Pascal Canfin, à la COP 21 : "Il y a un lien entre les énergies fossiles et le financement du terrorisme"

Publié le 2 décembre 2015 à 16h09
Pascal Canfin, à la COP 21 : "Il y a un lien entre les énergies fossiles et le financement du terrorisme"

INTERVIEW - Invité à s'exprimer lors d'une conférence sur l'abandon des énergies fossiles au Bourget mardi 2 décembre, l'ex-ministre écologiste délégué au Développement (2012-2014) livre à metronews son analyse à chaud sur les chances de parvenir à un accord "ambitieux" sur le climat à l'issue de la Cop 21. Dans la prudence et l'"optimisme".

C'est un ancien ministre "optimiste" mais qui reste prudent. Pascal Canfin, ex-ministre EELV délégué au Développement auprès du ministère des Affaires étrangères (2012-2014) et futur directeur exécutif du WWF France - la branche française du fond mondial pour la biodiversité - à partir de janvier 2016, était au Bourget, sur le site de la Cop 21 ce mardi 2 décembre pour évoquer l'abandon des énergies fossiles (charbon, pétrole, etc) lors d'une conférence organisée par l'ONG 350.org. 

L'auteur de Climat : 30 questions pour comprendre la conférence de Paris (Les Petits Matins, 2015) est d'ailleurs plutôt sollicité, lui qui connaît les arcanes de ce genre de sommets internationaux et environnementaux. Pour metronews, il a accepté de livrer son sentiment sur les négociations en cours, et cette question cruciale, va-t-on enfin parvenir à un accord sur le climat ?

Etes-vous confiant quant à l’obtention d’un accord "ambitieux" sur le climat à Paris au terme de cette Cop 21 ?
Depuis des mois, je suis raisonnablement optimiste sur le fait qu'à Paris nous allons pouvoir trouver le premier accord universel sur le climat dans lequel tout le monde sera à bord. Aujourd'hui, il y a déjà un accord, le protocole de Kyoto, mais il ne couvre plus que 15% des émissions de gaz à effet de serre: il faut donc un accord qui couvre 100% des émissions. Ensuite, il faut aussi que cet accord soit conforme à ce que les scientifiques nous demandent, c'est-à-dire ne pas dépasser les 2°C de réchauffement [ndlr, à l'horizon 2100]. Et c'est là où l'enjeu des négociations n'est pas encore joué.

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Autant, je suis optimiste sur le fait de dire qu'il y aura un accord à Paris. Pourtant je ne suis pas en capacité de dire que cet accord sera suffisant pour maintenir le réchauffement climatique sous le seuil des 2°C. Il ne faut pas évaluer Paris au regard de l'accord seul. Il y a énormément d'initiatives : on parle de 10.000 engagements qui vont être pris pendant les 15 jours par les entreprises, le secteur financier et les collectivités locales. Quand il sera venu le temps de faire le bilan de Paris, les 11 et 12 décembre, il faudra donc regarder l'accord, mais aussi tout le reste. 

Un des points de blocage concerne la question du financement de l'adaptation au changement climatique des pays en développement. Au regard des engagements annoncés depuis plusieurs mois, pensez-vous que cette solidarité sera prise en compte dans l'accord ?
L'ensemble des engagements qui ont été pris par les pays riches pour honorer la promesse qu'ils ont faite en 2009 à Copenhague de transférer 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 au pays du Sud, est en voie d'être honoré. Pourtant, aujourd'hui quand on additionne ces engagements, y compris ceux annoncés lundi par les chefs d'Etat, on est autour de 85 milliards. Cela laisse penser qu'il est toujours possible d'honorer cette promesse: on va dans la bonne direction. En revanche, l'essentiel de cet argent ne va pas dans les pays les plus vulnérables, notamment les pays africains, pour leur permettre de s'adapter au changement climatique. Or, c'est une des conditions de succès de la Cop 21: pour que les leaders africains signent cet accord, il faut davantage d'engagements pour aider les plus vulnérables à s'adapter. 

Pensez-vous que cette responsabilité des pays du Nord va être enfin reconnue ?
Pour la première fois, Barack Obama a reconnu la responsabilité très forte des Etats-Unis dans le dérèglement climatique. Hier encore, le président de la République, François Hollande, a parlé de "dette écologique" envers l'Afrique: nous avons en matière environnementale une "dette climatique". Donc affirmer à la Cop 21 cette idée selon laquelle nous avons une part de responsabilité, c'est aussi un enjeu de solidarité climatique internationale. Elle a été très fortement portée par les chefs d'Etat lundi 30 novembre, et maintenant il faut la traduire concrètement dans l'accord en assurant les pays du Sud qu'il y aura bien en 2020, 2021, 2022, 2023, etc, après 2020, toujours ces 100 milliards au moins, et en augmentant la part qui est fléchée vers les pays vulnérables de façon à ce qu'on évite que tout cet argent-là aille uniquement en direction des pays émergents, qui sont plus riches qu'ils ne l'étaient avant. 

Concernant les engagements de la France en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pensez-vous qu'ils sont suffisants ou faut-il les intensifier d'ici à 2020 ?
Sur le papier, les objectifs de la loi sur la transition énergétique [ndlr, votée définitivement en juillet 2015 par le Parlement] sont corrects, et il place la France parmi les pays qui ont une réelle stratégie de décarbonation de son économie. L'enjeu est moins de revoir les objectifs à la hausse que de nous donner les moyens concrets financiers, juridiques pour traduire ces engagements dans la réalité. Cela passe par des investissements dans la mobilité électrique, dans les transports en commun par les collectivités locales, le fait de taxer davantage les pollutions pour ensuite permettre d'investir dans la transformation de notre modèle économique. Vous pouvez avoir les outils pour planter un clou dans le mur, mais si vous n'avez pas l'intention, vous ne planterez jamais un clou dans le mur. Il faut maintenant passer aux actes pour transformer l'essai et l'opportunité donner par cette loi. 

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Et donc enfin créer une taxe sur les transactions financières ?
Le 8 décembre, les ministres des finances des 11 pays européens qui se sont engagés à mettre en place une taxe sur les transactions financière (la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et quelques autres) doivent décider d'une taxe qui doit au moins rapporter 10 milliards d'euros par an de façon à permettre d'augmenter les financements que l'on va transférer vers les pays les plus vulnérables. C'est absolument décisif. Si le 8 décembre, après deux ans de négociations, le président Hollande est capable avec la chancelière Angela Merkel de dire qu'on met en place cette taxe au 1er janvier 2017 par exemple, ce sera un geste extrêmement fort qui peut contribuer au succès de la Cop 21. 

A l'heure actuelle, comme le pointent du doigt les ONG, la question des "énergies fossiles" n'est même pas mentionner dans le brouillon d'accord en préparation. N'est-ce pas problématique ?
On sait bien que ce qui se joue derrière c'est une bataille économique. La Cop 21, c'est aussi la nouvelle "bataille de Paris". "Les pays fossiles" comme le Venezuela, l'Arabie Saoudite et quelques autres, dont le modèle économique et la puissance reposent sur l'exploitation des énergies fossiles sont en train heure par heure de faire en sorte qu'il n'y ait pas accord ou l'accord le moins ambitieux possible. C'est une bataille industrielle et une bataille géopolitique. Il y a un lien entre les énergies fossiles et le financement du terrorisme. D'où vient 30% de l'argent de Daech: de l'exploitation du pétrole ! J'espère que nous allons gagner cette bataille à Paris.

Les ONG françaises critiquent aussi le "greenwashing" de certaines entreprises partenaires de la Cop 21 comme BNP Paribas, EDF ou Engie "non compatible avec le climat". Ces entreprises avaient-elles leur place au Bourget ?
On ne peut pas fonctionner de manière univoque avec toutes les entreprises. Il y a des entreprises qui ont intérêt à la transformation et qui apportent des solutions. On ne fera pas la transition vers une économie décarbonée sans une partie des entreprises. En revanche, il y a une partie du monde du business qui est hostile à cette transition car elle remet en cause leur modèle économique fondé sur les énergies fossiles. Il faut donc bien distinguer celles qui font partie de la solution comme les entreprises du renouvelable et de l'efficacité énergétique (Saint-Gobain, Schneider Electric, etc) de celle qui font partie du problème comme les compagnies fossiles.

Et puis, il y a aussi les entreprises qui sont en train de prendre des engagements compatibles avec ce que les scientifiques disent sur un monde à 2°C (Danone, Loréal, etc). La semaine prochaine, plus de cent entreprises vont faire des annonces en donnant leur feuille de route, et c'est très important car en additionnant les chiffres d'affaires de ces entreprises, c'est plusieurs dizaines ou centaines de milliards d'euros investis pour rester sous le seuil de 2°C de réchauffement climatique. 

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La rédaction de TF1info

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