"Une diplomatie sans diplomates" : pourquoi la suppression du corps diplomatique fait grincer des dents

Y.R.
Publié le 19 avril 2022 à 15h33
Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, quai d'Orsay à Paris.
Le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, quai d'Orsay à Paris. - Source : JEAN-PIERRE MULLER / AFP

Publiée au Journal officiel, la suppression du corps diplomatique a été actée, dimanche 17 avril.
Cette évolution, voulue par Emmanuel Macron, est loin de faire l'unanimité et suscite de vives critiques.
Avec, en toile de fond, la refonte de la diplomatie française.

C'est un des volets controversés de la réforme de la haute fonction publique. Un décret daté du samedi 16 avril et paru au Journal officiel dimanche 17 avril a acté la suppression du corps diplomatique, souhaitée par Emmanuel Macron. Après l'ENA, remplacée par l'Institut national de service public, le 1er janvier dernier, l'exécutif a officialisé le changement de désignation des hauts fonctionnaires des Affaires étrangères. Ce qu'une large partie de la classe politique n'a pas manqué de dénoncer.

À deux jours du débat de l'entre-deux-tours, Marine Le Pen a tancé le décret validé par le président sortant. "Emmanuel Macron veut remplacer des serviteurs de l'État impartiaux par du copinage", a accusé la candidate du Rassemblement national (RN), qui a déjà annoncé, si elle est élue, dimanche 24 avril, vouloir rétablir "un statut de diplomate fondé sur le mérite et l'intérêt national". Troisième homme de cette élection, Jean-Luc Mélenchon, lui, a exprimé son "immense tristesse" d'assister à la "destruction" d'un "réseau diplomatique" de "plusieurs siècles", "le deuxième du monde". "Les copains de promo vont pouvoir être nommés", a-t-il ajouté.

On oublie que la diplomatie, c'est un métier, une expérience...
Gérard Araud, ancien ambassadeur de France aux États-Unis

Cette réforme, épinglée par l'opposition, est surtout très mal accueillie par les diplomates. "Une histoire pluriséculaire s'achève avec la suppression du Corps Diplomatique", a déploré Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Washington et ex-représentant permanent de la France auprès des Nations unies. "À force de caricaturer les diplomates, on oublie que la diplomatie, c'est un métier, une expérience, des connaissances, une tradition, une fierté de servir la France." Un tweet relayé par l'actuel ambassadeur de France en Ukraine, Etienne de Poncins, de nouveau établi à Kiev depuis le week-end dernier. 

En novembre 2021 déjà, 150 diplomates avaient cosigné une tribune dans Le Monde, s'alarmant d'"une diplomatie sans diplomates, dans un monde de plus en plus imprévisible et complexe". Des craintes de nouveau affichées, début mars, par un collectif de syndicats des agents du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. "À compter de janvier 2023, le corps diplomatique sera 'ubérisé', remplacé par un corps d'administrateurs généralistes et les meilleurs postes distribués à des profils extérieurs nommés par le fait du Prince (cabinets ministériels, hagiographes, etc.)", s'indignait-il dans une tribune au JDD.

Un grand pot commun d'"administrateurs d'État"

Mais pourquoi y a-t-il un tel rejet de cette réforme ? Avant qu'il ne soit supprimé, le corps diplomatique donnait une prime à l'expérience. Un jeune diplomate gravissait les échelons, de manière progressive et au gré des changements de poste. Avec sa disparition, les hauts fonctionnaires, les quelque 800 conseillers des Affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires, vont perdre leur statut pour devenir "administrateur d'État". Cette petite révolution vise à dynamiser les carrières en bénéficiant d'un plus large vivier de candidats et en passant "d'une logique de statut à celle d’emploi", comme le rapporte Le Monde.

Suppression de l’ENA : quels sont les reproches ?Source : JT 20h Semaine

Dès 2023, tout "administrateur d'État", appartenant à un pot commun indifférencié, réunissant les hauts fonctionnaires des Affaires étrangères, les préfets, les sous-préfets, les inspecteurs des finances ou des affaires sociales, pourra être nommé diplomate, sans devoir être issu uniquement du Quai d'Orsay. Un haut fonctionnaire, venant de l'une des administrations ou recruté dans le secteur privé, pourra jongler successivement entre différents postes (préfet, conseiller d'État et ambassadeur). 

Une manière pour Emmanuel Macron de mettre fin aux "carrières à vie". Cette grande ouverture, signifiant la fin de la spécialisation, fait craindre une perte d'expertise et une politisation des nominations à l'américaine, avec du "copinage" pour les grands postes au mépris des compétences réelles. Ce qui serait perçu comme un déclassement de la diplomatie française.


Y.R.

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