Bébés nés sans main ou sans bras : avant de perdre son poste, la lanceuse l’alerte veut fédérer les victimes présumées

Publié le 19 octobre 2018 à 18h10, mis à jour le 31 octobre 2018 à 18h27
Bébés nés sans main ou sans bras : avant de perdre son poste, la lanceuse l’alerte veut fédérer les victimes présumées

SCANDALE SANITAIRE ? - L’épidémiologiste Emmanuelle Amar, à l’origine de la détection d’un taux anormalement élevé de malformations dans l’Ain, appelle d'urgence les familles présumées victimes, à se rassembler. Celle qui avait déjà mis au jour l'affaire de la Dépakine, risque, aujourd'hui d'être licenciée pour motif économique. Elle sera auditionnée mardi prochain à l'Assemblée.

C’est l’un de ses objectifs avant que la structure qu’elle dirige ne disparaisse possiblement, faute de nouvelles subventions avant le 31 décembre prochain. Emmanuelle Amar, épidémiologiste et directrice générale du Registre des Malformations en Rhône-Alpes (Remera), est convaincue de la nécessité de faire se rencontrer les mères qui ont donné naissance à des bébés sans main ou sans bras ces dernières années, dans l’Ain notamment. Alors que l'organisme Santé Publique France a annoncé il y a quelques jours mettre un terme à ses investigations dans le département, et que la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, ne s’est pas encore exprimé officiellement sur ce sujet, la chercheuse estime "qu’on est arrivé au bout d’un processus en ce qui concerne le dévoilement de l’affaire et des parties prenantes." 

Pour la chercheuse, une rencontre entre les familles des sept enfants nés entre 2009 et 2014 avec une anomalie des membres supérieurs, est l’une des solutions pour faire la lumière sur cette mystérieuse concentration d'"agénésie" comme on l'appelle dans le langage médical. "C’est comme ça que ça s’est toujours passé dans l’histoire des produits qui ont généré des malformations", explique Emmanuelle Amar qui espère ainsi peut-être "identifier un facteur commun."

"On ne peut pas cacher ce que l’on ne sait pas"

Et c’est dire si l’épidémiologiste sait de quoi elle parle. Celle qui se décrit comme "l’héritière de la Dépakine", est en effet à la tête d’une structure qui a eu l’occasion de faire ses preuves. Basée à Lyon et fondée en 1973 après le scandale du thalidomide (un anti-nauséeux qui avait fait naître des milliers d'enfants sans bras entre 1957 et 1962), l'association a notamment révélé les conséquences possibles de la prise de l'antiépileptique Dépakine pendant la grossesse. Le principal des six registres de malformations congénitales de France a également aidé à montrer le lien entre incinérateurs et malformations rénales.

"C’est essentiel de faire se rencontrer les familles parce que, par définition, on ne peut pas cacher ce que l’on ne sait pas", insiste Emmanuelle Amar, ajoutant que "quand on n’a pas d’a priori, quand on a fermé toutes les portes, on est dans le désert". Et de revenir sur l’exemple de la thalidomide : "on ne pouvait pas penser à ce médiatement puisqu’on ignorait qu’il était tératogène (ndlr : à l’origine du développement de cellules anormales au cours de la croissance fœtale) mais lorsque les mères se sont rencontrées l’une a dit ‘moi j’ai eu des nausées et j’ai pris quelque chose de très bien’ et une autre a dit  ‘moi aussi’ et c’est ainsi qu’a été identifié le point commun."

Ce sont également ces discussions informelles entre femmes qui ont permis à Remera d’ identifier des cas en surnombre de spina-bifida, une anomalie de la colonne vertébrale, chez les nouveaux-nés de mères auxquelles était prescrit le valproate de sodium (Dépakine). Grâce aux données du registre, la généticienne Élisabeth Robert Gnansia, avait pu publier en 1982 la première étude sur le sujet dans The Lancet,  confirmant ainsi le lien entre cette malformation à la naissance et l’exposition au valproate de sodium.

Des mères "prêtes" et "d'accord" pour se rencontrer

"Plusieurs mamans m’ont dit qu’elles étaient prêtes et d’accord pour se rencontrer" assure Emmanuelle Amar, soulignant d’emblée la difficulté de la tâche. "C’est très délicat d’autant que Santé Publique France s’y opposait jusqu'à présent, à moins que nos conclusions ne soient similaires aux leurs", assure-t-elle. Pour rappel, Santé publique France a conclu début octobre que le nombre de cas de l'Ain n'était pas statistiquement supérieur à la moyenne nationale, alors que Remera présente, elle, un taux d'agénésie 58 fois supérieur à la normale sur la dite période.  

A l'inverse, il y a bien, selon l'agence sanitaire, un excès de cas en Loire-Atlantique et en Bretagne où deux autres groupes de cas ont été observés, à savoir respectivement trois entre 2007 et 2008 et quatre entre 2011 et 2013. Mais eux aussi restent sans explication : l'enquête n'a identifié aucune cause, y compris environnementale. Bien qu'aucune preuve scientifique ne l'étaye, des élus écologistes comme Michèle Rivasi ou Yannick Jadot, pensent que des pesticides pourraient être à l'origine des malformations. D'où l’intérêt et l'urgence pour Emmanuelle Amar, de cette rencontre entre familles "une fois la pérennité de Remera assurée, et son honneur  défendu". Malgré l’utilité reconnue de ses travaux, le Régistre s'inquiète en effet pour son avenir, deux de ses principaux financiers, la région Auvergne-Rhône-Alpes et l'Inserm, ayant stoppé leurs financements, l'association pourrait mettre la clé sous la porte avant la fin de l'année. Emmanuelle Amar, elle, est menacée de licenciement.  

Une lanceuse d'alerte qui fait polémique

Emmanuelle Amar sera auditionnée mardi à l'Assemblée nationale. Son action , saluée par les uns, est contestée par d'autres. "Mme Amar n'est pas une lanceuse d'alerte", a répliqué en effet l'épidémiologiste  Ségolène Aymé dans un communiqué transmis à l'AFP vendredi. Dans ce texte très virulent, cette directrice de recherche émérite à  l'Inserm fustige les "mensonges" et "l'attitude irresponsable" de Mme Amar.   "Mme Amar fait en sorte de jeter la suspicion sur tout et tous, dans la  plus grande tradition complotiste", dénonce Ségolène Aymé, qui fait autorité  dans son domaine puisqu'elle préside le comité chargé d'évaluer les registres,  dont le Remera.

Des  "attaques calomnieuses", répond l'intéressée dans un entretien avec l'AFP.  "Si j'étais une manipulatrice de  médias, on n'en serait pas arrivé à la fin du Remera".  


Audrey LE GUELLEC

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