REPORTAGE - Plusieurs communes de Seine-et-Marne comme Flagy et Villecerf ont mis en place depuis décembre un cahier de doléances dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. Mais sur ce territoire rural, le "grand débat" proposé par Emmanuel Macron fait chou blanc.
Des "oubliés de la République" à seulement 1h30 de Paris. Flagy, 644 habitants, et Villecerf, 714 habitants, des bourgs situés au sud de la Seine-et-Marne, font partie de ces nombreuses communes rurales qui ont mis en place, dès le 10 décembre, des "cahiers de doléances" pour faire remonter au gouvernement la parole des habitants de ces territoires où le mouvement des Gilets jaunes est profondément ancré et soutenu.
Flagy est une jolie commune estampillée "village de caractère", dont les charmes ont servi, en 2016, de décor au film "Bonne Pomme", avec Catherine Deneuve et Gérard Depardieu - opportunité qui a permis au maire de créer son propre festival de cinéma. Mais dont les habitants sont frappés au premier chef par les difficultés recensées par les Gilets jaunes : pouvoir d'achat, difficulté de vivre de son travail, sentiment de relégation vis à vis de la métropole.
"C'est dit avec le coeur et les tripes"
Aussi, quand leur édile, Jacques Drouhin (notre photo), a mis à leur disposition ce cahier de doléances, ils ne se sont pas privés d'exprimer colère et revendications. "J'en ai reçu une centaine, c'est pas mal", explique ce maire sans étiquette et président de l'Association des maires ruraux du 77, qui remettra, lundi à Paris, l'ensemble de ces documents aux pouvoirs publics.
Des doléances exprimées "avec le coeur et les tripes", nous dit l'élu, qui en disent long sur l'étendue des besoins. Certaines sont récurrentes et bien connues : la baisse des taxes, le gel de la CSG, le rétablissement de l'ISF... Mais elles vont bien au-delà. Un jeune créateur d'entreprise indique avoir "beaucoup souffert de l'arrêt des emplois aidés" décidé par le gouvernement. La lettre d'un autre habitant énumère : des mesures pour le pouvoir d'achat des "classes moyennes" qui "payent tout" et "n'ont aucune aide", la réduction "drastique" des "avantages des élus", la "renationalisation des autoroutes", l'affectation intégrale des taxes sur le carburant "à la transition écologique" ou encore le rétablissement des services publics dans les campagnes.
Au fil des jours, note Jacques Drouhin, la parole s'est durcie. "Les dernières doléances montrent un crescendo. On parle de plus en plus d'états généraux. On revient à 1789. On parle de radicalisation, mais il faut faire attention à la grande souffrance qui s'exprime. Certains veulent dire 'attention, on arrive à un moment où, si ça doit péter, il faut que ça pète, pour repartir à zéro'".
"Ici, les gens discutent"
A six kilomètres de là, le village de Villecerf a pris, lui aussi, l'initiative d'un cahier de doléances. La tonalité est sensiblement la même, à entendre son maire, François Deysson, lui aussi sans étiquette, qui vient de rencontrer la délégation des Gilets jaunes de Fontainebleau, qui centralise le mouvement dans le secteur. Les taxes et les retraites, bien sûr, mais aussi les difficultés liés aux transports, l'absence de "commerces de proximité", ou encore le ressenti au sujet d'un gouvernement qui "dénigre le peuple", ou qui reste "déconnecté" de ses attentes. "La préfète de Seine-et-Marne s'est étonnée du faible nombre de doléances qui remontaient des villes comme Meaux, Melun, ou Fontainebleau, contrairement aux petites communes", explique François Deysson. "Ce n'est pas étonnant. Ici, on est dans un village. Que les gens soient contents ou non, ils discutent. Ces sujets concernent la ruralité. Nous ne sommes pas en Auvergne, mais ici aussi, nous souffrons du manque de services, et il y a toute une classe moyenne - et au dessous- qui se trouve déclassée".
A Villecerf, l'existence des "doléances" n'a d'ailleurs échappé à personne. Une vieille dame, devant la mairie, assure qu'elle ira, elle aussi, remplir le registre. Pour y raconter quoi ? "Je ne sais pas encore", reconnaît-elle, évoquant d'ores et déjà "le sujet des taxes". "J'irai mais avec le travail, je n'ai pas encore eu le temps", répond pour sa part le gérant d'un petit bar-restaurant situé à 200 mètres de la mairie, qui arbore une affiche des Gilets jaunes sur sa vitrine. Pour lui, le problème numéro 1, ce sont les taxes qui frappent les petits débits de boisson au profit, dit-il, des grandes surfaces, et "la bureaucratie" qui les accable.
Le grand débat, sans eux
S'ils ont bien voulu recueillir les doléances de leurs habitants, les deux villages n'iront probablement pas plus loin. Leurs maires, à l'instar des associations d'élus locaux, n'envisagent pas de jouer le rôle d'organisateurs du "grand débat national" souhaité par Emmanuel Macron, censé débuter la semaine prochaine. "On a déjà tout dit", martèle Jacques Drouhin. "On a eu des réunions de travail avec les ministères. On a suffisamment écrit, suffisamment dit. On en a marre. Je suis catégoriquement contre le fait d'être corvéable pour des politiques qui ne nous ont jamais entendus auparavant". "De toute manière", assène encore l'édile, "il ne faut pas être dupes. Ces trois mois de débat, c'est pour calmer le jeu. Ces réunions publiques, c'est du pipeau. Avec les doléances, le gouvernement a tout entre les mains". Le maire de Flagy consent, simplement, à mettre à disposition la salle de fête dans l'hypothèse où l'un de ses administrés souhaiterait organiser un débat. "Mais sans moi."
Idem à Villecerf, où François Deysson exclut d'organiser lui-même des débats. Pour autant, plaide l'édile, "il faudra passer de la doléance à la proposition". Aussi, l'élu "ne refusera pas d'aider à la médiation", à condition que les services de l'Etat accueillent eux-mêmes les réunions.
Quant aux habitants, le débat leur passe, pour l'heure, au-dessus de la tête. "Ça n'aboutira à rien", assure, pessimiste, le restaurateur de Villecerf, qui dénonce les "avantages" dont bénéficient "les personnes publiques" et leur collusion présumée avec "les patrons des grands médias". "Ils font ça pour gagner du temps." "Le débat est une bonne chose", nuance une jeune femme qui vient de déclarer son nouveau-né à la mairie. Sans vouloir toutefois y participer, car elle estime, elle aussi, que les dés sont pipés. "De toute façon, j'ai autre chose à faire. Mon bébé, ça, c'est du concret."
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