INTERVIEW - Emmanuel Macron, en plus de reconnaître ce jeudi l'existence d'un "système" de "torture" pendant la guerre d'Algérie, a annoncé l'ouverture des archives concernant les disparus français et algériens pendant cette période. L'historienne Raphaëlle Branche, spécialiste de la guerre d'Algérie, analyse pour LCI la portée de cette décision.
Que signifie pour les historiens la décision d'Emmanuel Macron de reconnaître l'existence d'un "système légalement institué" ayant permis la mort du militant communiste Maurice Audin sous la torture pendant la guerre d'Algérie ? En demandant jeudi pardon à la veuve de ce dernier, le président a également confirmé que les archives concernant les disparus civils et militaires des deux camps pendant la guerre seraient ouvertes. "Ce sera un travail énorme mais salutaire. La dérogation est bonne pour tout le monde : Français, Algériens et pieds noirs. Tout le monde a intérêt à connaître la vérité", a affirmé le chef de l'Etat.
Il y a 20 ans, on ne pouvait pas avoir accès aux documents de la justice militaire
Raphaëlle Branche
Pour l'historienne Raphaëlle Branche, enseignante à l'université de Rouen et auteure de La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie, 1954-1962, l'annonce d'Emmanuel Macron est avant tout un acte politique, qui permet de combler l'écart entre le consensus scientifique sur cette question et le manque de reconnaissance des gouvernants. Elle répond aux questions de LCI.
LCI : En quoi l'ouverture des archives de l'État annoncée par l'Élysée pourrait améliorer la connaissance de la guerre d'Algérie ?
Raphaëlle Branche : On ne sait pas très bien de quelles archives il s'agit en réalité. Techniquement et pratiquement, la déclaration de l'Élysée pose de nombreuses questions, mais ce qu'il faut retenir, selon moi, c'est que la présidence envoie un message politique et recommande l'ouverture sur une question extrêmement sensible. J'espère que cette décision permettra d'éclairer les conditions de ces disparitions. Des travaux existent déjà, mais il reste difficile de travailler sur ce domaine, d'autant plus que certaines disparitions n'ont jamais été signalées. Cette question des disparus est entremêlée à toutes sortes d'autres questions. Sauf exception, il n'y a pas de dossiers qui dorment sur lesquels il est écrit "disparus".
Votre travail d'historienne a-t-il été entravé par l'impossibilité d'accéder à certaines archives ?
Il faut d'abord savoir qu'une archive n'existe pas avant qu'on sache qu'elle est là. Si on parle des archives dont les historiens ont connaissance de l'existence, je peux vous donner l'exemple de ma thèse que j'ai rédigée il y a 20 ans. À l'époque, on ne pouvait pas avoir accès aux documents de la justice militaire, qui sont extrêmement riches car ils contiennent notamment des interrogatoires de témoins. Depuis, on peut y avoir accès avec une dérogation. La question aujourd'hui est plutôt d'identifier où se situent les archives.
Dès lors que l'État dit "je reconnais", il donne une force supplémentaire à cette vérité
Raphaëlle Branche
Comment expliquer qu'il ait fallu autant de temps pour que l'Élysée fasse cette déclaration ?
Il faudrait demander aux gouvernements précédents. Cette annonce intervient en même temps que celle sur la disparition de Maurice Audin. Auparavant, le discours était d'attendre qu'on soit absolument sûr de ce qui s'était passé. C'était la position de François Hollande. Aujourd'hui, Emmanuel Macron fait un pas en affirmant qu'on sait, avec une très forte probabilité, que Maurice Audin est mort dans les mains des forces de l'ordre françaises, même si son corps n'a pas été retrouvé. C'est un acte politique qui consiste à affirmer que tout est réuni par les historiens, avec le plus haut degré de vraisemblance, et que le politique en prend acte. Au-delà de ça, le principal intérêt de cette déclaration, c'est la reconnaissance de l'existence du système répressif qui a rendu possible des crimes de guerre sans poursuites judiciaires. Pourquoi aucun gouvernement ne l'a reconnu jusqu'à présent ? Peut-être que ça a à voir avec la manière dont les gouvernants se représentent l'opinion publique sur ces sujets. Je pense qu'il y avait une crainte de prendre cette position.
Pensez-vous que cette décision permettra d'apaiser les débats sur la guerre d'Algérie ?
C'est un acte important. Ça pose un avant et un après. Pour nous les historiens, la vérité scientifique est déjà établie depuis longtemps. Ce n'est pas une découverte et il n'y a aucun débat sur l'existence de ce système de répression. Mais dès lors que l'État dit "je reconnais", il donne une force supplémentaire à cette vérité. Ce c'est pas à l'État de faire l'histoire, mais il y avait un écart trop important entre ce qui est de notoriété scientifique et sa reconnaissance par le politique. Je ne sais pas si ça créera un consensus dans la société, d'autant plus qu'on ne peut pas mesurer l'opinion publique sur ce sujet. Mais j'ai bon espoir que cette annonce puisse entraîner des gens qui sont sensibles à des arguments révisionnistes.
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