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La réforme des retraites va-t-elle enrichir la multinationale américaine BlackRock ?

Publié le 6 janvier 2020 à 15h45
Basée à New York, la société BlackRock est une multinationale qui opère notamment en France.

Basée à New York, la société BlackRock est une multinationale qui opère notamment en France.

Source : Andrew Burton / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

À LA LOUPE – Méconnu du grand public, le gestionnaire américain d'actifs est accusé de lobbying en faveur de la réforme des retraites en France. Le projet du gouvernement va-t-il vraiment servir les intérêts de cette multinationale, qui explique avoir "de grandes ambitions" dans l'Hexagone ? Eléments de réponse.

La remise de la Légion d'honneur le 1er janvier au dirigeant de BlackRock France, Jean-François Cirelli, a suscité de vives critiques. L'entreprise américaine, spécialisée dans la gestion d'actifs, est en effet présentée comme l'une des grandes gagnantes de la réformes des retraites voulue par le gouvernement. 

Parfois assimilé aux fonds de pension, BlackRock est en réalité une multinationale travaillant en collaboration avec eux. Une partie de son activité consiste ainsi "à gérer des produits d’investissement pour le compte des professionnels de l’épargne-retraite", explique l'entreprise.

La France, une "boîte de Smarties" pour BlackRock ?

C'est début décembre que le nom de BlackRock a commencé à fleurir dans les médias et dans l'opposition. L'Humanité s'est notamment penché sur ce "géant américain de la finance à l'assaut des retraites des Français". Ce à quoi l'entreprise a réagi avant les fêtes, s'étonnant, par voie de communiqué, "des allégations qui circulent à propos de [ses] positions concernant les dispositifs de retraite en France". 

"Il existe depuis longtemps des plans d’épargne-retraite, tels que le PERCO et le PERP, qui viennent en supplément des régimes de base et complémentaire, et qui sont financés par des versements volontaires des épargnants", faisait alors valoir la société.

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Interrogée à ce sujet le 2 janvier sur BFMTV, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, Agnès Pannier-Runacher assurait de son côté que BlackRock n'aurait "pas grand-chose" à gagner avec la réforme, soulignant que le marché français ne constitue rien de plus qu'une "boîte de Smarties" pour l'entreprise. "Ça ne représente rien par rapport à leur gestion d'actifs", poursuivait-elle. Une réponse claire à ceux qui estiment que le gouvernement conçoit sa réforme sous la pression des lobbies. 

Une boîte de Smarties ? La comparaison n'a pas manqué de faire réagir. Les Échos ont ainsi observé que les actifs gérés par BlackRock en France s'avèrent effectivement assez négligeables (27,4 milliards d'euros) par rapports au total de ses actifs gérés à travers le monde (6180 milliards d'euros, soit 225 fois plus). Actuellement, le marché français reste donc assez mineur pour le gestionnaire américain d'actifs.

Si la France était insignifiante pour BlackRock, pourquoi est-elle présente au capital d’au moins 18 entreprises du CAC 40 ?

Attac

Sur LCI, le candidat EELV pour la mairie de Paris David Belliard s'est insurgé : "C'est pas une boîte de Smarties, la question des retraites en France, ça fait partie d'une logique d'expansion de ce type de fonds d'actifs", déplorant également ce qu'il qualifie de "porosité entre les lobbies et le gouvernement". 

L'association Attac se montre elle aussi dubitative : "Si la France était insignifiante pour BlackRock, pourquoi est-elle présente au capital d’au moins 18 entreprises du CAC 40 ? Pourquoi détient-elle autour de 5% du capital de BNP-Paribas, Société générale, Vivendi, Michelin, Vinci ou encore Total ? Au total, BlackRock détenait 1,9% du capital des entreprises du CAC 40 fin 2017".

Les "grandes ambitions" de BlackRock

Encore modeste, la présence de BlackRock en France pourrait se développer dans le futur. L'Humanité estime que la réforme va ouvrir "un espace supplémentaire pour la capitalisation", les cotisations étant prévues "sur une assiette de salaire allant jusqu’à 10.000 euros par mois". Le système actuel, avec les retraites complémentaires gérées par l'Agirc-Arrco, permet quant à lui "de cotiser jusqu’à 27.000 euros de salaire mensuel". 

Agnès Pannier-Runacher a d'ailleurs indiqué publiquement que pour celles et ceux dont les revenus annuels sont "au-delà de 120.000 euros, ce n’est pas à la solidarité nationale" d'assurer l'entière gestion du système des pensions. 

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Sont concernées, selon Attac, environ 300.000 personnes affichant de très hauts revenus. Pour Le Figaro, le message est clair : "les cadres gagnant plus de 10.000 euros par mois seront, de fait, incités à investir dans une retraite par capitalisation pour leur retraite". 

Pour autant, difficile de dire aujourd'hui si BlackRock et ses concurrents vont en tirer d'importants bénéfices. L'économiste libéral Jean-Charles Simon se montrait très réservé dans un entretien à Capital : "Admettons que cela génère un flux d’un milliard par an et que 10% seraient placés en ETF [fonds placés en bourse, ndlr] BlackRock, cela ferait un enjeu de revenus annuels de 500.000 euros pour BlackRock…"

Capital précise par ailleurs que si la multinationale suit de près la réforme des retraites, elle vise surtout le marché des assurances-vie, sa "vraie cible". Quoi qu'il en soit, la France est un marché en devenir pour BlackRock : son patron Jean-François Cirelli déclarait ainsi en juin sur le plateau de France info que son entreprise avait de "grandes ambitions en France" et souhaite y être "beaucoup plus présente". 

L'intérêt de BlackRock est connu du gouvernement, qui échange de manière régulière avec ses représentants. Le 26 octobre 2017, une délégation du géant américain était reçue en grande pompe dans un salon de l'Elysée, privatisé pour l'occasion. Une rencontre relatée dans Le Canard enchaîné au cours de laquelle pas moins de 5 ministres (dont Edouard Philippe) sont intervenus. Il s'agissait alors d'échanger autour de "la vision de transformation du président Macron" ou encore "les opportunités en France pour les investisseurs globaux". 

Retraites : une réforme de moins en moins universelleSource : JT 20h WE

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Thomas DESZPOT

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