NATIONALISME - Marine Le Pen a assuré lundi que l'Allemagne possédait dans ses textes un "bouclier constitutionnel" qui dispose que "tout texte international qui est contraire à la constitution reste purement et simplement inappliqué". Une affirmation trompeuse.
Comment peut-on appliquer un programme qui va à l'encontre des règles européennes ? C'est la question cruciale qui a été posée à Marine Le Pen ce lundi 27 septembre. Sur France 2, la candidate à l'élection présidentielle a défendu son engagement de mettre en place une "révision constitutionnelle" dans laquelle elle inscrirait le "principe de la supériorité de notre constitution sur tout texte international". Pour appuyer sa proposition, la présidente du Rassemblement national a pris en exemple l'Allemagne, qui aurait déjà un "bouclier constitutionnel" permettant de se soustraire à "tout texte international qui est contraire à la constitution". Qu'en est-il réellement ?
L'Allemagne, comme l'intégralité des États membres, reconnait la "primauté du droit européen ". S'il n'est pas inscrit dans les Traités, ce principe a été "consacré par la Cour de justice de l'Union européenne", lors de l'arrêt Costa contre Enel du 15 juillet 1964, comme le rappelle le site d'accès au droit de l'Union européenne. Cette décision rend le droit européen supérieur à celui des droits nationaux, afin de permettre une protection uniforme des citoyens de ce même territoire. On retrouve donc ce principe retranscrit dans la Loi Fondamentale allemande - l'équivalent de notre Constitution - dans l'article 24, qui permet à la Fédération allemande de "transférer, par voie législative, des droits de souveraineté à des institutions internationales".
Mais alors, à quoi peut bien faire référence Marine Le Pen lorsqu'elle évoque ce prétendu "bouclier" constitutionnel ? En réalité, il existe bien deux exceptions très spécifiques à la règle de supériorité du droit européen aux yeux de la Cour constitutionnelle allemande. Elles sont précisées explicitement dans l'article 23 de la Loi fondamentale. Et sont résumées par Dieter Grimm, ancien membre de la Cour constitutionnelle fédérale allemande. Dans une analyse publiée en avril 1998, il reconnaissait ainsi qu'en Allemagne, la "suprématie du droit communautaire n'est pas totale" et possédait deux "limites". Premièrement, il s'agit du cas où une loi européenne excèderait les pouvoirs législatifs accordés à la communauté par les États membres. En pratique, la législation européenne doit donc être compatible avec le champ de compétence des Traités signés entre les 27.
Quant à la deuxième exception, il s'agit là du cas où une législation européenne n'apporterait pas la même protection des droits fondamentaux que ceux au niveau national. C'est ainsi qu'en 1974, dans ce qu'on appelle la jurisprudence "Solange I", la Cour constitutionnelle allemande a affirmé que "la protection des droits fondamentaux accordée par la Communauté n'était pas à la hauteur de celle qu'accordait la Constitution allemande", rappelle Dieter Grimm. La Cour allemande estimait alors que tant que cela durerait, "les garanties des droits fondamentaux assurées par la Loi fondamentale" prévaudraient sur le droit communautaire en territoire allemand. Ceci dit, était également précisé que cette réserve n'était que provisoire, et qu'elle était amenée à disparaître.
Après "Solange I", "Solange II"
C'est ce qu'il s'est passé douze ans plus tard, avec l'arrêté "Solange II". Dans son jugement de 1986, la Cour a déclaré que la protection des droits fondamentaux sur le continent s'était suffisamment développée pour atteindre le niveau exigé par la Constitution allemande. "La période de transition, qui avait rendu nécessaire l'arrêt de 1974, fut déclarée terminée", comme le résume l'ancien constitutionnaliste. Ce qui ne signifie pas que "la Cour constitutionnelle d'Allemagne a renoncé à sa compétence d'examen approfondi de la législation communautaire", mais simplement qu'elle "n'exerce plus une compétence qu'elle détient encore".
C'est sur ce deuxième point - supposé défendre les "droits fondamentaux" des Allemands - que notre voisin a pu se rebiffer, pour la première fois, en mai 2020. La Cour constitutionnelle allemande, saisie par des euro-sceptiques, a en effet jugé que le rachat de la dette publique par la Banque centrale européenne (BCE) violait la constitution Allemande. La cour nationale a donc demandé des comptes à l'institution monétaire européenne, allant à l'encontre de la fameuse "primauté du droit européen". Une initiative qui n'a d'ailleurs pas été du goût des 27. En juin dernier, la Commission européenne a ouvert une procédure d'infraction à l'encontre de l'Allemagne pour non-respect du principe de primauté du droit européen. La cour de justice de l'Union européenne pourrait être saisie, avec des risques de sanctions.
Autrement dit, non seulement il n'existe pas de "bouclier constitutionnel" en Allemagne, qui rendrait des lois européennes automatiquement caduques, mais en plus la seule décision allant à l'encontre du principe de primauté de l'Union européenne a provoqué l'ire des 27. Comme le résumait Thibaut Fleury-Graff, professeur de droit public à l'université Paris-Saclay, dans les pages des Échos au sujet de la souveraineté juridique : "Un État ne peut s'abriter derrière sa constitution pour se dispenser d'appliquer le droit européen."
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