Présidentielle 2022 : faut-il s'inquiéter des accusations de certains candidats ?

par Maëlane LOAËC
Publié le 30 mars 2022 à 18h47

Source : JT 20h Semaine

Plusieurs prétendants à l'Élysée ont d'ores et déjà remis en doute l'issue du scrutin présidentiel.
Selon les spécialistes, il faut toutefois distinguer les accusations sur la légalité du vote, irrecevables et les critiques sur la légitimité du vainqueur.

Il égrène la menace au fil des plateaux et des studios : le candidat souverainiste Nicolas Dupont-Aignan a affirmé mardi sur RTL que l'élection présidentielle à venir était "truquée de A à Z", avant de prétendre à nouveau que "tout est fait pour réélire Emmanuel Macron" ce mercredi sur franceinfo. La candidate des Républicains, Valérie Pécresse, avait quant à elle appelé lors d'un oral organisé le 22 mars par le magazine Valeurs Actuelles à ne pas "se laisser voler cette élection", comme ce fut le cas selon elle en 2017, lorsque le candidat de son parti François Fillon avait été éliminé au premier tour.

Mais ces deux discours s'avèrent différents : la candidate ne semble pas remettre en doute les conditions légales de la précédente élection, elle souligne surtout le handicap qu'avait représenté l'affaire des emplois fictifs pour son ancien candidat. "Cette élection avait été vécue comme une espèce de rapt, Emmanuel Macron l'ayant emporté 'par effraction', de son propre aveu", rappelle Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille et chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Ceraps). 

Les accusations du candidat souverainiste restent de leur côté "totalement injustifiées et démagogiques" aux yeux du politologue. "Il faut bien distinguer les accusations sur la légalité du scrutin de celles sur sa légitimité", explique-t-il. 

Fraude électorale : une rhétorique proche de celle de Donald Trump, mais moins efficace

Le candidat de Debout la France critique en effet la règle des 500 parrainages ou la répartition du temps de parole entre les concurrents pendant la campagne. "Ce sont des lois qui peuvent être discutées, mais ce qui est problématique, c'est de ne pas les questionner plus tôt et de les présenter comme truquées juste avant le vote", explique Antoine Bristielle, directeur de l’Observatoire de l’opinion de la Fondation Jean-Jaurès et auteur du livre Voyage en terres complotistes (Fayard, 2022).

Cette rhétorique semble se situer dans la lignée de celle de l'ancien président américain Donald Trump, qui affirme toujours que l'élection de Joe Biden en 2020 lui a été "volée". Ces vocables se rapprochent aussi de ceux du candidat d'extrême droite Eric Zemmour, qui accuse régulièrement les médias de desservir sa campagne, par exemple en "enterrant la vérité" lors de la couverture de son dernier meeting dimanche

"Certains peuvent essayer de surfer sur cette vague-là, d'autant qu'en France la défiance envers les institutions et les médias existe bel et bien aussi", indique le chercheur : selon une étude de sa fondation réalisée l'an passé, 30% des sondés pensaient que les élections n'étaient pas suffisamment transparentes. Par ailleurs, 91% des Français estiment que les sondages sont truqués, d'après une enquête de la plateforme de sondage participative Pollers, publiée ce mercredi. Dernièrement, un sondage de l'Ifop révélait aussi que plus d'un Français sur trois déclarait croire aux théories du complot. 

Mais cette stratégie est encore loin d'être payante, puisque les candidats qui la déploient disposent d'un électorat plus faible que celui de Donald Trump : ceux qui pensent vraiment que l'élection est truquée préfèrent s'abstenir, relève le spécialiste. 

Des critiques justifiées sur la légitimité du vainqueur de l'élection

En revanche, les critiques sur la légitimité du candidat élu peuvent viser juste, selon les experts, face à une campagne étouffée par l'actualité de la guerre en Ukraine. "Ces propos montrent que notre système électoral produit de moins en moins de légitimité : elle ne découle plus forcément de la légalité, alors qu'avant, le scrutin produisait une légitimité indiscutable, voire un état de grâce", analyse Rémi Lefebvre. 

Outre le contexte international, le politologue relève aussi la volonté d'Emmanuel Macron d'échapper au débat avec les autres candidats, très critiquée par ses concurrents, même si ses prédécesseurs ne s'y étaient pas non plus pliés non plus. Il note également la fragmentation du paysage politique actuel, qui accentue le recours au vote utile, un choix par défaut ou par élimination. Si bien que celui qui sera élu disposera finalement d'une base électorale faible, alors même que "le système politique reste centré sur des élections"

Autre frein à la légitimité du gagnant ou de la gagnante du scrutin : le manque d'adhésion croissant des électeurs à ce système électoral. C'est la critique que formulait il y a quelques semaines Gérard Larcher, qui s'était attiré les foudres d'Emmanuel Macron en doutant de la "légitimité" du président sortant s'il était réélu avec une forte abstention, un scénario qui se profile. "La question se pose vraiment, car il sera difficile pour celui qui est élu pour mettre en place ses réformes avec l’assentiment de la population, alors que l'intérêt des électeurs pour le scrutin baisse", estime Antoine Bristielle : d'après un récent sondage pour la fondation Jean Jaurès, seul un Français sur deux discute de l’élection avec ses proches, contre 75 à 80% en 2017.

Ces critiques ne sont toutefois pas anodines, et peuvent aussi participer de la stratégie des candidats : "C'est une manière de s’exonérer d'ores et déjà de leur future défaite et de la justifier, en affirmant qu’il n’y a pas eu de vraie campagne", souligne Rémi Lefebvre. Ils peuvent aussi jouer à "flirter" dangereusement avec la limite de fausses allégations. "Ils sont toujours sur une ligne de crête entre interroger la légitimité du scrutin, ce qui peut s’entendre, et des accusations de fraude, qui sont inacceptables", complète Antoine Bristielle. "C'est tout le jeu", conclut-il.


Maëlane LOAËC

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