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Invasion russe : le bombardement de la gare de Kramatorsk est-elle le fait des Ukrainiens ?

Publié le 10 avril 2022 à 19h41
La police ukrainienne inspecte les restes d'un missile de type Tochka-U portant les mots "pour nos enfants" en russe, à côté de la gare de Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine, le 8 avril 2022
La police ukrainienne inspecte les restes d'un missile de type Tochka-U portant les mots "pour nos enfants" en russe, à côté de la gare de Kramatorsk, dans l'est de l'Ukraine, le 8 avril 2022 - Source : FADEL SENNA / AFP

La Russie a nié être responsable du bombardement de Kramatorsk.
Pour se dédouaner, elle affirme que le missile retrouvé près de la gare ferroviaire n'est plus utilisé par son armée.
Les vidéos et images en provenant du terrain démontrent l'inverse.

C'est presque mécanique. Un argument contestable des autorités russes finit par devenir viral sur les réseaux sociaux francophones. Ce jeudi 8 avril, l'ambassade russe en France a affirmé que l'Ukraine était responsable du bombardement de sa propre gare, à Kramatorsk, où au moins 52 civils qui tentaient de fuir le pays sont morts. Pour preuve, les autorités russes notent que le missile retrouvé sur les lieux de cette attaque, un Tochka-U, n'a pas été utilisé par son armée depuis des années. Nous avons vérifié cet énième démenti. 

Des missiles présents pour des défilés, des exercices et dans un convoi militaire

Cette idée selon laquelle Moscou n'a pas recouru à cette arme a fini par émerger dans les sphères pro-Kremlin. Sur Twitter, une vidéo qui enregistre plus de 10.400 vues reprend cet argumentaire à son compte. Idem sur la chaine Telegram de Silvano Trotta, un fervent influenceur de la sphère complotiste.

De fait, comme le montre la photo qui illustre ce papier, ce missile balistique a bien été retrouvé après l'attaque vendredi de la gare de Kramatorsk, la capitale de Donetsk, en Ukraine. Baptisé OTR-21 Totchka mais plus connu sous son abréviation, il est de conception soviétique. Dans le passé, il a été utilisé aussi bien par la Russie que par l'Ukraine. Seulement, en novembre 2019, le ministère de la Défense russe a annoncé avoir "achevé le réarmement des formations de missiles" de ces forces, notamment en remplaçant ce missile dont l'origine remonte à 1968. 

Un missile OTR-21 Tochka durant une parade à Kiev, le 24 août 2008
Un missile OTR-21 Tochka durant une parade à Kiev, le 24 août 2008 - Wikimedia Commons

Cependant, malgré cette communication, l'armée de Vladimir Poutine ne semble pas réellement s'être séparée de cette arme. Et elle ne le cachait pas. Lors du fameux défilé militaire du 9 mai, en mémoire de la capitulation de l'Allemagne nazie en 1945, elle a ainsi fait parader à Korenovsk un tracteur-érecteur-lanceur 9P129. Facilement identifiable par ses trois vitres avant et sa forme aplatie sur le dessus, avancée sur le devant, c'est cet engin qui permet de tirer des Totchka-U. 

Au-delà de ce défilé, mis en avant par l'armée ukrainienne sur son compte YouTube, d'autres images permettent de penser que l'armée russe et ses alliés sont toujours dotés de missiles de Tochka-U. Le 15 février dernier, dans le cadre d'exercices conjoints entre la Russie et la Biélorussie, des militaires ont effectué des lancements de ces missiles. Des tirs documentés par la presse des deux pays, dont la chaine nationale Zvezda. On peut aussi trouver les images en vidéo ici

DÉCRYPTAGE - Massacre de Boutcha : une enquête complexeSource : JT 20h WE

Si ces missiles sont montrés lors d'exercice ou de parade, il y a fort à parier qu'ils sont également utilisés lors des combats en Ukraine. Une hypothèse qui est corroborée par les images. Le 24 février, date du début de l'offensive russe, un missile balistique de ce type a frappé les alentours d'un bâtiment hospitalier à Vuhledar, dans la région de Donetsk, tuant quatre civils, selon une enquête menée par Amnesty international. "En analysant les photos des débris d'armes liés à l'incident, l'enquêteur d'Amnesty International a déterminé qu'un missile balistique 9M79 Tochka avait été utilisé lors de l'attaque", écrivait l'ONG dans une communication. À l'époque, Moscou n'avait pas démenti. 

 

C'est à 100 kilomètres de là, à Marioupol, que d'autres restes d'un Tochka-U ont été retrouvés par la police ukrainienne, selon l'illustration d'un article de presse. Une photo et une localisation confirmée par la géolocalisation des lieux, visible ci-dessous. Encore une fois, ces preuves n'ont jamais attiré l'attention du Kremlin. 

Des spécialistes en Osint – le renseignement de source ouverte – ont par ailleurs listé le nombre d'images montrant l'armée russe transportant ces missiles ou se déplaçant en tracteur-érecteur-lanceur 9P129. Un convoi d'au moins huit de ces missiles a ainsi été repéré par des activistes du projet"Belarusian Hajun", lors d'un trajet en direction de la Biélorussie. Ceci dit, aucun indice sur les blindés ne permet de savoir s'ils appartiennent à Moscou ou son allié. 

Ce qui n'est pas le cas dans une autre vidéo. Initialement publiée sur TikTok le 30 mars, on y voit clairement un convoi ferroviaire transportant les lance-missiles 9P129. Ici, l'engin est bel et bien siglé du "V" caractéristique des forces russes. 

En résumé, tout porte à croire que ces missiles font toujours partie de l'arsenal de Moscou. Ce n'est cependant pas la première fois que la Russie dément être responsable d'attaques contre l'Ukraine, allant même jusqu'à accuser Kiev de sabotage. Mais systématiquement, les arguments pour porter ses accusations sont maigres. 

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Felicia SIDERIS

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