L'historien Pap Ndiaye a été nommé ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse ce vendredi.Cette nomination a déclenché de vives réactions, essentiellement venues de l'extrême droite, qui l'accusent d'être un "anti-flics" opposé à l'idée "d'identité française".Quels sont les fondements de ces critiques ?
Il était une cible toute trouvée. Depuis sa nomination ce vendredi 20 mai, Pap Ndiaye fait l'objet de vives critiques venues de certains membres de l'extrême droite. Ceux-ci s'inquiètent de l'arrivée de cet historien au ministère de l'Éducation nationale. Car, après Jean-Michel Blanquer, fervent adversaire du "wokisme", l'universitaire français spécialiste de l'histoire sociale des États-Unis et des minorités incarne un virage à 90 degrés vers la gauche. Sur quoi ces critiques à l'encontre de l'ancien directeur du musée de l'Histoire de l'immigration reposent-elles ?
"Un indigéniste assumé" pour Marine Le Pen
Marine Le Pen a rapidement réagi à cette nomination. Moins de trente minutes après l'annonce, l'ancienne candidate à l'Élysée a regretté l'arrivée rue de Grenelle de celui qu'elle considère comme "indigéniste assumé". Une référence à cette expression utilisée pour décrire la mouvance intellectuelle française qui compare la situation des minorités occidentales à celle des indigènes dans les anciennes colonies américaines. Alors quelle est la position de l'universitaire sur le sujet ? Ce qui est sûr, c'est que Pap Ndiaye a effectivement déjà évoqué l'existence d'un "racisme structurel en France", comme le montre cet article du Monde.
La nomination de Pap Ndiaye, indigéniste assumé, à l’Education nationale est la dernière pierre de la déconstruction de notre pays, de ses valeurs et de son avenir. Elisez un maximum de députés du @RNational_off pour protéger notre jeunesse des pires idéologies ! #remaniement — Marine Le Pen (@MLP_officiel) May 20, 2022
En revanche, dans cet entretien publié en décembre 2017, il faisait bien la nuance entre les différentes formes que peut prendre cette discrimination. Lui récuse totalement l'idée d'un "racisme d'État" en France, comme cela fut le cas dans la gestion des populations indigènes par les États-Unis. Cette notion, il la jugeait même "franchement pas pertinente pour caractériser la situation française". "Le racisme d'État suppose que les institutions de l'État soient au service d'une politique raciste, ce qui n'est évidemment pas le cas en France", arguait-il. Avant de nuancer. Pour lui, il existe un "racisme dans l'État".
Difficile d'en faire un "militant anti-flics"
C'est d'ailleurs en raison de ce biais que certaines institutions "peuvent avoir des pratiques racistes", soulignait-il, citant notamment la police. De là à en faire un "militant anti-flics" comme l'a dépeint Jordan Bardella ? Cette critique du président du Rassemblement National fait référence à une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux. On y entend le nouveau ministre d'Élisabeth Borne décrire "l'attitude de déni" du gouvernement français "en ce qui concerne les violences policières", soulignant qu'elle est "tout à fait classique et qu'elle dure depuis longtemps".
Cette petite phrase polémique est tirée d'un entretien de neuf minutes, accordé à France Inter en juin 2020. Dix jours après la mort de George Floyd, tué par un policier aux États-Unis, l'universitaire était interrogé sur la "distance, voire le silence des plus hautes autorités françaises sur le sujet". "Cela ne me surprend pas", répond-il, indiquant que la position française est paradoxale, puisqu'elle reconnaît "les violences policières aux États-Unis" mais pas celle dans le pays. S'il y a "bien des différences" entre les deux situations, par exemple "le niveau de violence, qui n'est pas du tout le même", Pap Ndiaye regrettait que la France se "protège derrière une sorte d'exceptionnalisme pour dire qu'il ne se passe rien ici". À ses yeux, cette position va en effet à l'encontre "des travaux, des études" sur le sujet ainsi qu'à celle de la position du Défenseur des droits qui "a parlé de discrimination systémique à propos des policiers du 12ᵉ arrondissement".
Pas de quoi en faire un "anti-flics". Au micro de France Inter, Pap Ndiaye relevait d'ailleurs que la police "fait un travail nécessaire et évidemment important". Tout en indiquant que cela ne protégeait pas l'institution "d'une réalité" documentée qui est celle des "contrôles aux faciès, des difficultés avec la police, et parfois des violences".
Quelles sont ses positions sur "l'identité française" ?
Pour d'autres détracteurs, les recherches de l'universitaire sur l'histoire sociale des États-Unis et les minorités en font un fervent partisan de ces questions. Au détriment de celles portant sur l'identité française. "Pap Ndiaye dit qu'il n'y a pas d’identité française", peut-on ainsi lire ou entendre ici et là.
L'auteur de La Condition Noire. Essai sur une minorité française s'est en effet penché sur la question de l'identité noire dans cet ouvrage, où il exposait par exemple le concept d'identité noire "épaisse" ou "fine". Ce qui n'empêche pas ce Franco-sénégalais, né dans les Hauts-de-Seine, de penser aussi l'identité française, qu'il juge multiple sans la nier. En 2009, alors que le président Nicolas Sarkozy ouvrait un "grand débat" la question, l'historien était interrogé à ce sujet par le Christian Science Monitor. Il répondait : "Il y a tellement de façons d'être français qu'il serait triste que le gouvernement nous le dicte."
Le ministre a-t-il "promu les réunions non-mixtes" ?
S'il promeut "plusieurs façons d'être Français", le nouveau ministre n'est pas en faveur des réunions non-mixtes, contrairement à ce qu'indiquent certains internautes. En décembre 2017, dans Le Monde, il reconnaissait que ces associations dites "spécifiques" - comme celles qui réunissent des personnes racialisées - étaient utiles "dans le débat public", tout en nuançant sa position. Pour lui, il serait "vraiment contre-productif" pour ces associations de se passer de membres à cause de leurs origines. Et de résumer cet avis contrasté dans les colonnes du quotidien du soir : "Même s'il est logique que les associations spécifiques attirent majoritairement les personnes concernées au premier chef, il est néanmoins vital pour elles d'accueillir à bras ouverts toutes les personnes de bonne volonté."
Des captures d'écran circulant sur les réseaux sociaux mentionnent toutefois la présence du désormais ministre au programme de rencontres appelées "Paroles non-blanches" en avril 2016, en marge des manifestations contre la loi Travail. Si le groupe à l'initiative de l'événement était bien réuni "en non-mixité" et que les intervenants choisis étaient "tous non-blancs", les conférences et les débats étaient quant à eux "ouverts à tous", comme le précisait un tract de l'époque.
A-t-il "fondé le CRAN" ?
Enfin, certains s'inquiètent du fait que le nouveau ministre est un membre fondateur du Conseil représentatif des associations noires (Cran). Pour rappel, l'objectif de cette fédération d'associations, créée en 2005 alors que des émeutes secouaient les banlieues, est de "défendre les populations noires de France, d'origine africaine ou antillaise, contre les discriminations dont elles sont victimes".
C'est le Cran qui, par exemple, avait appelé au boycott de la pièce de théâtre "Les suppliantes" d'Eschyle, qui devait être jouée à la Sorbonne en 2019, parce que certains acteurs portaient des masques noirs et que cela relevait, selon le Cran, de la "blackface", "pratique issue de l’esclavage colonial, qui consiste pour une personne blanche à se grimer en noir". La même année, à propos d'un exercice distribué à des élèves de CM2 en Loire-Atlantique sur "le colonialisme, une œuvre civilisatrice", le Cran dénonçait un argumentaire relevant de la "propagande coloniale".
Il est vrai que Pap Ndiaye y tient une place influente depuis ses débuts. Il est un proche de Patrick Lozès, fondateur du Cran, avec qui il avait participé au lancement de l'association Capdiv (Cercle d'action pour la promotion et la diversité en France) deux ans plus tôt. Raison pour laquelle il siège, depuis 2007, au conseil scientifique du Cran. De là à en faire le fondateur ? En 2007, dans les pages de Libération, il se décrivait plutôt comme un "compagnon de route".
Si la nomination de Pap Ndiaye est la grande surprise du remaniement, les critiques sur son idéologie sont finalement assez réductrices. Pour résumer au mieux sa pensée sur le sujet des minorités et de l'identité française, rien de mieux que le citer. En 2017, il disait : "Il vaut mieux écouter et débattre, se prêter au jeu du dialogue pour dessiner ensemble, et calmement, les contours du bien commun."
Vous souhaitez nous poser des questions ou nous soumettre une information qui ne vous paraît pas fiable ? N'hésitez pas à nous écrire à l'adresse lesverificateurs@tf1.fr. Retrouvez-nous également sur Twitter : notre équipe y est présente derrière le compte @verif_TF1LCI.
Sur le
même thème
Tout
TF1 Info
- InternationalHaut-Karabakh : l'enclave au centre des tensions entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan
- Police, justice et faits diversDisparition inquiétante de Lina, 15 ans, en Alsace
- Police, justice et faits diversAttentat de Magnanville : sept ans après, l'heure du procès
- SportsRC Lens
- Sujets de sociétéLe pape François à Marseille, une visite historique