ESTIMATIONS - Réticent à voir se multiplier les éoliennes, le député LR Eric Ciotti a indiqué qu'il faudrait en implanter une par kilomètre carré en France si l'on fermait l'ensemble des centrales nucléaires. Un scénario improbable qui s'appuie sur des calculs erronés.
La primaire interne des Républicains pour l'investiture à la présidentielle a permis de mieux connaître les positions des différents candidats, en matière notamment de justice, d'immigration ou de santé. Lors du dernier débat organisé il y a quelques jours sur France 2, c'est également sur la question des éoliennes qu'Eric Ciotti et ses adversaires ont été interrogés.
Le député, qui a depuis rejoint le second tour aux côtés de Valérie Pécresse, a affiché ses réserves quant au développement de l'éolien, affichant plutôt son soutien à la production d'électricité d'origine nucléaire. "Je crois aujourd'hui que les éoliennes ne remplaceront jamais l'énergie nucléaire", a-t-il lancé. Évoquant "une étude", il a ajouté que si l'on voulait tout bonnement remplacer l'énergie nucléaire (et donc se passer des centrales aujourd'hui en fonctionnement), il "faudrait mettre une éolienne [...] à chaque kilomètre carré". Ubuesque, selon lui, puisque cela reviendrait à en installer y compris une "à l'Arc de triomphe" ou sur la "place de la Concorde". Une affirmation trompeuse, qui tend par ailleurs à dénigrer l'apport de l'éolien dans le mix énergétique français en minimisant très largement ses capacités de production.
Une démonstration qui ne tient pas
À quoi fait référence Eric Ciotti lorsqu'il mentionne une "étude" sur le sujet accréditant son constat ? Pour le savoir, Les Vérificateurs ont contacté l'entourage du candidat, qui renvoie à une récente démonstration du polytechnicien Jean-Marc Jancovici, spécialiste des questions énergétiques et président du think tank The Shift Project. Également membre du Haut conseil pour le climat, il est intervenu sur le plateau de France 5 début novembre.
Un passage télévisé au cours duquel il a indiqué que "si en France, on n'avait que des éoliennes pour nous fournir la totalité de notre énergie, y compris ce qui fait avancer les voitures et ce qui fait tourner les usines, il en faudrait une tous les kilomètres, partout dans le pays". De quoi susciter la surprise, autour de la table. "À la place du nucléaire ?", le relance-t-on, ce à quoi il répond en précisant son propos : "À la place du nucléaire, du pétrole, du charbon, du gaz." À ses yeux, le "100% renouvelable avec le pouvoir d'achat que l'on a aujourd'hui" relève du fantasme.
“On a fait un tout petit calcul : si en France, on n’avait que des éoliennes pour fournir la totalité de notre énergie, y compris ce qui fait tourner les voitures et les usines, il en faudrait une tous les kilomètres partout dans le pays." @JMJancovici dans #CàVous . pic.twitter.com/2QJfuLlDar — C à vous (@cavousf5) November 5, 2021
D'emblée, on observe donc que Jean-Marc Jancovici n'envisage pas du tout le seul remplacement des centrales nucléaires par des éoliennes. Il s'agit en effet pour lui de se projeter dans une société qui se détournerait totalement des énergies carbonées et qui modifierait totalement ses modes de fonctionnement. Généralisation des véhicules électriques, fin du chauffage au gaz... Les implications seraient majeures. Très largement supérieures en tout cas à celles découlant du postulat proposé par Eric Ciotti, qui imagine seulement le scénario d'une sortie du nucléaire pour la production d'électricité sans que soit prévue de refonte majeure de nos modes de vie.
Une densité d'éoliennes bien plus réduite
Rien n'empêche de prendre au mot le député LR et d'effectuer des calculs pour connaître la densité d'éoliennes nécessaires à la compensation d'un arrêt du nucléaire. La première étape, logique, consiste à faire le point sur la production annuelle d'électricité, des données fournies pour l'année 2020 par RTE, le gestionnaire du réseau de transport d'électricité. Plutôt que de chercher à connaître les capacités de production disponibles, nous nous sommes focalisés sur la production effective l'an passé, de sorte à prendre en compte les opérations de maintenance des centrales autant que l'intermittence des éoliennes. Résultat ? 39,7 millions de mégawatts/heure produits par le biais de l'éolien, contre 335,4 millions de mégawatts/heure issus des centrales nucléaires.
En se basant sur la puissance actuelle des éoliennes raccordées au réseau et leur nombre (environ 8000 sur tout le territoire), il est possible de calculer le nombre d'éoliennes qui aurait été nécessaire en 2020 dans l'hypothèse où la France n'aurait pas utilisé ses centrales. Attention toutefois : les calculs qui vont suivre sont réalisés en considérant que les éoliennes produiraient une quantité d'énergie similaire tout au long de l'année. C'est en réalité plus compliqué que cela, en raison des conditions météorologiques bien sûr, mais aussi des besoins en énergie qui varient en fonction des époques de l'année.
Simplement pour produire une quantité d'énergie similaire à celle du nucléaire, un produit en croix permet d'aboutir au constat suivant : 67.586 éoliennes supplémentaires seraient nécessaires, qui seraient venues s'ajouter aux 8000 déjà installées sur notre sol. Cela correspond-il à un "mat" par kilomètre carré, comme l'a soutenu Eric Ciotti ? Pas vraiment : la superficie de la France – métropole et départements/régions d'Outre-mer inclus – étant de 633.109 kilomètres carrés, nous serions plutôt sur une densité de l'ordre d'une éolienne pour 8,37 kilomètres carrés. Ou d'une pour 7,2 kilomètres carrés en s'en tenant uniquement à la superficie de la France métropolitaine. Si le nombre d'éolienne devait être encore augmenté pour assurer une hausse temporaire de la production d'électricité au cours de l'année, la densité augmenterait légèrement, sans pour autant atteindre le ratio de une par kilomètre carré.
Soulignons par ailleurs que les éoliennes les plus récentes ont bénéficié de progrès technologiques leur permettant d'afficher une puissance et une efficacité supérieure à celle d'une bonne partie du parc actuel. Ce que confirme d'ailleurs EDF à LCI. En partant du principe que les éoliennes qui seraient construites pour compenser un abandon du nucléaire présenteraient des rendements 17 à 33% supérieurs (proportion liée aux écarts de puissance constatés), le besoin en nouvelles éoliennes serait logiquement plus réduit qu'avec une simple multiplication des capacités de production existantes basées sur la parc déjà installé. Et aboutiraient au bout du compte au besoin de construire non pas 67.586, mais plutôt entre 45.057 et 56.096 nouvelles éoliennes.
Ces calculs réévalués font encore chuter la densité finale d'éoliennes qui seraient implantées sur notre territoire. On en compterait une pour une surface de 9,88 ou 11,93 kilomètres carrés (selon que l'on inclut ou non les départements et territoires d'Outre-mer dans la superficie française). Environ dix fois moins que ne l'a laissé entendre Eric Ciotti sur France 2. EDF, sollicité, rappelle également que de multiples projets tablent sur le développement de l'éolien offshore. Des constructions parfois deux à trois fois plus puissantes et qui signifieront que les constructions d'éolien au sol ne seront pas la seule piste à entrevoir pour accompagner une montée en puissance des énergies renouvelables.
Un scénario qui relève de la pure fiction
Par ses propos, le candidat des Républicains a avant tout tenté de pointer du doigt la production des éoliennes, supposément très insuffisante puisque nous obligeant à en construire partout en France en nombre, même sur les Champs-Élysées. Pour autant, il faut souligner que même parmi les militants écologistes, personne ne plaide aujourd'hui pour un remplacement total du nucléaire par les seules éoliennes.
Il y a quelques semaines, RTE dévoilait "Futurs énergétiques 2050", une étude permettant de proposer plusieurs scénarios afin d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Chacun proposant une redéfinition différente du "mix énergétique", avec une répartition de la production entre différentes sources. On constate que parmi les hypothèses retenues figure le nucléaire ou l'énergie éolienne, mais que cette dernière n'est jamais envisagée comme une source de production quasi exclusive. Des pays très avancés dans le secteur de l'éolien, à l'instar du Danemark, n'en font d'ailleurs qu'une composante de la transition énergétique parmi d'autres.
EDF juge également fantaisiste d'imaginer une production d'électricité issue quasi exclusivement de l'éolien et glisse en passant qu'il faudra, à l'avenir, parvenir non seulement à assurer les besoins en énergie observés actuellement, tout en se préparant à ceux auxquels nous seront confrontés demain. En effet, "les besoins en électricité sont amenés à augmenter de manière considérable", nous indique-t-on, "en raison notamment du développement de la mobilité électrique et afin de réduire les émissions carbone".
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