Réforme des retraites : l'article 47.1, cette arme que pourrait dégainer le gouvernement

Publié le 23 janvier 2023 à 13h59

Source : JT 20h WE

Le gouvernement pourrait recourir à l'article 47.1 de la Constitution pour valider sa réforme des retraites.
S'il limite les débats dans le temps, ce texte permet de mettre en œuvre les mesures par ordonnance en cas de désaccord au Parlement.
L'opposition dénonce déjà un "49.3 déguisé".

On connaissait l'article 49.3, utilisé une dizaine de fois par la Première ministre Élisabeth Borne dans le cadre de l'examen du budget 2023. Voici désormais l'article 47.1, la nouvelle arme constitutionnelle du gouvernement pour adopter sa réforme des retraites. Contesté par une partie de la classe politique, à l'origine de la colère des nombreux manifestants, ce texte, qui prévoit notamment de reporter l'âge légal de départ de 62 à 64 ans, a été présenté ce lundi 23 janvier à l'Élysée, en Conseil des ministres.

S'il s'agit en apparence d'une nouvelle réforme des retraites, la sixième depuis trois décennies, ce texte présente une particularité loin d'être anodine : il figure en réalité dans le cadre du projet de loi rectificatif de financement de la Sécurité sociale. Un détail pour les Français, beaucoup moins pour le législateur. La Constitution prévoit en effet la possibilité pour le gouvernement d'accélérer les débats au Parlement lors d'une procédure d'examen des projets de loi de financement de la Sécu.

Un article qui permet d'adopter le texte par ordonnance

L'article 47.1 met la pression sur l'Assemblée nationale, où le gouvernement ne dispose que d'une majorité relative. Si la chambre basse "ne s'est pas prononcée en première lecture dans le délai de 20 jours après le dépôt d'un projet", le gouvernement peut alors "saisir le Sénat, qui doit statuer dans un délai de 15 jours". Autrement dit, faire comme si la case "Assemblée nationale" n'avait (presque) jamais existé.

C'est pourtant au sein du palais Bourbon que le futur de cette réforme peut se jouer. La France insoumise (LFI), farouchement opposée au projet, a menacé ces dernières semaines de déposer des milliers d'amendements, afin de rendre l'avancée des travaux quasi impossible. Or, si leur examen n'est pas terminé avant le 17 février à minuit, le texte initial (modifié par les amendements votés et qui ont reçu l'aval du gouvernement) fait directement la navette vers le Sénat, où la majorité de droite se montre beaucoup plus satisfaite du projet.

Les élus de la chambre haute auront alors 15 jours pour débattre en première lecture - à compter de fin février - puis le texte arrivera en commission mixte paritaire, où députés et sénateurs se réuniront. En cas de désaccord, le texte retournera à l'Assemblée, où les élus du camp présidentiel pourraient s'accorder avec ceux des Républicains pour adopter la réforme. Mais si le Parlement ne se prononce pas "dans un délai de 50 jours", alors "les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance", selon l'article 47.1.

"Pas une réforme budgétaire", s'indigne l'opposition

Ce cas de figure, jamais utilisé dans l'histoire de la Ve République, permettrait ainsi à l'exécutif de faire passer le texte sans vote. Ses opposants dénoncent un "49.3 déguisé". "Constitutionnellement, il y a un impératif budgétaire qui consiste à dire [...] qu'au 31 décembre, il faut que des décisions soient prises, donc le gouvernement peut accélérer les choses" grâce au 47.1, reconnaît le député LFI Alexis Corbière sur Public Sénat. "Mais là, il n'y a pas de raison de brutaliser et d'accélérer sur la réforme des retraites."

Lui compte sur le Conseil constitutionnel pour empêcher tout abus. Le gouvernement "tord la Constitution", l'article 47.1 "n'est pas fait pour cela", déplore l'élu de Seine-Saint-Denis. "Il est possible que tout ce débat soit jugé anticonstitutionnel. La réforme des retraites n'est pas une question budgétaire, c'est une question politique." Un budget rectificatif sert à modifier les prévisions de recettes et dépenses de l'année en cours, pas à "imposer une réforme de fond", s'indigne de son côté Mathilde Panot, cheffe de file du groupe LFI, dans des propos rapportés par l'AFP.

Même des constitutionnalistes s'interrogent, certains pointant auprès de la même source un "détournement de procédure". Le gouvernement, lui, campe sur ses positions. "L'essentiel des mesures (de la réforme) ont un impact sur les comptes de la Sécurité sociale", a justifié ce lundi le ministre du Travail, Olivier Dussopt, à la sortie du Conseil des ministres.

Selon le Canard Enchaîné, le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, a averti qu'il serait vigilant, citant en particulier la création d'un "index" pour mesurer l'emploi des seniors : "tout ce qui est hors champ financier peut être considéré comme un cavalier budgétaire" et censuré. Un avertissement pour le gouvernement, qui peut toujours utiliser le 49.3 pour imposer sa réforme. Au risque que cela soit perçu, cette fois, comme un passage en force.


Idèr NABILI

Tout
TF1 Info