Le projet de loi Justice du gouvernement prévoit le déclenchement des micros et caméras des téléphones ou ordinateurs à l’insu des personnes visées par les autorités.Des magistrats et avocats dénoncent des atteintes à la vie privée et une dérive autoritaire.
La caméra ou le micro de votre téléphone déclenchés sans que vous le sachiez ? C'est ce que prévoit le projet de loi Justice du gouvernement examiné à partir de ce mardi 6 juin au Sénat, contre lequel s'insurgent des professionnels de la justice. L'article 3 du texte prévoit en effet d'autoriser le déclenchement à distance des micros et caméras des téléphones, ordinateurs et autres appareils connectés, à l’insu des personnes visées par les autorités. Les détracteurs du texte y voient une mesure autoritaire et une atteinte à la vie privée.
Déjà utilisée par les services de renseignements, cette technique dont le fonctionnement est couvert "par le secret défense", selon la Chancellerie, sera autorisée dans les affaires de terrorisme, et de délinquance et criminalité organisées. Un spectre "très large", prévient Sarah Pibarot, secrétaire nationale au Syndicat de la magistrature, classé à gauche et opposé à la mesure : meurtre "en bande organisée", cambriolages en "équipes" ou trafic de stupéfiants.
Un texte qui rompt "l'équilibre" entre les nécessités de l'enquête et les atteintes aux droits
"Le jeune mineur qui fait le guet en bas d'un point de deal" pourrait être visé, détaille-t-elle, alors que l'Observatoire des libertés et du numérique (OLN) rappelle que certaines des infractions concernées "ont déjà été utilisées pour poursuivre des actions militantes" (d'écologistes, d'aide à l'entrée de migrants). Une "surenchère sécuritaire du gouvernement" permettant de transformer tout objet connecté en potentiel "mouchard", dénonce l'OLN. Selon Sarah Pibarot, ce texte rompt "l'équilibre" entre les nécessités de l'enquête et les atteintes aux droits et aux libertés.
Aussi, "quand on introduit un nouveau moyen d'enquête, il s'étend", met en garde Sarah Pibarot. Exemple avec les perquisitions de nuit, d'abord uniquement autorisées dans les affaires de terrorisme, puis élargies à la criminalité organisée. Et que ce projet de loi prévoit d'étendre à nouveau, à tous les crimes d'atteintes aux personnes. "On va toujours plus loin", dit-elle. "Le droit à la vie privée disparaît progressivement, c'est un glissement qu'on observe depuis des années".
Des recours seront possibles, se défend la Chancellerie
Dans un communiqué, le conseil de l'ordre des avocats parisiens s'est lui aussi ému d'"une atteinte particulièrement grave au respect de la vie privée", qui "ne saurait être justifiée par la protection de l'ordre public". La Chancellerie promet que cette disposition, qui prévoit aussi la possibilité d'un déclenchement à distance à des fins de géolocalisation, sera encadrée de "garanties". Par exemple, les enquêteurs devront motiver la requête, qui sera approuvée par un juge, et des recours seront possibles. Seront par ailleurs exclues du dispositif les "personnes protégées" comme les avocats, les magistrats, les parlementaires.
Mais d'autres se réjouissent, à l'instar de Marion Cackel, présidente de l'Association française des magistrats instructeurs (AFMI). "C'était une vraie demande depuis plusieurs années" pour répondre "à la modernisation de la criminalité organisée", a-t-elle déclaré à l'AFP. Dans la grande criminalité, "plus personne ne s'appelle 'en clair'", via une ligne téléphonique classique, explique-t-elle. Or, "les interceptions téléphoniques ne fonctionnent pas" pour les appels passés via les messageries cryptées, type WhatsApp ou Telegram.
"Les voyous vont s'adapter, ils reprendront des téléphones qui n'ont ni caméras, ni quoi que ce soit"
"Aujourd'hui, vous avez des micros intégrés partout, via tous les objets connectés : dans votre voiture, sur votre téléphone", avec une montre ou un frigo "connectés", énumère un commissaire de police judiciaire. Plutôt que de "violer le domicile ou le véhicule de quelqu'un" pour le sonoriser, c'est moins "disproportionné" et "beaucoup plus simple de pouvoir activer un micro à distance", estime-t-il. Un collègue y voit un "super plus" pour faciliter la vie des enquêteurs, mais ne s'attend pas non plus à une "solution miracle" : "les voyous vont s'adapter, ils reprendront des téléphones qui n'ont ni caméras, ni quoi que ce soit", imagine-t-il.
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