AMNÉSIE - Emmanuel Macron commémore ce samedi le soixantième anniversaire des évènements du 17 octobre 1961, reconnaissant explicitement la responsabilité de la France dans cet épisode tragique. Que s'est-il passé ce jour-là à Paris, où la répression policière provoqua au moins des dizaines de morts parmi les manifestants pro-FLN ?
Le président français a choisi le pont de Bezons pour commémorer la répression sanglante du 17 octobre 1961, qui fut une des premières étapes des manifestants venus du bidonville de Nanterre, dans leur marche en direction de Paris. "Des tirs à balles réelles se sont produits à cet endroit", souligne l'Élysée, "et des corps ont été repêchés dans la Seine". Ce n'était pourtant que le début d'une journée terrible dont le degré de violence allait augmenter d'heure en heure.
Longtemps, le bilan officiel de cette journée est resté de trois morts, d'ailleurs attribués à des règlements de compte entre militants algériens. Il a fallu attendre le début des années 1990 pour que cette version officielle soit remise en cause, notamment par l'historien Jean-Luc Einaudi, le premier à avancer un chiffre supérieur à deux-cents morts.
Le contexte
En 1961, la guerre d'Algérie dure déjà depuis sept ans. Si on ignore à cette date que l'indépendance algérienne serait scellée six mois plus tard par les accords d'Évian, cette issue semble déjà inéluctable pour la plupart des acteurs, ainsi que l'historien Emmanuel Blanchard l'explique à l'AFP. "Chacun a le sentiment que l'Algérie va devenir indépendante", estime-t-il, et "le gouvernement souhaiterait que le FLN (Front de Libération Nationale) ne soit pas seul à la table des négociations. Il y a l'idée qu'il faudrait faire émerger une troisième force."
C'est dans ce contexte que la répression policière s'accroit fortement sur les militants pro-FLN en France. "À partir du début septembre", poursuit l'historien, "les arrestations, les passages à tabac se multiplient". La base armée du FLN réagit en reprenant les attentats contre des policiers : cinq d'entre eux sont tués à Paris le même mois. Le préfet de police de Paris, Maurice Papon, décrète un couvre-feu à partir du 5 octobre, qui ne s'applique qu'aux seuls "Français musulmans d'Algérie". C'est contre cette mesure, et en solidarité avec ceux qui luttent en Algérie, que la fédération française du FLN décide alors d'une grande manifestation le 17 octobre.
Les faits
Pour faire face à cette manifestation, non déclarée mais attendue, la préfecture décide d'une stratégie très restrictive : il s'agit d'empêcher les Algériens d'entrer dans Paris, de tenir les ponts et les portes. Une foule de gens endimanchés et désarmés, souvent venus en famille, marche en cortèges successifs depuis les villes de la périphérie parisienne. "Ce devait être une manifestation pacifique", raconte Djamila Amrane soixante ans après. Cette ancienne militante FLN, aujourd'hui âgée de 87 ans, se souvient que "les organisateurs nous avaient dit de n'avoir rien sur nous, même pas une épingle à nourrice". "Certaines des femmes à qui j'avais demandé de venir s'étaient bien habillées, croyant aller à une sorte de fête", raconte celle qui avait manifesté ce jour-là avec son bébé de deux mois dans les bras.
Face aux manifestants, dès les ponts stratégiques comme celui de Bezons, la police ouvre le feu, frappe à coups de manche de pioche ou de ces longs bâtons noirs qu'on surnommait les "bidules". Et en plusieurs occasions jusqu'au milieu de la nuit, jette des personnes à la Seine ou les contraint à le faire. Le résultat est effroyable : des dizaines de noyés au moins, plusieurs morts par étouffement ou piétinées, d'autres directement sous les coups de la police. La plupart des blessés ne seront pas envoyés vers les hôpitaux : certains seront expulsés, d'autres internés et les derniers renvoyés chez eux sans soins.
La répression ne s'arrête pas là : 12.000 manifestants sont raflés ce jour-là, entassés dans des cars de police et emmenés en plusieurs points de rassemblement, comme le stade Coubertin ou le Palais des Sports. Des témoins parlent de violences inouïes perpétrées contre eux lors de ces transferts. De nombreux cadavres criblés de balles ou portant des contusions seront repêchés dans la Seine les jours suivants.
Un point aveugle dans la mémoire collective
Comment, avec un tel niveau de violence et autant de témoins et d'acteurs, cet épisode noir de l'Histoire a-t-il pu être "oublié" ? Pour l'historien Pierre Manceron, "avant d'oublier il faut d'abord connaitre. Le 17 octobre 1961 n'a pas été oublié, mais consciemment occulté par le pouvoir en place". Pour l'historien Emmanuel Blanchard, c'est dès le matin du 18 octobre que se met en place "un mensonge d'État", avec une "communication gouvernementale visant à incriminer le FLN, les Algériens". Des traces sont effacées, les archives sont longtemps inaccessibles, le bilan véritable est alors très difficile à évaluer.
Du côté du FLN, le souvenir de la répression d'octobre sera peu exploité : l'organisation redeviendrait rapidement l'unique interlocuteur des discussions, et les accords d'Évian seraient bientôt signés. Dans la mémoire collective française, et notamment à gauche, ce sont les neuf victimes du métro Charonne, lors d'une manifestation contre l'OAS en février 1962, qui s'imposeront comme un symbole. "Toutes les personnes tuées ce soir-là étaient des militants de la CGT", rappelle Emmanuel Blanchard, "des personnes encartées au PCF".
C'est à partir de la fin des années 80 que le souvenir d'octobre 1961 revient en force. La génération taiseuse de ceux qui avaient participé à la manif, est interrogée par celle qui suit, alors qu'émergent des mouvements antiracistes comme la "Marche des Beurs", puis SOS Racisme. Les langues se délient enfin, et les archives s'entrouvrent. C'est en 1991, 30 ans après les faits, que l'historien Jean-Luc Einaudi avance le chiffre de deux-cents morts, dans un ouvrage qui marque un virage : "La Bataille de Paris". La même année, le réalisateur Mehdi Lallaoui marque les esprits avec le Silence du fleuve, où il expose des faits nouveaux et la parole de témoins directs. Mais il faudra encore attendre 2012 pour qu'un président français rende "hommage à la mémoire des victimes" de cette "sanglante répression", ainsi que la nomme alors un communiqué de François Hollande.
Aujourd'hui, Djamilla Amrane qui vécut comme jeune militante cette répression d'octobre 1961, et qui est désormais arrière-grand-mère, attend d'Emmanuel Macron la reconnaissance d'un "crime d'État", en glissant un malicieux : "Il est grand temps, non ?"
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