Autorisé mais controversé, l'anticorps monoclonal bamlanivimab a-t-il prouvé son efficacité ?

Publié le 4 mars 2021 à 17h47, mis à jour le 4 mars 2021 à 18h28
Un nombre limité de patients pourra disposer de ce traitement, administré uniquement à l'hôpital.
Un nombre limité de patients pourra disposer de ce traitement, administré uniquement à l'hôpital. - Source : SEBASTIEN BOZON / AFP

CONTROVERSE - Malgré une autorisation de l'ANSM, l'efficacité de l'anticorps monoclonal bamlanivimab est mise en doute par des spécialistes. LCI fait le point sur les connaissances autour de ce traitement.

Tout juste autorisé par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), le bamlanivimab doit permettre de "renforcer notre arsenal anti-Covid", selon les mots du ministre de la Santé, Olivier Véran. Un traitement utilisé dans des conditions très précises, puisqu'il sera "administré avec prudence initialement dans un cadre hospitalier pour des patients âgés de 80 ans et plus, ou qui ont des troubles de l’immunité"

Si le ministre se réjouit d'une telle décision, de nombreux professionnels de santé ont dénoncé depuis quelques jours l'autorisation dont bénéficie le bamlanivimab, ainsi que les résultats des travaux qui auraient servi à appuyer cette décision. La Société française de Pharmacologie et de Thérapeutique (SFPT) s'est ainsi fendue d'un communiqué le 1er mars, dans lequel elle utilise des mots forts. L'étude de référence, explique-t-elle, "expose à un risque non contrôlé de recommander à tort un traitement".

Une vraie levée de boucliers

Avant toute chose, soulignons que le bamlanivimab fait partie de la famille des anticorps monoclonaux. Leur principe est le suivant : contrairement aux vaccins qui cherchent à déclencher une production d'anticorps par le corps, les anticorps monoclonaux viennent en fournir des formes spécifiques afin de lutter contre une maladie. Autre différence notable, il s'agit d'un traitement curatif, et non préventif. "Pour garantir un maximum d’efficacité, ce traitement doit être administré dans un délai maximal de 5 jours après le début des symptômes", a précisé la Direction générale de la Santé (DGS). La dose prescrite doit être administrée via une perfusion unique de 700 mg, par voie intraveineuse et sur une durée de 60 minutes. Une opération qui nécessite pour les personnes concernées une prise en charge à l'hôpital.

Pour être utilisé contre le Covid-19 chez certains patients, le bamlanivimab a bénéficié de ce que l'on appelle une ATU de cohorte (ATUc), délivrée par l'ANSM. L'Agence rappelle à LCI que "le principe d’une ATU est de permettre à certaines catégories de malades d’avoir accès de manière précoce, dans un cadre sécurisé et sous étroite surveillance clinique, à des traitements ne bénéficiant pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) lorsqu’il n'existe pas de traitement approprié disponible sur le marché pour la prise en charge de maladies potentiellement graves". Ainsi, "l’utilisation de ces traitements doit se faire dans des populations où le bénéfice est présumé supérieur aux risques dans le respect strict du protocole d’utilisation thérapeutique (PUT)". Il faut enfin ajouter qu'une ATU "peut être révisé à tout moment en fonction de l'état des connaissances scientifiques et du contexte épidémique".

L'ATUc a été délivrée il y a quelques jours à peine, d'où la communication simultanée du ministre et des autorités de Santé. S'agissant du premier traitement homologué en France contre le Covid-19 à partir d'anticorps monoclonaux, cette annonce a été suivie de près par de nombreux professionnels dans le monde médical. Et accueillie pour le moins froidement. Qu'ils soient pharmacologues ou pneumo-cancérologues, ils partagent leurs doutes quant à l'efficacité de ce traitement. Les éléments dont nous disposons à l'heure actuelle pour en juger se révèlent à leurs yeux insuffisants, expliquent-t-ils.

Ces réserves, la Société française de Pharmacologie et de Thérapeutique les a résumées le 1er mars, pointant notamment du doigt le fait que l'étude la plus avancée porte uniquement sur des essais cliniques de phase 2. "Compte-tenu de la méthodologique employée", écrit la SFPT, "adaptée à l’objectif de phase 2 de l’étude mais pas à un objectif de démonstration du bénéfice", l'interprétation qui en découle pourrait se révéler trompeuse. "Il a été montré qu’en général les résultats prometteurs des phases 2 ne sont confirmés en phase 3 qu’environ 1 fois sur 2, ce qui illustre l’impossibilité de conclure à l’intérêt clinique des nouveaux traitements à partir de ce type d’études", tacle l'institution.

La SFPT indique dans sa conclusion que "les résultats actuellement et publiquement disponibles [...] ne permettent en rien de recommander l’intégration du bamlanivimab 700 mg en monothérapie dans la stratégie thérapeutique précoce des formes symptomatiques légères à modérées de COVID-19". De quoi interroger la décision de l'ANSM, autant que la satisfaction d'Olivier Véran.

Utilisé à défaut de mieux

Interrogé par L'Express, le Pr Molimard, chef du service de pharmacologie clinique du CHU de Bordeaux estime que "les pouvoirs publics veulent montrer qu'ils font quelque chose, et ils ont peur d'être pris au dépourvu". Selon lui, "on n'est pas loin de ce qui s'est passé sur l'hydroxychloroquine, où le gouvernement avait fait des stocks au cas où une efficacité aurait fini par être démontrée, ce qui n'a pas été le cas". Un jugement sévère, que tempèrent plusieurs experts de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), sollicités par LCI.

"On dispose principalement de deux études avec des résultats pour le bamlanivimab", résume Xavier de Lamballerie, virologue et directeur de l'unité des virus émergents (UMR IRD / Inserm / Aix-Marseille Université). "L'une montre des résultats qui sont encourageants avec une baisse de la charge virale, quand l'autre ne retrouve pas le même résultat, sauf quand l'anticorps est associé à un deuxième anticorps". Il note que "tout le monde préfère utiliser des combinaisons d'anticorps monoclonaux, plutôt que des anticorps monoclonaux seuls", et ce pour diverses raisons : "Parce que c'est plus efficace, mais aussi car ça a moins de chance de faire émerger des variants. Il n'y a pas de discussion à ce sujet, tout le monde va dans le même sens."

Pourquoi avoir recours aujourd'hui à un traitement dont on s'accorde à dire qu'il est largement imparfait ? "Un critère simple entre en ligne de compte", estime le virologue, "celui de la disponibilité. Si vous avez en face de vous un patient qui a une chance sur trois de mourir et que vous ne disposez que d'un traitement imparfait avec néanmoins une activité antivirale, allez-vous l'utiliser ou pas ? La réponse est oui, évidemment. Mais vous allez essayer le plus rapidement possible d'avoir des traitements qui sont plus efficaces et qui répondent mieux au cahier des charges que vous avez mis en place, c’est-à-dire des thérapies combinées." En résumé, "on va utiliser dans un laps temps que l'on espère extrêmement bref une monothérapie, pour les patients qui ont une chance très élevée de mourir. Et ensuite, on remplacera cette monothérapie par des cocktails d'anticorps", synthétise-t-il.

Son confrère Guillaume Martin-Blondel, infectiologue au CHU de Toulouse abonde et évoque une "solution d'attente". Ajoutant que les cliniciens dont il fait partie "sont plutôt pour l'instant réservés quant à l'utilisation en monothérapie", telle que validée par l'ATU de l'ANSM. "Elle ne serait utilisée que pour des cas très particuliers, triés sur le volet si je puis dire. Sur des patients – ils existent –, dont  la typologie laisse penser qu'ils peuvent évoluer vers des formes graves. Je pense aux transplantés rénaux par exemple." Il se montre clair : "On sait que ce que l'on propose là n'est pas une solution pérenne, et qu'elle va être associé ou modifiée avec des solutions plus efficaces dans les prochains jours semaines."  

L'ANSM, sollicitée par LCI, indique qu'à ce jour, "les anticorps monoclonaux sont disponibles en accès précoce dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, en Allemagne et en Italie". Elle note que "dans l’attente de l’arrivée en France en accès précoce d’ici la mi-mars de bithérapies associant deux anticorps monoclonaux", et afin de "répondre au besoin thérapeutique non couvert à ce jour pour certains patients" elle a décidé de permettre "aux professionnels de santé dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation cohorte (ATUc) d’utiliser à l’hôpital au cas par cas et sous étroite surveillance clinique l’anticorps bamlanivimab du laboratoire Lilly en monothérapie chez les patients les plus fragiles, susceptibles de développer des formes graves de la COVID-19".

Une décision qu'assume l'agence, et qui a été actée à l'issue d'échanges avec "l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales - Maladies Infectieuses Emergentes (ANRS-MIE) et les Centres Nationaux de Référence (CNR) des virus respiratoires". Leurs conclusions ont alors été partagées "aux représentants des associations de patients concernés lors d’une réunion organisée par l’ANSM le 16 février".

Les anticorps monoclonaux, une piste majeure

La controverse autour du bamlanivimab ne doit pas conduire à discréditer les anticorps monoclonaux dans leur ensemble. En effet, "beaucoup sont étudiés en ce moment", indique à LCI l'infectiologue Odile Launay, coordinatrice pour Covireivac, la plateforme d’essais vaccinaux de l’Inserm. Son confrère Eric D'Ortenzio, médecin épidémiologiste et coordinateur scientifique du réseau REACTing nous précise qu'à l'heure actuelle, on estime que les anticorps monoclonaux "devraient être donnés à un stade très précoce, pour cibler et se lier aux protéines du virus dans le but d'empêcher sa mutation". Avec une administration "soit en post-exposition, à un moment ou le virus est très peu présent, soit début de la maladie, lors de la phase virale (avant la phase inflammatoire)".

La SFPT non plus n'est pas hostile aux anticorps monoclonaux : elle explique d'ailleurs dans ses conclusions du 1er mai que "les résultats exploratoires obtenus avec la bithérapie ne permettent en rien [...] d’utiliser le traitement [à base de bamlanivimab, NDLR] en pratique courante, mais suggèrent davantage des effets pouvant se traduire potentiellement en

bénéfice clinique". L'espoir d'une efficacité est donc bien réelle, ce qui justifiera "pleinement la réalisation d’un essai de phase 3". 

Vu de l'extérieur, le cas du bamlanivimab peut toutefois donner le sentiment d'un cafouillage, dû en partie à des revirements des autorités. La première version du protocole d'utilisation du traitement prévoyait qu'il soit ouvert à toutes les personnes âgées de plus de 80 ans en plus de celles souffrant de troubles de l'immunité. Ce qui a rapidement été modifié. Le 26 février, tous les plus de 80 ans n'étaient plus concernés : seuls les "patients les plus sévères au regard des comorbidités" étaient visés. La Direction générale de la Santé, par la voie d'un communiqué adressé aux professionnels de santé, a cherché à rattraper le tir. Un message dénoncé par des médecins remontés, qui évoquent un "rétropédalage".

Si le bamlanivimab n'a pour l'heure pas apporté de preuve majeure de son efficacité, il est abusif d'estimer comme le font certains que les patients qui en recevraient seraient des "cobayes". Il faut en effet expliquer "qu'avec un nouvel anticorps monoclonal comme celui-là, on n'a pas un nouveau médicament qui sort de nulle part", insiste le virologue Xavier de Lamballerie. "Ce sont des médicaments que l'on connait depuis très longtemps et pour lesquels on sait aussi que les risques qui sont attachés à leur utilisation sont bien maîtrisés." Réservé désormais à de très rares patients, pris en charge et suivi en milieu hospitalier, le bamlanivimab ne sera donc pas prescrit à tour de bras. L'ANSM se réserve quant à elle la liberté de suspendre à tout moment l'ATU qu'elle a délivrée, ajoutant à LCI que le laboratoire Lilly, qui produit ce traitement, "a l’obligation de transmettre tous les mois un rapport de synthèse [...] comportant l’ensemble des données recueillies".

En résumé, le bamlanivimab doit être présenté comme ce qu'il est : un traitement dont le bénéfice pour les patients se révèle incertain. Peu convaincant, assurent même certains, sur la foi des premières études disponibles. Les autorités de santé française, à l'instar d'autres dans le monde, ont toutefois décidé de l'autoriser afin de permettre à des personnes âgées et souffrants de pathologies sévères d'en disposer. Un panel de patients très restreint et des individus particulièrement vulnérable en cas d'infections. Pour lesquels, surtout, aucune alternative thérapeutique n'existe à l'heure actuelle. Le montant des doses achetées par l'État n'a pas été communiqué, pas plus que le volume des commandes. Tout juste peut-on noter qu'aux États-Unis, le coût d'une dose est d'environ 1.000 dollars. La Direction générale de la Santé, contactée à plusieurs reprises, n'a pas souhaité répondre à nos questions ni apporter de précision sur ces points.

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Thomas DESZPOT

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