"Jean-Luc Mélenchon est trop stratège pour que chaque mot prononcé n'ait pas été pesé"

Publié le 8 juin 2021 à 6h11

Source : TF1 Info

INTERVIEW - Jean-Luc Mélenchon a-t-il tenu des propos complotistes, liant terrorisme et élection présidentielle ? Décryptage avec Sylvain Delouvée, spécialiste de la question.

Les propos de Jean-Luc Mélenchon sont-ils un dérapage complotiste ? Cela ne fait aucun doute pour l'ensemble de la classe politique - à l'exception de son mouvement - qui, depuis 24 heures, ne cesse de dénoncer ses propos tenus dimanche sur franceinfo, liant terrorisme et élection présidentielle. "Vous verrez que dans la dernière semaine de la campagne présidentielle nous aurons un grave incident, ou un meurtre. Ça a été Merah en 2012, l’attentat la dernière semaine sur les Champs-Élysées (…) Avant on avait eu papi Voise, dont plus personne n’a jamais entendu parler après. Tout ça, c’est écrit d’avance. Nous aurons le petit personnage sorti du chapeau, nous aurons l’événement gravissime qui va une fois de plus permettre de montrer du doigt les musulmans et d’inventer une guerre civile", avait déclaré le député, assurant ensuite avoir été mal compris.

Pour prendre un peu de recul sur la polémique et analyser cette sortie, LCI a interrogé Sylvain Delouvée, psycho-sociologue spécialiste du complotisme, maître de conférences à l’université Rennes 2.

En quoi les propos de Jean-Luc Mélenchon sont-ils, ou non, complotistes ?

Considérer qu’un événement n’est pas le produit du hasard, mais est organisé par un petit groupe qui agirait dans l’ombre en amont, c’est la définition même du complotisme. Comme beaucoup de complotistes, Jean-Luc Mélenchon fait mine de seulement poser des questions, de s’interroger, de trouver les choses étranges ; mais il y a un implicite derrière qui est extrêmement fort, et qu’il fait mine d’ignorer.

Peut-on y voir un exemple de "false flag" ("faux drapeau" en français) ?

Oui, un "false flag", c’est l’idée selon laquelle les gouvernements créeraient de faux attentats dans le but de bénéficier d’avantages électoraux. Cela a déjà été fait dans le passé, notamment par les nazis pour justifier l’invasion de la Pologne. Mais ce n’est pas parce que cela s’est produit dans l’Histoire, qu’aujourd’hui tout serait de cette forme-là. Si Jean-Luc Mélenchon n’accuse personne nommément d’avoir fomenté un faux attentat, ses insinuations vont clairement dans ce sens. 

En tenant des propos vagues et qui jouent sur plusieurs niveaux, il fait en sorte que chacun puisse s’y retrouver
Sylvain Delouvée, spécialiste du complotisme

Jean-Luc Mélenchon se défend de complotisme et assure que ses propos ont été mal compris par les "complotistes anticomplotistes". Est-il possible que ses déclarations aient été mal interprétées ?

Quand un discours complotiste n’est pas assumé totalement, son auteur reste suffisamment flou pour ensuite pouvoir se défendre et assurer qu'il a été mal compris. Jean-Luc Mélenchon est trop intelligent et trop stratège pour que chaque mot prononcé n'ait pas été pesé. Depuis le mouvement des Gilets jaunes, les hommes et femmes politiques essayent d'en récupérer la partie complotiste : Emmanuel Macron via la suppression de l’ENA, Marine Le Pen avec son discours anti-establishment, Jean-Luc Mélenchon en insinuant que tout est déjà joué et qu'un événement va permettre à un candidat extérieur de tirer la couverture à lui, comme en 2017. 

L'électorat de la France Insoumise est-il sensible à de telles déclarations ? 

En tenant des propos vagues et qui jouent sur plusieurs niveaux, il fait en sorte que chacun puisse s’y retrouver. Dans les exemples cités, il y a celui de Paul Voise. Mélenchon accuse ici le rôle des médias, qui auraient aidé Nicolas Sarkozy à se faire élire en 2007 en mettant en avant les thèmes sécuritaires. Puis quand il prend l’exemple de Merah, il change de niveau, il s’adresse à d’autres personnes. Ceux qui seront d'accord avec lui sur le premier exemple ne le seront pas forcément sur le second, et inversement. Il est à chaque fois à différents niveaux, différentes strates, ce qui fait qu’une partie de son électorat s’y retrouve toujours. 

Ici, Jean-Luc Mélenchon est tout à fait dans le complotisme dit d'extrême gauche, qui attaque le système, le gouvernement, le capitalisme, le lobby médico-industriel ; contrairement au complotisme dit d’extrême droite, qui a tendance à fustiger et accuser une minorité - les juifs, les francs-maçons - de tous les maux. 


Justine FAURE

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