DISSONANCES - Lors du grand débat des candidats LR lundi soir sur LCI, Valérie Pécresse a établi un lien clair et direct entre l'immigration et la hausse de la délinquance. Si des chiffres appuient en apparence un tel discours, les chercheurs remettent largement en cause ces conclusions.
Sécurité et immigration font partie des thèmes de campagne récurrents à droite depuis de longues années. Rien de surprenant, donc, à observer les candidats des Républicains à l'investiture pour la présidentielle investir ces questions et multiplier leurs propositions. Lundi soir, sur LCI, Valérie Pécresse a notamment défendu un contrôle migratoire renforcé, de sorte qu'il soit possible de "choisir les étrangers que l'on accueille".
La présidente de la région Île-de-France a par ailleurs assuré que "l'immigration aujourd'hui a un lien avec la montée de l'islamisme et le terrorisme". Elle n'est pas non plus étrangère à "la montée de la violence et de la délinquance", dit-elle. Une analyse que ne partagent toutefois pas les sociologues spécialistes ayant travaillé sur ces questions.
Dépasser les chiffres
Pour étudier les propos de Valérie Pécresse, commençons par consulter des indicateurs chiffrés. La part de personnes étrangères au sein de la population française, nous dit l'Insee, s'établit à près de 7,6%. Les statistiques officielles relatives à la délinquance nous indiquent par ailleurs que dans le domaine judiciaire, 85% des personnes condamnées sont françaises, quand 15% s'avèrent de nationalité étrangère. Des éléments qui laissent à penser que les personnes nées hors des frontières hexagonales sont plus enclines à commettre crimes et délits.
D'autres données accréditent cette thèse, en particulier celles relatives aux incarcérations. Au premier juillet 2021, le ministère de la Justice mettait en avant la forte représentation des personnes étrangères parmi celles écrouées à travers le territoire. 21,8% exactement. Là encore, cette proportion est nettement supérieure à celle des étrangers parmi la population globale, allant dans le sens des propos tenus par la présidente de la région Île-de-France.
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Habitués à manier ces chiffres, les chercheurs en sciences sociales se sont livrés au cours des dernières décennies à de vastes analyses pour tenter d'en comprendre les causes et particularités. L'Institut convergences migrations, affilié au CNRS, a présenté l'an passé une forme de synthèse des travaux menés, pour tenter de répondre à l'épineuse question suivante : "Que sait-on réellement du lien entre immigration et délinquance ?" Il en ressort que "l’essentiel des discours liant immigration /délinquance /criminalité sont fondés sur des arguments quantitatifs tels que la hausse des crimes et délits commis par des personnes immigrées, descendantes d’immigrés et étrangères ou encore la surreprésentation de ces mêmes personnes parmi les détenus en France", peut-on lire. "Cela demande à être analysé en détail", estiment les auteurs de cette note.
Ils insistent sur le fait que "la part des étrangers dans les condamnations [...] varie selon la nature de l’infraction : 25% pour le travail illégal, 41% pour les faux en écriture publique ou privée, près de 50% des infractions douanières et 78 % pour les infractions relatives à la police des étrangers, c’est-à-dire, pour l’essentiel des infractions liées à la régularité du séjour des étrangers en France".
Se référant aux conclusions d'autres travaux, ils notent aussi que "les immigrés (dont les étrangers) et leurs descendants sont surtout présents dans les types de délinquance qui sont typiquement celles des milieux populaires, mais qui sont également les formes de délinquance les plus visibles, les plus simples et donc les plus réprimées par la police et la justice". Des facteurs sociaux entrent donc nécessairement en considération pour expliquer la délinquance et la surreprésentation des étrangers (plus défavorisés en moyenne que les personnes de nationalité française).
Un reflet des discriminations ?
Les chercheurs incitent à observer les données comme le reflet des inégalités et des discriminations dont sont victimes les personnes étrangères. "La précarité juridique et sociale des étrangers [...] joue un rôle déterminant" écrivent-ils. Un constat qu'opère également la section française de l'Observatoire international des prisons. "Faute de posséder des papiers en règle ou de bénéficier d’un réel droit au travail, une partie considérable" des étrangers souffre "d’une absence de revenus légaux", fait remarquer l'OIP. Qui décrit ainsi "un contexte de vulnérabilité qui ne peut qu’être le terreau d’un passage à l’acte délictuel pour satisfaire des besoins primaires de subsistance".
En complément, l'organisation fait remarquer qu'en 2018, "les étrangers étaient par exemple responsables de plus de 27 % des vols et des faits de conduite sans permis, et de plus 13 % des faits de détention, acquisition et emploi de stupéfiants". Une délinquance "particulièrement sujette aux procédures de flagrants délits et fait par conséquent davantage l’objet de poursuites" et qui contribue à la surreprésentation des étrangers.
D'autres travaux tentent de leur côté de documenter la plus grande fréquence des contrôles dits "au faciès". Les spécialistes du CNRS, en tout cas, n'hésitent pas à évoquer des "représentations racistes" qui "orientent la vigilance policière, contribuant de fait à la surreprésentation des personnes immigrées et leurs descendants parmi les personnes interpellées et condamnées".
"Tentation sécuritaire"
La justice, enfin, affiche des différences de traitement envers les personnes étrangères. Il s'agit là encore d'études documentées, dont l'OIP se fait l'écho. Et d'en mentionner une, remontant à 2013 et qui mettait en avant "que les personnes nées à l’étranger avaient trois fois plus de chances d’être jugées en comparution immédiate que les personnes françaises, et près de cinq fois plus d’être placées en détention provisoire". En pratique, "la probabilité d’une condamnation à de la prison ferme" se trouve multipliée par 8, dixit l'étude. Bien souvent, "la carence de preuves d’insertion sociale, professionnelle ou familiale semble jouer en défaveur des étrangers", qui ne bénéficient pas autant de peines alternatives.
Sévères, les spécialistes de la délinquance concluent que "prétendre vouloir s’attaquer à l’immigration [...] pour réduire la délinquance semble infondé. C’est, bien davantage, une lutte efficace contre les inégalités sociales, scolaires et territoriales qui permettrait, à moyen terme, de diminuer les actes de délinquance au sein des milieux populaires dont les immigrés et étrangers sont une composante." Des conclusions qui font échos aux observations que réalisait en 1984 le Genepi lors de ses "Assises". L'association, dissoute cet été et dont les bénévoles ont multiplié pendant 45 ans les visites en prison, mettait alors en avant la "tentation sécuritaire" dans les débats publics, ainsi que le risque "du glissement vers une pratique judiciaire et administrative d'exception".
Si Valérie Pécresse n'a pas souhaité le déploiement de telles mesures, le fait qu'elle associe naturellement immigration et délinquance se voit largement contredit par les travaux des chercheurs qui se sont penchés sur ces questions sensibles.
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