Relancer la réforme des retraites ? Un pari très risqué pour Emmanuel Macron

Publié le 29 juin 2021 à 15h56, mis à jour le 29 juin 2021 à 22h21

Source : JT 20h Semaine

L'HEURE DU CHOIX - Emmanuel Macron doit décider, avant le 14 juillet, s'il poursuit la réforme controversée des retraites, gelée depuis 16 mois. Certains, dans la majorité, plaident pour un report de l'âge de départ à 64 ans. Politiquement et socialement, ce choix serait risqué à dix mois de l'élection présidentielle.

À son arrivée au pouvoir en 2017, Emmanuel Macron se rêvait en artisan de la "transformation" du pays. S'il a mené ses premières réformes au pas de charge, la crise des Gilets jaunes puis la crise sanitaire ont percuté le quinquennat de plein fouet, stoppant plusieurs chantiers, dont le plus emblématique est celui des retraites. 

L'instauration du "régime universel" à travers la retraite à points, promesse électorale de l'actuel président, déjà très contestée au point d'avoir suscité plusieurs mois de mobilisation sociale, avait été brutalement interrompue début 2020 en raison de la pandémie de Covid-19. Depuis lors, Emmanuel Macron n'a cessé de plaider pour la poursuite de cette réforme, sans parvenir à trouver une fenêtre de tir pour la relancer. Or dans la dernière ligne droite du quinquennat, le président de la République veut de nouveau incarner cet esprit réformateur qui avait fait son succès.

La piste d'une réforme a minima relancée

À dix mois de l'élection présidentielle, l'exécutif n'a pourtant pas lâché l'affaire. Début juin, lors d'un déplacement dans le Lot pour "prendre le pouls des Français", le chef de l'État a expliqué que la réforme ne pourrait plus être conduite dans sa version d'origine, car trop "complexe" et à l'origine "d'inquiétudes" chez les Français. Mais il n'a pas fermé la porte à une réforme plus simple, si la situation des comptes sociaux l'exigeait. 

Cette version plus simple, défendue par plusieurs proches ou ministres d'Emmanuel Macron - dont Bruno Le Maire et Franck Riester, tous deux issus de la droite - consisterait à relever progressivement l'âge légal de départ de 62 à 64 ans entre 2022 et 2028, via, par exemple, un amendement au budget de la Sécurité sociale pour 2022. La proposition semble loin de faire l'unanimité au sein de l'exécutif, certains proches du chef de l'État jugeant suicidaire de relancer une telle réforme alors que les Français sortent à peine d'une crise sanitaire et sociale et que la majorité présidentielle vient d'essuyer un redoutable camouflet électoral aux régionales. 

Peu de relais chez les partenaires sociaux

Le premier écueil pour Emmanuel Macron tient au fait qu'une réforme de l'âge de départ est très peu soutenue par les partenaires sociaux, premiers concernés par la gestion des comptes sociaux. Ni la CFDT ni le Medef, pourtant ouverts à la réforme initiale de 2019, ne semblent prêts à engager une discussion à dix mois de la fin du quinquennat. Le patronat souhaiterait que le débat soit mis sur la table à l'occasion de la campagne présidentielle. Les syndicats, eux, assurent qu'une telle mesure mettra les Français dans la rue, malgré la proximité de l'échéance électorale. 

"Si on veut avoir un projet structurant, il faut avoir un peu de recul", expliquait ainsi, mardi matin sur LCI, l'ex-patron du Medef Thibault Lanxade. Est-ce raisonnable de se lancer dans une telle réforme, et le président de la République est-il en situation de porter ce projet ?"

Séduire la droite au prix d'un nouveau front politique ?

En outre, en relançant une réforme peu populaire, Emmanuel Macron ferait un pari à double tranchant : tout en allant séduire un électorat de droite, favorable de longue date à la réforme des retraites, il ouvrirait un front supplémentaire avec ses adversaires politiques.

À gauche, le patron du PS Olivier Faure annonçait la couleur mardi matin sur LCI. "Vouloir partir sur une réforme de cette nature, improvisée, c'est de la folie pure, c'est d'une injustice crasse", expliquait-il, promettant qu'il voterait contre un tel amendement s'il venait à être présenté à l'Assemblée nationale. Rappelant en guise d'avertissement "qu'aucun président ayant perdu toutes les élections intermédiaires s'est retrouvé en position favorable à la présidentielle"

"La Macronie s'est effondrée lors des élections régionales", estimait aussi l'économiste Aurélie Trouvé, membre d'Attac, sur LCI. "Elle n'a pas d'autre choix que d'aller récupérer l'électorat de droite. La logique, c'est qu'on va faire payer la crise aux plus précaires, chômeurs et retraités, au lieu de remettre en cause les cadeaux fiscaux aux plus riches."

De quoi redonner des forces à l'opposition en cette période de précampagne... À moins qu'Emmanuel Macron ne cherche précisément à instaurer ce clivage à l'aune de la campagne présidentielle, la gauche et la droite s'opposée sur le rallongement de la durée de cotisation et le Rassemblement national faisant campagne, de son côté, pour le retour à la retraite à 60 ans. 

Macron en 2019 : "Je me suis engagé à ne pas le faire"

Enfin, Emmanuel Macron prend le risque, avec une telle réforme, de revenir sur ses propres engagements. En 2017, le candidat défendait l'idée de son régime universel de retraites tout en assurant que "le problème des retraites n'est plus un problème financier", et que l'enjeu n'est "pas de repousser l'âge ou d'augmenter la durée de cotisation" mais de rendre le système plus juste. Il visait notamment la suppression des régimes spéciaux. 

En avril 2019, durant les discussions sur la réforme des retraites à l'occasion du Grand débat national, le chef de l'État avait à nouveau écarté formellement le recours à une mesure d'âge. "Est-ce qu'il faut reculer l'âge légal qui est aujourd'hui à 62 ans ? Je ne crois pas pour deux raisons", expliquait-il. "La première, c'est que je me suis engagé à ne pas le faire. Et je pense que c'est mieux, sur un sujet aussi important, de faire ce qu'on a dit. Et pourquoi ? Parce qu'on fait une réforme beaucoup plus large, beaucoup plus profonde, qui va permettre de corriger les vraies injustices du système." "La deuxième raison", poursuivait-il, "c'est que tant qu'on n'a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement, ce serait assez hypocrite de décaler l'âge légal."

Emmanuel Macron prendrait-il ainsi le risque de se parjurer ? Une nuance s'impose à ce sujet. Si le chef de l'État avait bien écarté en 2019 la possibilité d'un report formel de l'âge légal, il avait mis en avant le principe d'un "âge pivot" en dessous duquel un départ à la retraite serait synonyme de décote, à charge pour les partenaires sociaux de déterminer le bon âge. L'exécutif laissait déjà entendre que cet âge "d'équilibre" se situait autour de 64 ans. À bien y regarder, la proposition ne différait donc pas fondamentalement de celle qui est remise sur la table aujourd'hui. Ce qui ne rend pas le pari moins risqué pour Emmanuel Macron. 


Vincent MICHELON

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