La France compte-t-elle vraiment "un million de clandestins" ?

Publié le 30 novembre 2021 à 16h51
La France compte-t-elle vraiment "un million de clandestins" ?
Source : VALENTINE CHAPUIS / AFP

IMMIGRATION - Marine Le Pen a estimé ce mardi qu'il y avait "probablement un million de clandestins" en France. Si ce chiffre est difficile à mesurer, celui de la présidente du RN apparait comme surévalué.

Il est, par définition, un indicateur difficile à évaluer. C'est donc avec une certaine prudence que Marine Le Pen a abordé le sujet. La présidente du Rassemblement national a tout de même estimé ce mardi 30 novembre, que la France comptait au moins autant de personnes en situation irrégulière que  son voisin britannique. "On est full-up", a-t-elle lancé au micro de Sud Radio, arguant qu'il y a actuellement "probablement un million de clandestins" dans l'Hexagone. Qu'en est-il réellement ?

368.000 bénéficiaires de l'AME

Il est évidemment compliqué d'identifier avec précision combien de personnes se trouvent illégalement sur le territoire. Alors, pour ce faire, associations et autorités ont tendance à observer le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État. Connu sous son acronyme AME, ce dispositif est une aide sociale destinée à prendre en charge les soins urgents des étrangers en situation irrégulière. Or, pour l'année 2020, l'Hexagone comptait 368.451 bénéficiaires de cette aide, d'après les données du projet de loi finances pour 2022

Reste qu'il s'agit ici de l'estimation la plus basse. Car en réalité, de nombreux observateurs estiment que l'AME est un indicateur imprécis étant donné que "la plupart des migrants ont peu de connaissances de l'AME et n'ont pas tous la capacité à se saisir d'un dispositif complexe", pour reprendre les explications de l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES). Dans des travaux sur le sujet publiés en novembre 2019, un groupe de chercheurs relevait que parmi l'échantillon étudié de personnes sans titre de séjour et résidant en France depuis plus de trois mois, "seules 51%" étaient effectivement couvertes par l'AME. Dès lors, l'un des co-auteurs de l'étude, Jérôme Wittwer, estimait auprès de l'AFP que l'on pouvait multiplier par deux le nombre de bénéficiaires de l'AME pour approcher du nombre total réel de migrants irréguliers en France. 

En transposant ce raisonnement aux chiffres actuels, les immigrés clandestins seraient donc un peu plus de 736.000 en France. Soit un chiffre similaire à celui communiqué par Gérald Darmanin, le dimanche 21 novembre. Le ministre de l'Intérieur se félicitait alors que seules 600.000 à 700.000 personnes se trouvaient dans le pays sans papier. On est encore très loin du million donné par la candidate à l'élection présidentielle.

EXPLICATIONS - Aide médicale d'État : comment fonctionne-t-elle ?Source : JT 20h Semaine

En réalité, pour appuyer cet argument, Marine Le Pen cite les propos de l'ancien préfet Patrick Stefanini. Dans son ouvrage Immigration : ces réalités qu'on nous cache, l'ancien haut fonctionnaire de Gironde et du Puy-de-Dôme a ainsi évalué que la France comptait 900.000 personnes en situation irrégulière. Un chiffre qui dépasse largement toutes les études sur le sujet.

Celui-ci s'appuie en fait sur une méthode peu rigoureuse. Comme l'expliquait l'auteur dans les pages du Figaro le 13 novembre dernier, il s'est servi des propos tenus par l'ancien directeur de l'immigration pour faire son évaluation. Interrogé par les députés en 2018, ce dernier déclarait que le nombre de clandestins en Seine-Saint-Denis représentait le triple de celui des bénéficiaires de l'AME. Phénomène qu'il a transposé à l'ensemble du pays. En multipliant les quelque 328.000 bénéficiaires de l'AME en 2018 "on atteint bien plus de 900 000 clandestins", résumait-il dans le quotidien. 

Un chiffre surestimé

Alors où se trouve la réalité ? Impossible d'être conclusif. Ceci dit, le chiffre des bénéficiaires de l'AME se rapproche de celui que l'on trouve dans la dernière étude du Pew Research sur le sujet. En 2019, ce centre de recherche américain chargé des statistiques et de l'opinion évaluait, à partir des chiffres de 2017, qu'entre 300.000 et 400.000 immigrés clandestins vivaient en France. Parmi eux, 38.000 étaient des demandeurs d’asile en attente d'une décision. Pour en arriver à cette estimation, l'agence américaine avait utilisé la méthode dite "résiduelle". Elle a pris le nombre total d'étrangers hors communauté européenne recensés dans le pays et en a soustrait le nombre de migrants autorisés à séjourner dans le pays. 

La réalité se trouve donc quelque-part entre les 300.000 donnés par le centre américain et les 700.000 évalués par l'Intérieur. Le chiffre donné par Marine Le Pen - avec précaution - fait quant à lui partie des plus hautes estimations, qui s'appuie sur une méthodologie peu fiable.

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Felicia SIDERIS

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