La réforme des retraites présentée, oppositions et syndicats vent debout

Réforme des retraites : "Ce texte va marquer symboliquement la fin d'une sorte de 'en même temps'"

Propos recueillis par Aurélie Loek
Publié le 11 janvier 2023 à 7h00, mis à jour le 11 janvier 2023 à 12h45
JT Perso

Source : TF1 Info

Après plusieurs mois de discussions et d'échanges, les débats parlementaires autour de la réforme des retraites vont bientôt débuter.
Pourtant, les sondages d'opinion montrent que les Français restent majoritairement opposés à ce projet.
Par ailleurs, le contexte économique peut interroger sur la temporalité d'un projet aussi clivant.

Le calendrier interroge. Alors que l'année 2022 a été marquée par des crises successives, et que les risques énergétiques pèsent toujours sur l'approvisionnement français, dans un contexte international marqué par la guerre en Ukraine, le maintien de la réforme des retraites par l'exécutif peut étonner. De nombreux sondages d'opinion montrent effectivement que les Français restent majoritairement opposés à ce projet, les syndicats ont dans la foulée des annonces appelé à une journée de mobilisation le 19 janvier. Néanmoins, plusieurs raisons peuvent expliquer cette temporalité, selon le politologue Bruno Cautrès.

Qu'est-ce qui, selon vous, pousse Emmanuel Macron à réformer le système de retraite maintenant, dans une période compliquée  ? 

La première raison, c’est que la France inquiète potentiellement les marchés financiers et même peut-être la Commission européenne avec son niveau d’endettement qui est très important. L’ensemble des déficits publics se rapproche du cap des 3000 milliards d'euros quand on était à 2000, il y a encore quelques années. Donc, je pense qu’il y a ces raisons externes qui sont de rassurer les marchés et rassurer la Commission européenne sur la volonté de l’exécutif de faire des réformes structurelles en France. D'autant que cette réforme sur l’âge de la retraite est régulièrement pointée par les institutions internationales ou l’Union européenne qui parlent de la France et de la difficulté de faire des réformes structurelles en France.

Parce que c’est vrai que ceux qui sont critiques par rapport à cette réforme disent qu’il n’y a pas d’urgence budgétaire concernant le financement du système de la retraite. Qu’au fond, ce n'est pas demain matin que le système de retraite aurait un besoin immédiat de financement, il n'y a pas consensus. Ce n'est par conséquent pas cette urgence budgétaire qui explique la réforme.

Il y a aussi une contrainte de cohérence dans le discours présidentiel

Bruno Cautrès, politologue

Crise énergétique, inflation galopante et hausses de prix de carburants... Pourquoi le projet est-il maintenu malgré ces sujets qui semblent plus urgents ?

Il y a une deuxième raison : on est au début du 2e mandat d’Emmanuel Macron. C’est une mesure de politique publique un peu emblématique, qui clive, qui marque l’opinion publique en profondeur. Il y a le besoin pour Emmanuel Macron d’essayer de montrer à ses soutiens qu’il est toujours un réformateur. De cette manière, cela lui permettra de développer, dans la 2e partie du mandat, le Conseil national de refondation, qui est pensé comme étant une mesure ou une démarche plus inspirée par un projet présidentiel marqué par le dogme 'protéger, rassurer, refonder les services publics'. L'exécutif semble dire qu’il essaie de faire un coup à droite avec les retraites et à gauche avec la refondation. On voit bien que c’est ça le message subliminal, même si c'est de la communication. 

Mais cela explique le calendrier de la réforme des retraites, de faire passer le projet à ce moment-là. Il ne faut pas oublier que c’était une réforme très largement engagée avant le Covid puisqu’on avait passé le vote à l’Assemblée nationale. Pour Emmanuel Macron, il n’était pas possible d'expliquer que rien n’était plus essentiel et urgent que cela en 2020 et qu’au fond, en 2022, il nous explique que cela peut attendre. Il y a aussi une contrainte de cohérence dans le discours présidentiel. C’est cela qui explique cette temporalité.

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Faire cette réforme dès le début du mandat d'Emmanuel Macron, est-ce une manière d'évacuer le sujet le plus rapidement possible ? 

C’est bien sans doute l’objectif, mais ce sont encore des éléments de langage. Cela ne veut pas dire que, parce qu’on le dit, cela va marcher. C’est quelque chose qui, je crois, va marquer en profondeur. Le projet ne va pas pouvoir être voté à l’Assemblée nationale avec le soutien des LR, puis, vite, on passe à autre chose. Cela va marquer en profondeur l’opinion, le texte va laisser une trace très forte. L’opposition de la CFDT à cette réforme est, de ce point de vue là, quelque chose de potentiellement préoccupant pour l’exécutif. Cela veut dire qu'un segment de l’électorat potentiellement captif pour l’exécutif, un centre-gauche réformiste, est opposé à cette réforme.

Je pense que si, comme tout semble l'indiquer, on se dirige vers une majorité de projet LR et majorité présidentielle, forcément, ce texte, si important pour la vie des Français et si symbolique, va marquer symboliquement la fin d'une sorte de 'en même temps'. Cela ne veut pas dire que du côté de l’exécutif, on ne va pas s’efforcer de réactiver le 'en même temps', mais cela ne veut pas dire que c’est approprié, perçu et vécu comme ça pour les Français et les Françaises. L'aspect sociétal aurait dû occuper plus le devant de la scène. On ne pose pas la question de ce que veut dire dans un pays vieillissant travailler plus longtemps. Aujourd'hui, le projet est clivant autour d'un seul paramètre budgétaire.


Propos recueillis par Aurélie Loek

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