures années d'activité pour l'invalidité.
Le chef du gouvernement a en outre confirmé à ce titre que les hauts salaires feront toujours l'objet, au nom de la solidarité, d'une surcotisation au-delà des 120.000 euros par an. Le taux de cotisation de 28,18% sera le même pour tous jusqu'au palier de 120.000 euros, au-delà duquel s'ajoutera une cotisation de 2,81%.
Une "règle d'or" sur la valeur du point, une autre sur l'équilibre financier
Edouard Philippe a confirmé que la réforme s'accompagnerait d'une garantie pour tous, à savoir une sanctuarisation de la valeur du point, qui aura "la même valeur pour tous les Français". Celle-ci ne pourra pas baisser au cours du temps. Une loi devra consacrer cette "règle d'or".
La valeur du point sera fixée par les partenaires sociaux. Le principe est que chaque heure cotisée permettra d'acquérir des points. Selon le dossier de presse fourni par le gouvernement, le scénario pourrait être celui d'un rendement du point égal à 5,5% pour un assuré partant à taux plein.
En outre, les pensions resteront revalorisées selon les prix "afin de garantir le pouvoir d'achat des retraités", selon les précisions du gouvernement.
Une autre "règle d'or" établira toutefois l'obligation, pour le système universel, d'être à l'équilibre par période de cinq ans. Le conseil d'administration de la caisse de retraite universelle sera chargé chaque année "de fixer les évolutions des paramètres", valeur d'achat du point, âge d'équilibre, taux de cotisation ou encore indexation des pensions. Autrement dit, l'instauration du nouveau système permettra des mesures paramétriques régulières.
Le calendrier de la réforme
Edouard Philippe a appelé mercredi les présidents d'entreprises publiques à "engager le dialogue avec les organisations syndicales afin que les grèves s'arrêtent".
Le projet de loi portant la réforme des retraites sera prêt "à la fin de l'année", et présenté en conseil des ministres le 22 janvier, en vue d'un débat au Parlement fin février 2020. Le texte de loi "renverra à des ordonnances et des décrets les précisions sur les transitions. Le dialogue social continuera pour en préciser les modalités". La loi devrait en principe être votée d'ici à l'été 2020.
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