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À Marseille, l’espérance de vie varie-t-elle de "presque dix ans selon les quartiers" ?

Publié le 11 novembre 2021 à 18h55, mis à jour le 12 novembre 2021 à 12h43
À Marseille, l’espérance de vie varie-t-elle de "presque dix ans selon les quartiers" ?

Source : NICOLAS TUCAT / AFP

SANTÉ - Dans une tribune publiée par "Le Monde", le directeur général des hôpitaux de Marseille alerte sur l’accès aux soins, inégal dans la ville, et indique que l’espérance de vie "varie de presque dix ans" en fonction des quartiers. Mais ce chiffre repose sur des indicateurs faussés.

"Améliorer l’état de santé de ceux qui sont les plus éloignés de notre système de soins." C'est l’enjeu auquel tente de répondre la municipalité de Marseille, qui vient de lancer un groupe de travail pour dessiner "une politique de santé plus égalitaire plus égalitaire et transparente" pour les habitants. À l’occasion de cette nouvelle concertation, le directeur des hôpitaux de Marseille (AP-HM), François Crémieux, et le président de la commission d’établissement, Jean-Luc Jouve, ont cosigné une tribune dans Le Monde, dans laquelle ils alertent sur les inégalités dont souffrent les Marseillais en matière de santé. 

Pour illustrer cette situation, ils y indiquent que dans la ville, "selon les quartiers, l’espérance de vie varie de presque dix ans". Sans citer expressément aucun quartier, mais visant dans la tribune les quartiers les plus démunis, situés au nord de Marseille. Nous avons cherché à savoir si cette estimation correspondait à la réalité.

Des données vieilles de plus de dix ans

D’abord, toutes les études conduites par les autorités de santé s’accordent sur le fait que les situations de précarité observées dans les quartiers nord contribuent à dégrader la santé de leurs habitants et donc à réduire leur espérance de vie. "La mortalité prématurée apparaît plus élevée (…) dans les arrondissements du nord et du centre de la commune de Marseille", note l’Observatoire régional de la Santé PACA dans un rapport de 2016. 

Puis, dans le contrat local de santé, un document conduit pour la période 2019-2021, le préfet, l’Agence régionale de santé (ARS) et la mairie indiquent que "globalement, il est particulièrement frappant de constater que l’espérance de vie à la naissance suit un gradient croissant entre les arrondissements du nord de la ville et ceux du sud et la mortalité prématurée (avant 65 ans) le gradient inverse". Mais aucun rapport récent ne donne de chiffre sur l’espérance de vie des Marseillais.

Les dernières données datent d’au moins dix ans et ont été compilées en 2013 dans un plan local de santé publique des 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements de la ville. S’agissant de la mortalité toutes causes, les autorités observaient de 2005 à 2009 un "indice comparatif de mortalité générale significatif dans les 13ème (+14%) et 16ème arrondissements (+28%), avec le taux le plus élevé de la commune quel que soit le sexe".  

De l'Insee au programme du Printemps Marseillais

Alors, d’où vient ce chiffre relayé aujourd’hui par les directeurs des hôpitaux de Marseille ? Contacté, l’AP-HM nous précise son origine. Il "s’appuie initialement sur un indicateur INSEE sur les inégalités sociales face à la mort et qui par déduction permet d’affirmer que des habitants de QPV (quartiers prioritaires de la ville, ndlr) ont une espérance de vie moins favorable (ouvriers/cadres)". Il se retrouve ensuite dans le programme du Printemps Marseillais, mouvement de Michèle Rubirola pour les municipales de 2020. Selon les éléments apportés par l’AP-HM, le programme, à l'époque, de celle qui deviendrait maire de Marseille, indique que "la fracture sociale et territoriale a des effets dévastateurs : les Marseillais.es qui habitent les quartiers populaires de Marseille vivent en moyenne 9 ans de moins que les autres. Parce que le chômage y est trois fois plus élevé, mais aussi parce que l’accès aux soins y est difficile, et les conditions et la qualité de vie fortement dégradées". 

Nous avons retrouvé ce rapport de l’Insee, qui a publié pour la première fois en 2016 des données sur l’espérance de vie de la population selon le niveau de diplôme. Celui-ci fait état, sur la période 2009-2013, d’un écart "entre l’espérance de vie des cadres et celle des ouvriers de 6,4 ans pour les hommes et 3,2 ans pour les femmes". Soit moins que les "presque dix ans" cités dans la tribune du Monde

De plus, l’Insee comparait l’écart d’espérance de vie entre les ouvriers et les cadres et non pas entre les habitants des quartiers de Marseille, selon l’endroit où ils vivent. Par ailleurs, l’Insee nous précise ne pas pouvoir nous apporter d'éléments chiffrés en fonction des quartiers marseillais puisqu'il ne calcule pas l’espérance de vie "à l’échelle de la commune ou de l’arrondissement municipal". Il dispose toutefois de bases de données sur les décès selon l'âge, le sexe et le lieu de domicile.

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En résumé, le chiffre évoqué dans la tribune publiée par Le Monde, et présenté comme étant une donnée comparative de l’espérance de vie des Marseillais, ne se retrouve pas dans la seule étude de l’Insee publiée à ce jour sur l’espérance de vie, qui se concentre sur les niveaux de diplôme en France métropolitaine entre 2009 et 2013. Toujours est-il que la surmortalité existe dans les quartiers prioritaires de Marseille et est régulièrement documentée dans des études sur la santé. Seulement, aucun chiffre ne permet de l’illustrer de cette manière.

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Caroline QUEVRAIN

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