Atteintes de dermatillomanie, le triturage compulsif des boutons, elles racontent leurs souffrances

par Charlotte ANGLADE
Publié le 6 juin 2019 à 10h44
JT Perso

Source : Sujet JT LCI

POC - Se percer un ou deux boutons de temps en temps, ça n'a rien de grave. Passer chaque jour des heures à le faire dans sa salle de bain l'est un peu plus. Cela s'appelle la dermatillomanie, un trouble plus courant qu'on ne le pense et dont nous parlent trois dermatillomanes, ainsi qu'Alexandra Lecart, psychologue-clinicienne spécialiste des TOC.

Nous ne nous attendions pas à recevoir autant de réponses à notre appel à témoignages. Quelques heures après sa publication sur les réseaux sociaux, notre téléphone n'a cessé de sonner. Camille, Karine ou encore Marielle souhaitant chacune témoigner d'un trouble qui les ronge : la dermatillomanie. Sous ce nom un peu barbare se cache une manie, une obsession honteuse : celle de se triturer et de se gratter les boutons de façon impulsive, excessive et répétée, ce qui entraîne la formation de lésions, puis de cicatrices.

Décrit pour la première fois en 1898 par l'un des pontes français de la dermatologie, ce trouble reste cependant encore très peu connu en Europe. En France pourtant, plus d'un million de personnes, dont 86% de femmes, seraient touchées par ce trouble répertorié en 2013 dans la section "Troubles obsessionnels compulsifs" (TOC) de la cinquième version du Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders (DSM), le manuel diagnostique international des troubles mentaux. Témoignages.

La quête de la perfection, de la purification

"Tout a commencé à l'adolescence avec l'arrivée de l'acné", se souvient Camille, une Parisienne de 29 ans en phase de guérison. "J'ai commencé à me toucher un peu les boutons, comme tout le monde à cet âge, mais mon comportement est devenu de plus en plus anormal, et cela sans que je m'en rende compte. Je pouvais passer plus de deux heures dans la salle de bain sans voir le temps passer. J’étais devant le miroir et j'attaquais mes points noirs, mes boutons… Tout ce que je pouvais". La jeune femme, qui se décrit comme perfectionniste, est lancée dans une quête quasi-impossible, celle de la peau parfaite. "Je ne supportais pas la moindre aspérité. Dès que j'apercevais un bouton, il fallait que je l'enlève tout de suite et du coup, je commençais à regarder partout ailleurs. Ça m’est arrivé de rentrer chez moi avec une peau quasiment parfaite et qu'elle soit toute abîmée deux heures après".

Cette quête de la perfection, la psychologue-clinicienne spécialiste de la dermatillomanie Alexandra Lecart, interviewée par LCI, la rencontre souvent lors de ses consultations. "Les profils perfectionnistes représentent environ 90% des cas. La dermatillomanie, qui est un trouble multifactoriel, peut aussi résulter de non-dits, d'un sentiment de colère contre soi ou autrui, de parents trop intrusifs et stricts ou encore d'une agression sexuelle, où le corps a été sali." Cette obsession de vouloir se débarrasser de ses boutons, de ces imperfections, reviendrait en psychologie à purifier son corps, le bouton étant associé à la saleté, au dégoût. 

La dermatillomanie était pour moi la seule façon de m'exprimer.

Karine, dermatillomane

Un processus exutoire que connaît bien Karine, pour qui tout a aussi commencé à l'adolescence. "Ça fait plus de 20 ans que je suis atteinte. Grâce à ma thérapie, que j'ai débutée il y a seulement deux ans, j'ai compris que j'avais subi de la maltraitance lorsque j'étais enfant. Je me suis rendue compte que j’avais vécu des choses très dures que j’avais gardées en moi parce qu'on m'avait interdit de parler. La dermatillomanie était pour moi la seule façon de m'exprimer", nous raconte la quarantenaire. 

"Attention à ne pas confondre cela à de l'auto-mutilation", insiste de son côté la psychologue-clinicienne. "Le but n'est pas de se faire mal mais de soulager des tensions internes comme le stress, la frustration, la honte, la colère, la culpabilité... Cela place le dermatillomane en état hypnotique. On peut y passer une heure en ayant l'impression que seules dix minutes se sont écoulées." Une sensation que connaît bien Marielle, elle aussi atteinte de dermatillomanie depuis ses 12 ans : "La plupart du temps, je ne me rendais pas compte que je me grattais, un peu comme les gens qui jouent avec un stylo quand leurs mains ne sont pas occupées. Je ne pourrais même pas dire combien de temps j'ai passé à me gratter, comme je n’ai pas toujours eu conscience de mes gestes."

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La peur de se montrer et l'art du camouflage

Comme elle, Karine pouvait donc passer des heures dans sa salle de bain à extraire toute ses imperfections, à l'aide d'un tire-comédon, un ustensile conçu pour presser boutons et points noirs, d'une pince à épiler ou d'une aiguille stérilisée. "Ça me soulageait", affirme-t-elle. Loin de se limiter à son visage, elle s'attaque à tout son corps : buste, dos, jambes... Des croûtes et cicatrices parsèment alors l'ensemble de son corps, de sorte qu'elle n'ose plus se montrer en public. "Je ne mettais plus de jupe en été, je n'allais plus à la piscine. Je me suis privée de beaucoup de choses".

Marielle, elle, nous confie aussi avoir du mal à assumer son corps. "Plus ça allait dans le temps et plus je voyais que j’étais la seule à ne pas me mettre en débardeur [...] Sur la plage, je n’étais pas à l’aise avec le fait qu’on voit mes cicatrices et mes croûtes, non seulement sur mon visage et mes bras, mais aussi sur mon dos, mes fesses, mes cuisses. Je ressentais une honte énorme parce que je savais que c’était de ma faute, et il fallait absolument que je justifie la raison d'être de toutes ces marques. Je disais alors que j’avais fait une allergie à la lessive." À cause de cette gêne, de ce complexe, la jeune fille ne conçoit pas de se mettre en couple. Un partage d'intimité "impensable" à ses yeux. Aujourd'hui en voie de guérison et en couple, elle n’arrive toujours pas à dévoiler ses bras ou son dos.

Avant je ne sortais jamais sans maquillage, même pour faire du sport.

Camille, ex-dermatillomane

Camille, dont les relations amoureuses ont aussi été affectées, a également décommandé beaucoup de soirées à cause de son trouble. "Si je venais de faire une crise, je ne pouvais vraiment pas sortir comme ça. J’annulais énormément de choses." Elle s'est aussi perfectionnée, comme tant d'autres patientes, dans l'art du maquillage. "Avant je ne sortais jamais sans maquillage, même pour faire du sport. C’est grâce à ça que les gens ne se rendaient compte de rien. Ni mes amis, ni ma famille." Alexandra Lecart, qui reçoit des dermatillomanes depuis dix ans dans son cabinet et par ailleurs fondatrice de l'Alliance francophone des comportements répétitifs centrés sur le corps (AFCRCC), nous confirme le caractère impressionnant des techniques de maquillage utilisées par ses patients, "rois du camouflage."

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Un tabou difficile à percer

Cette honte à en parler, à s'exposer, ne fait pourtant qu'enfermer les patients dans la dermatillomanie. Camille, Karine et Marielle ont mis des années, ne serait-ce que pour se renseigner sur cette manie qu'elles avaient de gratter ou presser leurs boutons et aspérités. Mais, premier obstacle, le corps médical est encore très peu sensibilisé à ce trouble du comportement. "De nombreux médecins disent à leur patients d'arrêter de se gratter. Dit-on aux gens qui fument d'arrêter de fumer ?", questionne Alexandra Lecart, qui conseille cependant aux patients de ne pas désespérer. 

Ma guérison est vraiment passée par un travail complet sur mon image et l’estime de moi.

Camille, ex-dermatillomane

"Il est important d'en parler à son généraliste et à son dermatologue, en précisant si besoin que la dermatillomanie est répertoriée dans le DSM-5, ce qui est une reconnaissance très importante", insiste-t-elle. Ces médecins pourront, dans un premier temps, prescrire par exemple un traitement contre l'acné ou des crèmes cicatrisantes qui peuvent aider au processus de guérison. Et, parce que la dermatillomanie relève avant tout de la sphère psychologique, il est essentiel de se faire suivre par un psychologue d'orientation comportementaliste. "La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) traite très bien ce trouble", indique la spécialiste.

Depuis qu'elle suit cette thérapie, Karine a effectivement réalisé de gros progrès puisqu'elle ne cède plus que très rarement à ses pulsions, "malgré les événements difficiles" qui surviennent dans sa vie. Camille, elle, s'est tournée vers les médecines alternatives comme l'hypnose et la psycho-énergie après un essai infructueux de thérapie. "Ma guérison est vraiment passée par un travail complet sur mon image et l’estime de moi", soutient-elle.

Marielle, elle, tente pour l'heure de se débarrasser seule de ce TOC. "Le plus important pour moi a vraiment été de savoir que je n’étais pas seule et que je n’avais pas à avoir honte de ça", nous dit-elle. "Aujourd’hui, je n’ai plus honte de dire aux gens que ce que j’ai sur le corps n’est pas un problème de peau mais un trouble obsessionnel compulsif." 

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Pour aider d'autres personnes  et partager les connaissances qu'elle a acquises après quinze ans de recherches sur le sujet, Camille a ouvert un compte Instagram sur le sujet, appelé peau.ssible et s'est lancée dans l'écriture d'un livre qu'elle espère voir publié dans les mois à venir. Alexandra Lecart travaille elle aussi sur un ouvrage, à paraître prochainement et qui, elle l'espère, permettra de mieux faire connaître ce trouble dont il ne faut pas avoir honte de parler. 


Charlotte ANGLADE

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