Abstention aux municipales : une démocratie à bout de souffle ?

Alban Praquin, bluenove
Publié le 1 juillet 2020 à 14h25, mis à jour le 1 juillet 2020 à 14h31
Une urne
Une urne - Source : UNSPLASH @element5digital

ANALYSE - L’un des faits marquants du deuxième tour des élections municipales tenues dimanche dernier est le taux d’abstention. Dès 20h sur les plateaux de télévision, politiques et commentateurs n’ont pas manqué de constater et de s’inquiéter d’une abstention record (+ de 58%), en hausse de 20 points par rapport à 2014. Alban Praquin, de bluenove, revient sur ce phénomène.

Pour beaucoup, ce chiffre est bien la énième manifestation d’une défiance profonde des citoyens à l’égard de la vie publique en général et de la classe politique en particulier. La "PRAF attitude" chère au politologue Brice Teinturier se manifesterait avec éclat chez une large majorité de nos concitoyens qui n’en ont "Plus Rien A Faire" de la politique.

Les résultats de la consultation citoyenne "Notre Nouvelle Vie" organisée par TF1-LCI, Sciences-Po Paris, bluenove et Cognito nous permettent de nuancer le propos. L’abstention, réalité indéniable, ne signifie pas désintérêt pour la chose publique ou pour la vie de la Cité. Au contraire, les citoyens qui s’expriment dans cette enquête ouverte souhaitent s’impliquer dans la prise de décision politique grâce à une démocratie plus participative et plus délibérative. Les décisions locales comme nationales doivent désormais s’appuyer sur des pratiques innovantes de concertation (participer à des comités citoyens ou à des conventions citoyennes) avec des répondants qui exigent d’être parties prenantes des décisions qui les concernent. L’intelligence collective est plébiscitée.

L'amorce d'une 3e voie citoyenne

Sans préjuger de ce qui sera effectivement mis en œuvre à l’avenir, il est intéressant de noter que le président de la République dès le lendemain du scrutin municipal a donné des gages aux 150 membres de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) en reprenant 146 des 149 propositions formulées. Bien plus, il s’est engagé à "laisser ouverte la possibilité de conduire dès 2021 un référendum sur la base de l’article 11 de la Constitution, sur un ou plusieurs textes de lois" issus de la Convention. Soumettre des projets de lois au référendum à relativement brève échéance, voilà une pratique qui conforte la logique de la convention citoyenne et constitue un signal fort envoyé à tous ceux qui plaident sans relâche pour une responsabilisation accrue des citoyens. 

"Aller au bout du contrat moral" qui lie l’exécutif et la CCC signifie sans doute mener à son terme une première expérience de démocratie délibérative qui responsabilise et renouvelle nos pratiques politiques. Il est encore trop tôt pour dire si les abstentionnistes de dimanche dernier voient positivement la dynamique politique innovante initiée avec le Grand Débat National (GDN), poursuivie avec la Convention Citoyenne sur le Climat et qui pourrait s’intensifier avec l’organisation d’autres conventions citoyennes ainsi qu’avec une réforme du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) devenant la "chambre des Conventions Citoyennes". 

En attendant le "déconfinement politique"

Toujours est-il que les choses semblent bouger au niveau national en cohérence avec les mécanismes déjà en place au niveau local. Une troisième voie citoyenne semble se dessiner entre, d’un côté, l’acte électoral aujourd’hui démonétisé et, de l’autre, la violence politique – et parfois même la désobéissance civile - qui semble de retour depuis plusieurs mois en France. La parole citoyenne qui s’exprime dans la consultation "Notre Nouvelle Vie" en appelle à une réinvention de l’acte politique par d’autres moyens. 

En proposant des pratiques démocratiques plus ouvertes et plus participatives, elle envisage une nouvelle expérience incarnée de la politique qui ringardise l’élection et envoie un démenti cinglant à ceux qui voudraient faire des "mouvements" et "collectifs" de protestation un moyen efficace de "changer la vie".

En définitive, l’abstention constatée dimanche, qui interpelle, n’est peut-être que la version "en creux" de nouvelles pratiques d’engagement citoyen qui, en reconnaissant les compétences de la société civile, pourraient permettre à court terme le tant attendu "déconfinement politique de la France". 


Alban Praquin, bluenove

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