Hulot, Darmanin... parler avant que l'affaire n'éclate, une bonne stratégie pour les politiques ?

Anaïs Condomines
Publié le 8 février 2018 à 17h32, mis à jour le 8 février 2018 à 21h08
Hulot, Darmanin... parler avant que l'affaire n'éclate, une bonne stratégie pour les politiques ?

POLITIQUE – Nicolas Hulot a répondu, ce jeudi 8 février sur le plateau de RMC, à des accusations de harcèlement et d’agressions sexuelles pas encore publiées par la presse. Le désamorçage d’un scandale en amont est-il une nouvelle technique de communication chez les politiques ? Et surtout, est-ce que cela fonctionne ?

"Nicolas Hulot, vous avez choisi ce matin de répondre à mon invitation pour répondre à des accusations." C’est en ces termes que Jean-Jacques Bourdin, ce jeudi 8 février sur RMC, interroge le ministre de la Transition écologique et solidaire à propos d’un scandale pas encore public. Des bruits couraient bien dans les rédactions depuis un moment, mais ces accusations de harcèlement sexuel et d'abus sexuels, prévues pour être publiées le lendemain dans l’Ebdo, ne sont encore à ce stade visibles nulle part. Curieux retournement de situation : c’est donc par Nicolas Hulot lui-même que le grand public apprend qu’il existe des allégations sur sa personne, et que celui-ci les nie.

"Depuis des mois, je subis toutes sortes de rumeurs, de suspicions qui vont qui viennent, d’interrogations auprès de personnes que j’ai connues. Je me suis senti traqué par une meute invisible,  a ainsi déclaré Nicolas Hulot à Jean-Jacques Bourdin. Avant de poursuivre : "Je dis stop, le journal demain (vendredi) va évoquer deux affaires qui n’en sont pas." Des affaires qui concernent, d’une part des faits de harcèlement auprès d’une ancienne salariée de la Fondation Hulot, qui dément fermement, et d’autre part une plainte pour abus sexuel, déposée en 2008 par la petite-fille d’un homme politique très connu.

Le bénéfice de la primauté

Une défense par anticipation qui en rappelle d’autres. Souvenez-vous : le mois dernier, le ministre de l’Action et des comptes publics Gérald Darmanin, sachant que des journalistes du Monde enquêtent sur son cas, annonce lui-même sur France Info qu’une "lettre de dénonciation calomnieuse, une lettre infâme" l’accusant "d’abus de pouvoir voire de viol" a mené à une enquête préliminaire. Même procédé utilisé chez François Fillon, dans une toute autre sorte d’affaire et avec un succès très relatif, lorsqu’il annonce sur TF1 avoir employé ses enfants pour leurs compétences d’avocats. Il est alors à l’époque empêtré dans les soupçons d’emploi fictif de son épouse révélés par Le Canard Enchaîné, et non encore pour ceux de ses enfants. Que dire, également, de l’affaire DSK ? En avril 2011, soit un mois avant que le scandale du Sofitel éclate, il fait auprès du journal Libération cette déclaration en forme de prophétie : dans la campagne à venir, celui qui est encore présidentiable voit "trois principales difficultés" à surmonter : "Le fric, les femmes et [s]a judéité."

Le désamorçage d’un scandale avant même que celui-ci ne voit le jour est-il devenu la nouvelle règle de la communication de crise ? "C’est une démarche en tout cas très intéressante, celle de la transparence a priori, qui vise à éviter l’emballement médiatique", juge Claire Juiff, spécialiste en communication de crise et responsable de le gestion de crise au sein du cabinet Devoteam, interrogée par LCI. Un parti pris "habile", selon elle, "qui permet d’éviter l’aspect 'piége' des questions en interview et qui place même ici (dans le cas de Nicolas Hulot ce jeudi matin, ndlr) Jean-Jacques Bourdin dans une posture d’écoute active. La stratégie de Hulot est celle d'occuper le terrain médiatique, en ayant le bénéfice de la primauté."

Une stratégie payante ?

Car sur la scène médiatique, on le sait, l’intérêt va au plus rapide, à l’exclusif. Et ça, il semble que Hulot et ses équipes l’aient bien compris. "On peut supposer que Nicolas Hulot ne sera pas vu en coupable par défaut, poursuit  Claire Juiff. En désamorçant, il pourrait éviter de devenir dans l’esprit des gens cet 'homme politique épinglé de plus'".

En termes de gestion de crise, le ministre de la Transition écologique et solidaire s’affiche donc comme le contre-exemple de Lactalis, entreprise récemment mise en cause dans des cas de lait pour bébé contaminé. Et dont le PDG a choisi de garder le silence... "La nature a horreur du vide. Si l’entreprise ou la personnalité politique mise en cause ne parle pas, cela crée un blanc, et ce blanc sera comblé. Prendre la parole, ça évite que les détracteurs ou les journalistes ne se positionnent", explique encore Claire Juiff. Pour l'heure, la stratégie s'avère payante : quelques heures après l'interview de Hulot, le gouvernement a annoncé son plein soutien à son ministre dans la tourmente.


Anaïs Condomines

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