PROPOSITION -Sur LCI, le candidat Arnaud Montebourg a formulé une proposition face à l’immigration illégale : bloquer l’ensemble des transferts d’argent privé passant par Western Union vers les pays qui refusent de rapatrier leurs ressortissants clandestins. Une mesure qui semble contraire à plusieurs droits fondamentaux.
"Taper au portefeuille." Voilà la solution d’Arnaud Montebourg pour en finir avec l’immigration illégale et forcer les personnes faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire à être rapatriées dans leur pays d’origine. "Nous avons les moyens de ramener ces personnes dans leur pays d’origine. La privation des visas ne fonctionne pas, je suis décidé à taper au portefeuille", a avancé le candidat de la "remontada", dimanche 7 novembre sur le plateau de LCI. "Il y a 11 milliards de transferts d’argent qui passent par Western Union sur l’ensemble des pays d’origine. Nous bloquons tous les transferts aussi longtemps qu’on n’a pas un accueil de coopération."
Une proposition qui a immédiatement surpris la gauche, de Jean-Luc Mélenchon à Sandrine Rousseau, et court-circuité l’extrême droite : Eric Zemmour comme Marine Le Pen avaient déjà formulé la même idée par le passé, cette dernière visant les Algériens et le "1,5 milliard d’euros" envoyé chaque année vers l’Algérie "qui ne participe pas à l’économie française". Mais est-ce applicable juridiquement ? Un gouvernement peut-il décider de suspendre des transferts d’argent privé transitant par Western Union vers des pays étrangers pour les sanctionner ?
👉 Sur l'immigration 🗣️ "Ma position c'est de dire qu'on a une immigration économique qui est insuffisante aujourd'hui [...] Comment peut-on dire que les immigrés ne respectent pas les lois ? Charles Aznavour était un immigré." @montebourg 📺 C'est en direct sur #LCI pic.twitter.com/Asq9lvXyP7 — LCI (@LCI) November 7, 2021
D’abord, penchons-nous sur le règlement intérieur de Western Union : la société impose-t-elle des sanctions à certains pays ? Existe-t-il une liste noire de pays dans lesquels des transactions ne sont pas possibles ? Dans ses conditions générales, l’entreprise indique que "les lois applicables interdisent aux prestataires de transfert d’argent d’effectuer des transactions avec certains individus ou pays" et que "Western Union ne sera pas en mesure de fournir le Service à de tels individus ou dans de tels pays".
En réalité, des transferts vers certains pays sont déjà bloqués par Western Union, qui se plie aux sanctions américaines existantes puisque son siège est aux États-Unis. Il est par exemple impossible d’envoyer des fonds vers la Corée du Nord, l’Iran, la Crimée ou encore la Syrie sous certaines conditions. Dans un document relatif aux sanctions américaines, Western Union précise aussi se conformer aussi "à toutes les lois et réglementations en vigueur dans les pays et territoires où Western Union exercent ses activités". Ce qui induit que si une telle loi passe un jour en France, l’entreprise n’aurait qu’à se soumettre à celle-ci.
Un équilibre entre l'atteinte et la finalité
Mais encore faut-il que cette loi passe le contrôle du juge français comme du juge international. Et pour Me Vincent Brengarth, cela n’est pas garanti. Auprès de LCI, l’avocat spécialiste en droit administratif et en libertés fondamentales considère tout bonnement qu’une telle mesure est "a priori infaisable" : "Le premier obstacle est le droit de propriété, qui est un droit inviolable et sacré. Cette mesure porterait atteinte à ce droit, qui est protégé par le Conseil constitutionnel et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, mais aussi par la Cour européenne des droits de l’Homme". En droit français, ce principe est consacré par l’article 544 du Code civil, qui dispose que la propriété est "le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue" tant que leur usage n’est pas illégal.
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"Le gel des avoirs est la seule hypothèse dans laquelle le législateur ou le Conseil constitutionnel peut tolérer une atteinte au droit de propriété", poursuit Me Brengarth. Mais en matière de droits fondamentaux, "il faut maintenir un équilibre entre la nature de l’atteinte portée au droit visé et la finalité qui est poursuivie par le législateur" avec la mesure. Et en l’espèce, difficile de justifier de la finalité de cette mesure. En effet, pour restreindre le droit de propriété comme l’ensemble des droits fondamentaux garantis par les textes de loi, il faudrait pouvoir prouver la défense d'un intérêt supérieur : une atteinte à l’ordre public ou à la salubrité par exemple.
Par exemple, les sanctions américaines visant la Syrie (où l’État islamique est présent) et la Corée du Nord (qui est une dictature) peuvent s’expliquer juridiquement. Ce qui n'est pas le cas dans la situation mentionnée par Montebourg, qui veut juste faire respecter des obligations de quitter le territoire français et qui visent des pays du Maghreb ou d’Afrique centrale et de l’Ouest. "A priori, la Cour européenne des droits de l'Homme n’acceptera jamais une telle restriction de liberté qui n’est pas justifiée par un intérêt supérieur", abonde Hermance Correard, juriste en droit des affaires interrogée par LCI.
Libre concurrence et respect de la vie familiale
Mais le respect d’autres principes pourrait être invoqué pour empêcher l'application d’une telle loi. La liberté de circulation des biens, des services et des capitaux par exemple : celle-ci est garantie par le droit européen et consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à portée contraignante pour les États membres. Mais aussi la liberté de commerce et d’industrie, dans la mesure où Western Union est une société privée, et au droit au respect de la vie privée et familiale, anticipe Me Brengarth : "Cette mesure potentiellement va potentiellement priver un certain nombre de personnes de porter secours à leur famille".
En résumé, si l’entreprise Western Union se plierait à cette mesure, cela parait très difficile d’imaginer qu’une loi qui porterait atteinte à un certain nombre de droits garantis par la Constitution et les traités puisse entrer en vigueur. Et quand bien même cette loi serait votée et publiée au Journal officiel, des garde-fous existent : un juge, comme la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), viendrait probablement mettre fin à cette restriction de liberté, qui n’est pas justifiée dans ce cas précis par un intérêt supérieur.
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