KAFKA 2.0 - L’algorithme d’Instagram a supprimé automatiquement les photos de petits garçons aux cheveux longs, posant torse nu sur la plage, parce qu'ils ressemblaient à des petites filles. Un phénomène qui questionne les standards de normalité, ou de moralité, édictés par les réseaux sociaux.
"Cher Instagram, je suis un garçon. J’ai juste les cheveux longs. Arrêtez de supprimer mes photos, s’il vous plaît". Le message on ne peut plus clair de Parker, jeune garçon de 4 ans originaire de Floride (Etats-Unis), affiché sur une pancarte, n’est pas resté sans écho sur la célèbre plate-forme incriminée. L’algorithme a en effet supprimé les photos du petit garçon torse nu, pensant qu’il s'agissait d'une petite fille, les poitrines de femmes découvertes (ou, plus précisément, de personnes qu’il identifie comme des femmes) étant proscrites sur cette plateforme.
Dans son post Instagram, la mère du jeune Parker témoigne : "Il n’y a aucun moyen de les contacter. Cela arrive à des milliers d’autres petits garçons aux cheveux longs, pas seulement à nous. Il doit y avoir un moyen d’attirer l’attention." Bingo : d'autres mamans dans la même situation interpellent à leur tour le réseau social avec le hashtag #longhairedboyrevolution.
Comme les petites filles, les "petits garçons aux cheveux longs" se trouvent confrontés à la même problématique que la censure du corps des femmes sur les réseaux sociaux, déjà dénoncée depuis 2012 par la campagne "Free the Nipple" ("libérer les tétons"), comme si l'algorithme "sexualisait" leur corps.
Alors que les hommes peuvent apparaître torse nu, l'algorithme juge, lui, indécent pour une femme de montrer ses seins et une fillette de poser sans haut. Une règle contournée en 2014 par une infirmière américaine qui, afin de montrer ce qu’est véritablement une naissance, a créé le "Empowered birth project". C'est en partie grâce à cette dernière si Instagram a (prétendument) revu sa politique de censure concernant la publication de corps dénudés sur le réseau. Depuis peu, les seins, fesses et vagins des femmes ne sont plus censurés sur Instagram "si c’est un accouchement". Mais comme on peut le constater ci-dessous, le sujet reste quand même sensible...
C'est donc l'algorithme qui, dans tous les cas, tranche par son "regard", et décide de ce qui peut être visible ou pas. De quoi donner lieu à des questionnements vertigineux sur notre libre-arbitre 2.0.
Politiquement correct et pubidonderie
Pour la psychanalyste Elsa Godart, contactée par LCI, ces épi-phénomènes comme celui de la censure des tétons témoignent d'une "moralisation du corps sur les réseaux sociaux" et dont la censure des photos de "petits garçons aux cheveux longs" se révèle la manifestation la plus absurde : "Sous couvert d'évoluer dans une société libérale où l'on peut tout dire et tout exprimer, on est brusquement confrontés à des restrictions qui nous dépassent. Comme chacun est libre d'exprimer son opinion sur les réseaux sociaux, toutes les opinions se valent, sans la moindre forme de légitimité." D'où une forme de populisme verbal, insufflé par un politiquement correct ambiant, donnant lieu à un vrai paradoxe. "Lorsque la pensée des gens ne rentrent pas dans les clous, les gens ne disent plus ce qu'ils pensent. C'est le triomphe de l'uniformisation et du conformisme."
L'algorithme modifie effectivement notre rapport à la parole et à la pensée, et donc à notre rapport à la moralité : ce que l'on s'autorise ou pas.
Elsa Godart, psychanalyste
Et la question du rapport au corps de s'avérer une résultante de ce problème : "Nous vivons dans un rapport conformé aux canons de beauté, expliquant pourquoi, par exemple, des gamines de 20 ans succombent à la chirurgie esthétique. A cela s'ajoute la pubidonderie voulues par les grands GAFA (soit "Google Amazon Facebook Apple"), serrant la vis sur la nudité, comme le témoigne tout le ramdam autour de L'origine du monde de Gustave Courbet publiée sur Facebook. Ce qui est bien entendu hypocrite face à l'explosion des sites pornographiques. Mais, au-delà même de la question de la nudité, cela pose la question de la vérité, Mark Zuckerberg ayant déclaré que "Facebook ne devait pas être l'arbitre de la vérité", rappelle Elsa Godart.
Cette forme de censure interroge : quelles sont les conséquences sur les pratiques des utilisateurs de réseaux sociaux ? Dans un premier temps, elle pourrait développer une concurrence, affirme le psychothérapeute Alexis de Maud'huy, également sollicité par LCI, "surtout en référence à TikTok le nouveau concurrent de Facebook. Ce réseau social d’origine chinoise repose intégralement sur un algorithme, contrairement à Facebook qui repose aussi sur les friends et les likes. Bien entendu la censure politique y est efficace (pas de vidéos sur Hong Kong actuellement, par exemple)." Cela étant, "cette censure s’explique selon moi par son obsession publicitaire" poursuit-il. "Les annonceurs ne veulent pas de mauvaise surprise donc c’est la course à la restriction pudibonde pour des raisons commerciales. Comme pour les films, de moins en moins de nudité (les tétons des hommes et des femmes sont bannis par sens de l’équité) et de plus en plus de violence. Facebook est la cause et la conséquence de nos ambivalences."
Un appel à résister aux diktats de la machine
Dans un roman sur le point de paraître aux éditions Textuel, le philosophe Miguel Benasayag parle de "tyrannie des algorithmes" et voit dans leur pouvoir croissant un "danger sur nos démocraties" : les big data sont en train de décider des orientations du monde et c’est au quotidien que la vie collective est insidieusement "prise en charge" par les machines. Il propose alors une résistance à la colonisation de l’humain par la machine, passant par une recherche d’hybridation : ne pas refuser l’intelligence artificielle ni se laisser dominer par elle, mais appréhender les conséquences politiques et démocratiques de cette nouvelle forme de domination.
Reste qu'en attendant de trouver une solution en guise d'alternative, la question se pose à notre petite échelle : cette logique de censure comme celle édictée par Instagram n'a t-elle pas un impact sur l'utilisateur de réseau social, qui aura tendance à s'auto-censurer ? Pour Elsa Godart, pas de doute que "l'algorithme modifie effectivement notre rapport à la parole et à la pensée, et donc à notre rapport à la moralité : ce que l'on s'autorise ou pas. L'algorithme amène la transformation et l'être humain en oublie presque que l'on peut garder son libre-arbitre, sa capacité de jugement et donc être producteur de sa propre pensée. Nous sommes déjà dans une mutation."
L'écrivain américain Bret Easton Ellis donne, lui, une parfaite définition des conséquences possibles d'une censure sur les réseaux sociaux dans son livre White paru en 2019 : "Cette idée (le fait qu'une opinion puisse devenir mauvaise) aurait été impensable dix ans plus tôt, mais dans une culture polarisée, exaspérée, des gens se voyaient bloqués sur le réseau à cause de leurs opinions (...) La culture dans son ensemble paraissait encourager la parole, mais les réseaux sociaux s'étaient transformés en piège, et ce qu'ils voulaient véritablement, c'était se débarrasser de l'individu (...) mon rejet de tout ça m'a forcé à me confronter à un fantasme dégradé de moi-même et c'est devenu un rappel constant de mes défaillances. Pire encore, cette colère pouvait créer une dépendance, au point que je finissais par abandonner, tout simplement, et je restais assis, là, épuisé, muet à cause du stress. Mais, en fin de compte, le silence et la soumission étaient ce que voulait la machine."
Peut-être alors que, dans le futur, pour s'opposer à ladite machine, des campagnes comme "Free the Nipple" ou des hashtags comme #longhairedboyrevolution pourront effectivement se révéler salutaires.
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