Le gouvernement a-t-il vraiment renoncé à priver d'aides les entreprises implantées dans les paradis fiscaux ?

Publié le 26 avril 2020 à 20h02
Bruno Le Maire et le gouvernement n'ont pas changé d'avis, même si leur méthode est aujourd'hui critiquée.

Bruno Le Maire et le gouvernement n'ont pas changé d'avis, même si leur méthode est aujourd'hui critiquée.

Source : LUDOVIC MARIN / POOL / AFP

À LA LOUPE – La décision de ne pas inscrire cette décision dans le projet de loi de finances rectificative a surpris. Bercy explique pourtant vouloir toujours interdire les aides aux entreprises qui ne jouent pas le jeu en matière fiscale, mais explique que la mesure n'a pas besoin d'un nouveau texte pour être appliquée.

Le ministre de l'Economie s'est montré très clair. "Il va de soi que si une entreprise a son siège fiscal ou des filiales dans un paradis fiscal, je veux le dire avec beaucoup de force, elle ne pourra pas bénéficier des aides de trésorerie de l'État", a lancé Bruno Le Maire sur France Info le 23 avril. Il souhaite ainsi que la France imite le Danemark, où les sociétés prises en faute ne bénéficieront pas des programmes d'aide mis en place par le gouvernement pour lutter contre les risques financiers liés à la pandémie du virus.

Ce volontarisme a-t-il été contredit par les actes ? Des médias et des élus ont en effet été surpris que des amendements en ce sens aient été refusés à l'Assemblée, et ne soient finalement pas incorporés dans le deuxième projet de loi de finances rectificative. D'aucuns évoquent ainsi le "volte-face" du gouvernement, en l'espace de quelques heures. 

Pas besoin de loi, explique Bercy

Bruno Le Maire et la majorité ont-ils décidé de faire machine arrière ? Pas du tout, assure Bercy. Contacté par LCI, le ministère de l'Economie indique "qu'il n'est pas nécessaire de passer par un cadre législatif sur le sujet", puisque pour les grandes entreprises, "c'est le ministre lui-même qui signe le décret" et donne son assentiment à la délivrance d'aides publiques. Impossible donc d'imaginer un grand groupe adepte de l'optimisation fiscale venir taper à la porte et réclamer un geste de l'Etat.

Sont concernées par ce mode de fonctionnement les entreprises qui réalisent à l'année un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 milliard d'euros, et qui comptent plus de 5.000 salariés. Cela ne signifie pas pour autant que de plus petites structures, qui pourraient elles aussi avoir des filiales ou un siège dans des paradis fiscaux, seraient libres de recevoir des deniers publics.

En effet, Bercy précise que toute demande d'aide est conditionnée au remplissage d'un dossier, et que celui-ci se compose notamment d'une déclaration sur l'honneur, attestant que l'entreprise requérante joue le jeu en matière fiscale. "Des contrôles sont bien entendus prévus", nous indique-t-on au ministère.

Dans une lettre à la directrice générale du Trésor, Bruno Le Maire a rappelé les principes énoncés sur France info, et demandé à ce que soient appliquées "strictement ces règles" pour les dispositifs mis en œuvre. Il réclame par ailleurs "la plus grande fermeté" à l'égard des entreprises qui ne respecteraient pas ces règles. 

Doutes et regrets

Dans l'hémicycle et dans le monde associatif, des voix s'élèvent pour regretter la méthode gouvernement. Le député de la 1ère circonscription du Maine-et-Loire Matthieu Orphelin, qui a quitté le groupe LaREM l'an passé, a ainsi souligné qu'un tel fonctionnement complique un "contrôle précis par le parlement du périmètre ou de la liste utilisée" dans la définition des paradis fiscaux. 

Une amertume partagée également pas des ONG, à l'instar d'Oxfam qui dénonce un "effet d'annonce" du gouvernement, s'appuyant sur "une liste de paradis fiscaux quasiment vide". Celle-ci comprend aujourd'hui 13 pays, dont aucun en Europe. Or, l'optimisation fiscale est pratiquée à grande échelle à l'échelle même du continent, assure Oxfam. Du côté de Bercy, on répond que la liste retenue est "conçue sur la base de celle dressée par l'Union européenne", et que celle-ci est révisée une fois par an afin d'y inclure d'éventuels pays jugés pas assez coopératifs. 

En résumé, on observe donc que des contrôles vont bien être mis en place pour empêcher aux entreprises qui pratiquent l'optimisation fiscale dans des paradis fiscaux de bénéficier des mesures de relance proposées par l'Etat. En ne souhaitant pas l'inscrire dans un texte de loi, le gouvernement réduit néanmoins les capacités de contrôle du Parlement. Il fait par ailleurs face à des critiques concernant les listes des pays considérés comme non coopératifs en matière fiscale, des ONG réclamant régulièrement que celle-ci soit élargi pour y inclure des Etats au sein même de l'UE. 

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Thomas DESZPOT

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