Un an après, les "inconnus" de la présidentielle se rappellent : "Ils ne nous supportaient pas !"

par Antoine RONDEL
Publié le 23 avril 2018 à 7h00, mis à jour le 23 avril 2018 à 18h46
Un an après, les "inconnus" de la présidentielle se rappellent : "Ils ne nous supportaient pas !"

Source : AFP

MÉMOIRES DE LUTTES - Philippe Poutou, Jacques Cheminade, Nathalie Arthaud. Militants chevronnés mais pas professionnels de la politique, ils sont soudainement apparus sous les spotlights, le temps d'une campagne présidentielle. La lumière est restée pour certains, moins pour d'autres. Un an après le premier tour qui s'était tenu le 23 avril 2017, ils se souviennent de leur expérience pour LCI.

"J'ai découvert que j'étais plus tenace que je ne le croyais. Il y a cette histoire de combat entre le chien-loup et le bouledogue que raconte Jack London. Le bouledogue l'emporte, bien que le chien-loup l'attaque de tous côtés. Il l'a mordu à la gorge, mais le bouledogue le tient et finit par l'étouffer. [...] Moi, j'essaie d'être le bouledogue."  Un an après sa dernière campagne présidentielle, ainsi parle le triple candidat Jacques Cheminade, assez fan de métaphores. En voilà une autre : "Dans l'armée des Huns, on disait que les tigres blessés étaient toujours les plus dangereux". Le tigre blessé du moment, c'est toujours "le monde de la finance", l'ennemi qu'il avait nommé au printemps 2017 et qui, "si on continue à le laisser faire, apportera une nouvelle crise. Les conditions sont réunies pour une nouvelle crise, en pire." 

Au bout du fil, Jacques Cheminade est comme beaucoup de ces anciens candidats à la présidentielle, soudainement apparus sous les projecteurs de l'arène politique. S'ils n'ont pas le capital de notoriété de leurs célèbres concurrents, ils ne sont certainement pas les  moins politiques. Et, un an après, difficile de leur faire parler de leur ressenti personnel de la présidentielle, tant leurs convictions, toujours au bord des lèvres, conditionnent leurs prises de parole médiatiques, forcément amoindries depuis le temps.

"Je ne jouais pas dans la même division"

"Il ne faut pas trop en faire", nuance Nathalie Arthaud, candidate Lutte ouvrière. "Je vois les journées des ouvriers qui se lèvent à 4h du matin, enchaînent une journée de travail en équipe puis s'occupent de leurs enfants en fin de journée. La vie n'est pas simple pour la grande majorité de la population." Outre qu'il partage ce détachement, se trouvant plus fatigué "par ses horaires à la con à l'usine" que par la campagne, Philippe Poutou (Nouveau parti anticapitaliste) ne se souvient pas d'avoir ressenti de la pression : "On a fait 1%, on aurait préféré faire 2, 3 ou 4, c'est sûr. Mais contrairement à d'autres, on ne trinque pas. On ne joue pas notre personne, on ne se met pas en danger, comme d'autres".

Ont-ils seulement l'impression d'avoir décroché, après l'arrêt brutal, au soir du premier tour, le 23 avril, de cet intense marathon qui les a vus être exposés comme jamais ? Nathalie Arthaud relativise : "Hors campagne, les sollicitations peuvent être multiples : soutenir tel ou tel travailleur qui se bat ici, être solidaire d'autres qui sont face à la justice, participer à des manifestations, ça peut être aussi intense !" La candidate Lutte ouvrière reconnait quand même que l'exercice, même avec une première expérience en 2012, est toujours prenant : "On n'est jamais habitué à la télévision, aux projecteurs. C'est une situation toujours difficile, une pression de tous les instants, une vraie difficulté. C'est évident que je ne jouais pas dans la même division que les responsables qui passent leur vie à l'Assemblée ou sur les plateaux télé."

ARCHIVES - En meeting, Nathalie Arthaud se veut fer de lance de la lutte des classesSource : Sujet JT LCI
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Poutou, toujours superstar du 4 avril

Réaction comparable chez Philippe Poutou, probablement le plus connu des candidats à moins de 2%, un an après. Si le porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste avoue "ne pas repenser du tout à la campagne de 2017" et refuse d'y voir "une expérience individuelle", son exposition personnelle, l'enchaînement des plateaux, des meetings, ne l'ont pas laissé indifférent : "On vit le truc collectivement, mais des fois, on se sent un peu petit peu seul alors qu'on aimerait bien faire partie d'un groupe". 

Egalement candidat en 2012, sa candidature a recueilli un témoignage saisissant après sa "performance" en boulet de canon sur les plateaux de BFM et CNews où, en très grande forme, il avait attaqué François Fillon et Marine Le Pen sur leurs déboires judiciaires respectifs lors du débat regroupant tous les prétendants à l'Elysée. 

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Mais au-delà du mitraillage en règle des candidats LR et FN, Philippe Poutou conserve des souvenirs moins agréables : "Avant, nous étions ignorés aux yeux des médias, des grands candidats. Ils débattaient entre eux, nous n'existions pas. Et là, avec ce grand débat, je m'aperçois qu'ils ne nous supportaient pas ! L'histoire de ma phrase, de mon t-shirt - c'était presque comme si j'étais sale -, mon absence de la photo de famille, le fait que je me retourne..." 

Autant de détournement du programme de l'émission qui lui ont valu une bienveillance sur les réseaux sociaux, mais pas forcément l'unanimité, loin s'en faut : "Je ne me comportais pas comme eux, ça les a choqués. On n'avait pas préparé le terrain et on a vu la différence profonde entre ces gens-là et nous." Cette soirée du 4 avril reste un souvenir marqué au fer rouge dans sa mémoire et aussi dans celle des gens qui le croisent : "Ça a fait plaisir à plein de gens, des gens qui ont voté Hamon, y compris des gens qui ont voté Macron. Même aujourd'hui, dans le tram, dans la rue, les gens m'en parlent encore. Ça montrait une vraie colère, un besoin de dire des choses qu'on n'est pas autorisé à dire d'habitude."

"On m'a volé quatre minutes !"

Du débat, Jacques Cheminade ne retient pas grand chose de bon : "Déjà, on m'a volé quatre minutes. On n'a pas voulu poser la question d'une réforme financière en profondeur, à peine plus celle de l'éducation ou de la santé. Et, à chaque fois que je demandais la parole, on ne me la donnait pas, ou pas aux moments fondamentaux." Le natif de Buenos Aires en a conçu une frustration - "pas pour moi mais pour les Français qui voulaient un débat approfondi" - à l'égard des journalistes en général.

A qui il reconnait néanmoins une circonstance atténuante : l'affaire Fillon. "La campagne était confuse et a été focalisée sur l'affaire Fillon. A juste titre, il devait être mis en cause, mais ça ne devait pas occuper le centre de la campagne." Un avis que ne partage par Nathalie Arthaud : "C'était jouissif. Ecoutez, pour une fois que ces affaires étaient mises sur la table, qu'on pouvait mesurer de façon concrète cette arrogance, ces passe-droits dans le monde politique, je n'allais pas pleurer." La candidate communiste allait même s'en servir. "Pas pour dégommer les politiciens comme Philippe Poutou, mais pour m'expliquer sur l'existence des classes sociales : une bourgeoisie où tout est facile et les milieux populaires où on galère pour avoir le moindre stage."

"Mon équilibre n'a jamais été rompu"

Depuis, la vie, militante, forcément, a repris son cours. Pas polluée par les soucis financiers, chacun d'entre eux ayant fait une campagne dans les clous des 800.000 euros de forfait accordés à chaque candidat. Jacques Cheminade multiplie les tables rondes pour alerter sur la nécessité d'un développement mutuel pour éviter le risque d'écroulement financier. Ses 0,18% ne lui permettent pas, à son grand regret, de faire plus de médias. 

Philippe Poutou a repris l'usine, avec un jour de porte-parolat pour le NPA par semaine, et se dit que son coup de gueule du 4 avril a semé les graines de la contestation printanière qui saisit nos rues. Nathalie Arthaud, qui continuait à enseigner deux matinées par semaine dans son lycée d'Aubervilliers pendant la campagne, a repris son rythme normal : "Mon équilibre n'a jamais été rompu". 


Antoine RONDEL

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