Reconstruire Notre-Dame en cinq ans comme le veut Macron ? "Totalement irréaliste" selon plusieurs experts

Publié le 17 avril 2019 à 13h14

Source : Sujet TF1 Info

EN PRATIQUE - Au lendemain de la catastrophe qui a ravagé la cathédrale emblématique de la France et la plus visitée d'Europe, Emmanuel Macron a souhaité que cette dernière soit rebâtie "plus belle encore" d'"ici cinq années". "Peu probable" pour certains, "irréaliste" pour d'autres, les spécialistes du secteur sont pour le moins pessimistes quant à la possibilité de tenir ce délai.

Quand les annonces se heurtent à la réalité du terrain. Au lendemain de l'allocution télévisée d'Emmanuel Macron après l'incendie de Notre-Dame de Paris, de premiers doutes émergent quant à la possibilité de tenir le délai annoncé par le chef de l'Etat pour reconstruire l'édifice religieux emblématique de la France. "Nous rebâtirons la cathédrale plus belle encore et je veux que ce soit achevé d'ici cinq années", a-t-il déclaré, ce mardi, dans une adresse à la Nation, diffusée en direct depuis son bureau de l'Elysée.

Un délai tenable ? Pas à en croire les spécialistes du secteur. "Ça me semble absolument irréalisable, en tout cas dans des conditions de sécurité optimales" et si "(on veut) avoir le temps de choisir les bons matériaux et les procédures pour une reconstruction qui soit convenable", a estimé Maxime Cumunel, secrétaire général de l'Observatoire du patrimoine religieux, ce mercredi sur LCI. Et d'insister : "Je pense que c'est totalement irréaliste". 

Clairement mitigé lui aussi quant à l'annonce de ce délai qu'il juge particulièrement ambitieux, Gaël Hamon, tailleur de pierre de formation et fondateur d'Art Graphique et Patrimoine, juge "très peu probable" qu'il puisse être respecté. 

"Des décennies de travaux"

"On n'est pas sûrs de différentes choses, il faut commencer par un constat d'état avant de savoir ce qu'on fait exactement, puis mettre en sécurité, conforter l'édifice", explique-t-il, en s'appuyant sur des exemples concrets. "On a notamment un échafaudage en place : comment va-t-on le gérer puisqu'il est forcement très instable ? Il va falloir également mettre hors d'eau l'édifice puis créer un parapluie dessus pour le protéger." Et de conclure : "La durée des travaux va dépendre du programme qui va être défini et que personne ne connait pour l’instant (...) donc il y a un temps très incertain aujourd’hui et se positionner là dessus me semble compliqué." 

Une fois le diagnostic réalisé, "des appels d'offres destinés aux entreprises spécialisées vont être lancées, avec probablement des décennies de travaux à la clé", prédit pour sa part Julien Lecarme, responsable de l'Institut de la charpente et de la construction bois (ICCB) pour les Compagnons du devoir. 

La fédération du bâtiment spécialisée dans les monuments historiques mise de son côté sur un délai de dix à quinze ans pour restaurer l'édifice. "Ça me semble raisonnable", a avancé lors d'une conférence de presse Frédéric Létoffé, l'un des deux présidents du Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH). Lequel avait d'ailleurs déjà jugé "irréalistes" les propos de Jack Lang, ancien ministre de la Culture, qui avait estimé mardi - avant Emmanuel Macron - qu'il fallait se donner un "délai court" et qu'il était possible de reconstruire en trois ans la cathédrale.

"La mise en sécurité va demander énormément de travail"

"Avant de restaurer, il va falloir mettre en sécurité le site et ça va demander énormément de travail", a souligné à son tour le président du GMH, s'attardant sur la mise en place du fameux parapluie destiné à protéger la cathédrale des intempéries, alors qu'elle a déjà reçu d'importantes quantités d'eau pour éteindre le feu. Il a aussi souligné que le chantier nécessiterait "un étalement des tâches" entre les différents corps de métiers, la reconstruction de la charpente ne pouvant intervenir qu'à la fin.

Frédéric Létoffé a toutefois admis que ce délai de dix à quinze ans était moindre que les trente jusqu'alors prévus pour la rénovation complète de la cathédrale. Il explique ce raccourcissement par "l'élan mondial que l'on a et l'argent qui arrive", les promesses de dons atteignant déjà près d'un milliard d'euros, alors que le chantier initial devait s'étaler dans le temps pour des raisons de financement.

Parmi les questions qui vont occuper les experts dans un premier temps, figurent celle, prioritaire, du type de restauration. 

Faut-il reconstruire à l'identique ? "Là encore c'est compliqué parce qu'il y a la silhouette, 'la skyline' comme disent nos amis américains, et évidemment je pense que l'allure générale doit être absolument la même (...) maintenant est-ce qu'il faudra utiliser les mêmes technique de charpente qu'au 13e siècle ? Je n'en suis absolument pas persuadé", explique Maxime Cumunel, de l'Observatoire du patrimoine religieux. 

"Le choix des matériaux aussi demande du temps"

Si l'option de rebâtir à l'identique était finalement retenue, et alors qu'un véritable élan populaire en faveur d'une nouvelle charpente en bois semble notamment se dessiner, l'entreprise de Gaël Hamon pourrait s'avérer un atout inestimable. "On s'est rendu compte hier malgré les craintes que je pouvais avoir la veille qu'on a compilé énormément de données (sur Notre-Dame) en 25 ans et je pense qu'on a la totalité de la charpente en trois dimensions", se réjouit-il. "Donc on a un double numérique parfait des parties qui ont disparu et je pense que ça va être une très grande aide pour l'architecte des monuments historiques", poursuit-il évoquant des détails concernant "les sections de bois, les assemblages, les dispositions, les déformations" jusqu'aux "différentes reprises qui avaient été faites entre le 13e et 19e quand la flèche a été montée".

Si l'expert, comme beaucoup d'autres, concède que les compétences existent dans notre pays dans tous ces corps de métiers pour rebâtir dans le respect des techniques ancestrales, là encore "cela demande du temps". Et de détailler : "Le choix de la pierre, du bois... du chêne par exemple mais pas n'importe lequel. Il faut savoir qu'un chêne fraîchement coupé, on ne peut pas l'utiliser tout de suite donc j'insiste, ça va demander du temps".


Audrey LE GUELLEC

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