"On passe trop par la loi dans notre République" : la phrase d'Emmanuel Macron décryptée

Publié le 23 mars 2023 à 17h52

Source : JT 13h Semaine

Mercredi, au cours de son interview sur TF1, Emmanuel Macron a estimé que "tout ne passe pas par la loi", et que l'on passait "trop par la loi dans notre République".
Est-il possible de gouverner autrement, et quels en sont les risques ?
Éclairage avec la professeure de droit constitutionnel Lauréline Fontaine.

Mercredi au cours de son interview sur TF1 et France 2, Emmanuel Macron lâche la phrase suivante, passée plutôt inaperçue : "Tout ne passe pas par la loi et on passe trop par la loi dans notre République". Sur Twitter, ils sont quelques-uns à la relever et à s'en inquiéter. Sur le plateau de Public Sénat, des sénateurs, LR, PS et EELV dénoncent un "mépris du Parlement" et une vision "grave pour notre démocratie". Gouverner sans passer par la loi, est-ce possible ?

Pour un début de réponse, il faut se tourner vers la Constitution. Son article 34 indique qu'il est obligatoire de passer par la loi pour légiférer à propos des droits civiques et des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques, de la définition de la nationalité, de l'organisation générale de la défense nationale, de l'enseignement ou encore de la préservation de l'environnement. "On ne peut passer que par la loi pour faire ces choses-là, c'est constitutionnel. Ce n'est pas juste une répartition cosmétique des compétences, c'est parce que c'est la représentation nationale, soit des personnalités élues par le peuple, qui doit décider du sort de la nation sur ces questions fondamentales", explique à TF1info Lauréline Fontaine, professeure de droit constitutionnel.

"Pour gouverner autrement que par la loi, il faudrait donc d'abord changer la Constitution", poursuit-elle. "Et cela impliquerait que le gouvernement, qui n'est pas élu, agisse seul." Toutefois, ce dernier dispose bien de quelques moyens, dont Emmanuel Macron a déjà usé. 

Recordman de la gouvernance par ordonnances

En 2017, encore candidat à l'élection présidentielle, il a une urgence : réformer le droit du travail. Il prévient que s'il est élu, pour aller vite, il légiférera par ordonnances. C'est ce qu'il fait, avant d'appliquer cette méthode à d'autres textes comme la réforme de la SNCF. Il assure alors que "l'ordonnance n'est pas contre la loi" mais est "une technique qui a valeur de loi", qui "permet d'accélérer les débats". En deux ans de mandat, il y a eu recours 84 fois, faisant de lui un champion de la gouvernance par ordonnances, derrière François Hollande.

L'article 38 de la Constitution définit ce qu'est une ordonnance. "Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi", lit-on. "Elles entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse." 

Aussi, si des garde-fous existent - les parlementaires doivent voter une loi d'habilitation puis ratifier l'ordonnance - ils sont limités, selon Lauréline Fontaine. "L'exécutif ne donne pas toujours toutes les clés de compréhension au pouvoir législatif pour lui permettre de prendre sa décision de manière éclairée", avance-t-elle. Quant à l'adoption d'un texte, même sans majorité absolue, elle le juge toujours possible : "pour être adopté, c'est la majorité des suffrages exprimés qui compte, donc il suffit que tout le monde ne soit pas là. Des textes ont été adoptés à 55 votants", justifie l'autrice de La Constitution maltraitée. Anatomie du Conseil constitutionnel, certaine qu'Emmanuel Macron réussirait à "obtenir des lois d'habilitation"

La logique de la "start-up nation" appliquée à l'État ?

Elle remarque également que le président de la République est obsédé par l'idée d'aller vite et de rogner sur le temps. "Il a réussi à trouver des moyens, régulièrement, pour limiter la durée du temps parlementaire", constate-t-elle. "Or, quand on enlève du temps, on enlève d'abord du temps de réflexion. On sait pourtant que quand on se précipite, on prend parfois de mauvaises décisions. Cette réflexion doit aussi s'appliquer aux décisions des gouvernants", avance-t-elle, y voyant "la start-up nation, l'application des techniques managériales à l'État (...), au risque de renverser le paradigme de la démocratie parlementaire".

Pour légiférer sans passer par la loi, le président de la République et son gouvernement, détenteurs du pouvoir réglementaire, ont aussi la possibilité d'adopter des décrets et des arrêtés. Ceux-ci n'ont pas valeur de loi et interviennent dans les domaines où il n'est pas obligatoire de passer par la loi. 

"Gouverner sans passer par la loi, cela devrait être compliqué, mais la mollesse institutionnelle d'aujourd'hui fait que c'est moins compliqué qu'il n'y parait à première vue", regrette Lauréline Fontaine, constatant une certaine bienveillance des institutions comme le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, et un affaiblissement du contrôle parlementaire par des députés qui ne souhaitent pas vraiment renverser le gouvernement par peur d'une dissolution et de devoir se représenter devant les électeurs. Elle appréhende que ce qu'Emmanuel Macron souhaitait en 2017 se réalise, à savoir que la procédure accélérée devant le Parlement devienne la norme. "Ça devrait rester une exception", alerte-t-elle. 


Justine FAURE

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