Députés pro et anti-corrida : "ce qui entre en compte, c'est la proximité avec des zones d'élevage"

Publié le 22 novembre 2022 à 18h53

Source : JT 20h WE

La France insoumise présente ce jeudi une proposition de loi visant à abolir la corrida.
Depuis des semaines, les pro et les anti s'affrontent, alors que dans tous les groupes, des députés voteront pour et contre.
Pour analyser ce sujet de société, TF1info a interrogé Renaud Large, auteur de l'ouvrage "Le choc des espèces".

Rarement une proposition de loi n'a autant déchaîné les passions et divisé à ce point les parlementaires. Jeudi 24 novembre, lors de la niche parlementaire de La France insoumise à l'Assemblée nationale, le député de Paris Aymeric Caron soumettra au vote un texte visant à abolir la corrida. Depuis qu'il a mis le sujet sur la table, les pro et les anti confrontent leurs arguments. Le week-end dernier, ils sont même descendus dans la rue pour défendre leurs idées. 

Pour comprendre pourquoi ce sujet divise autant la classe politique, et suscite des débats houleux dans l'opinion, TF1info a interrogé Renaud Large, auteur de l'ouvrage Le choc des espèces, lui-même contre l'interdiction de la corrida.

Selon vous, la corrida doit être défendue au nom de la culture, et non de la tradition. Pourquoi ?

Plusieurs principes juridiques justifient la violence envers les animaux et l'intérêt de la corrida, notamment la déclaration universelle des droits de l'Homme, qui vise à préserver la diversité culturelle. Il y a quelques années, nous avions estimé que le cacique Raoni (figure de la défense de l'Amazonie et de la culture indigène, ndlr) avait raison lorsqu'il affirmait que ses pratiques culturelles étaient victimes de la mondialisation et qu'il fallait les défendre. Cela signifiait que chaque culture, dans la mesure où elle respectait l'intégrité humaine, avait le droit d'être défendue par le reste de l'humanité. Pourquoi la culture taurine ne le serait pas ? C'est une culture. Interdire la corrida serait aller à l'encontre d'une pratique culturelle, des principes civilisationnels qui sont les nôtres, ne pas respecter un principe intangible pour tous. En revanche, l'invocation de la tradition par les aficionados me paraît fallacieuse. Une tradition n'a jamais fait l'intangibilité d'une chose. Une tradition est toujours réformable, c'est d'ailleurs pour cela que je pense qu'au lieu d'une interdiction, nous pourrions réfléchir à une réforme de la corrida.

Entre les pro et les anti-corrida, est-ce l'opposition ruraux versus urbains qui se joue ?

Nous avons tendance à penser que l'animalisme est très citadin, c'est assez faux. Ce qui entre en compte c'est la proximité avec des zones d'élevage, ce sont elles qui font évoluer le rapport à l'animal. Si vous avez des zones d'élevage dans votre écosystème social, vous aurez tendance à être moins sensible à la cause animaliste. Le débat se polarise donc plutôt entre les zones qui ont un rapport à l'élevage et les territoires qui n'en ont pas.

Étudier la carte de France des zones d'élevage pour anticiper le vote des députés

Est-ce pour cette même raison qu'il est difficile de donner une couleur politique aux pro ou anti corrida, et qu'ils sont tous représentés à l'intérieur des partis ?

Oui, car tous les partis sont présents dans des territoires vierges ou non de zones d'élevage. Ainsi, à Renaissance, Sylvain Maillard, député de Paris, est plutôt favorable à une interdiction. Tout comme Aurore Bergé, élue dans un territoire pavillonnaire des Yvelines où les gens ont des animaux de compagnie et sont acquis à la cause animale. Au contraire, Jean-René Cazeneuve, député du Gers, est contre l'interdiction. La problématique est la même à La France insoumise ou au Rassemblement national, entre les élus de banlieue parisienne ou du Nord plutôt anti-corrida, et ceux des régions du sud de la France. Pour anticiper le vote des députés, il faudrait prendre une carte de France et regarder où sont implantées les zones d'élevage, je suis sûr que nous aurions une idée assez précise de leurs positions à venir.

Le vote des députés pourrait ne pas représenter l'opinion des Français, qui selon un récent sondage Ifop, sont à 81% pour l'interdiction de la corrida. 

Le problème des sondages c'est qu'ils n'ont pas la démarche précise que je viens de décrire, l'équilibre entre zones d'élevages et urbaines n'est pas forcément respecté. Les sondés habitant les zones urbaines auront tendance à surpondérer dans les sondages les opposants à la corrida. Or le principe de la représentation parlementaire c'est qu'elle incarne tous les territoires, est plus diverse. Donc à mon avis le sondage est juste, mais il a tendance à surpondérer les anti-corrida.

Pourquoi la corrida déchaîne-t-elle autant les passions, alors qu'elle concerne finalement assez peu de monde ? 

La cause animale est un sujet fondamental de l'identité humaine. Le rapport aux animaux - en termes de nourriture, de loisirs - est structurant dans l'identité humaine et très intime. C'est tellement surdéterminant d'un point de vue intime pour les gens, que c'est un sujet qu'ils vivent à fleur de peau. Donc tout ce qui a trait de près ou de loin à l'animalisme ou à l'anti-animalisme est éruptif dans l'opinion, la corrida comme la chasse, par exemple. 


Justine FAURE

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