VIDÉO - "Pseudocide" : l'art de feindre sa propre mort pour renaître ailleurs

Publié le 6 novembre 2018 à 15h59, mis à jour le 14 juin 2023 à 12h53

Source : Sujet JT LCI

Le "pseudocide" consiste à simuler sa propre mort pour reconstruire une nouvelle vie ailleurs.
Un phénomène de "disparition de soi" dans nos sociétés ultra-connectées, qui pose une question à l’ère du grand-tout numérique : peut-on réellement se volatiliser dans la nature sans laisser la moindre trace matérielle ?

Il existe des hommes et des femmes en apparence accordés avec la société, les autres, la vie, le monde... qui, du jour au lendemain, décident de tout plaquer et ce de la manière la plus radicale au monde : en se faisant passer pour "morts" jusqu'à laisser ostensiblement des traces et des preuves de faux décès à l’intention de leurs proches, de la police… On se croirait dans l'écheveau manipulateur d'un film noir ? Bienvenue dans notre monde réel. 

Aux Etats-Unis, un terme anglais existe pour qualifier ce besoin absolu de disparaître au monde : le "pseudocide", soit l’art d’organiser sa fausse disparition en se faisant passer pour mort, dont la manifestation la plus démente pourrait bien se révéler le spectaculaire cas du journaliste russe Arkady Babtchenko ayant mis en scène son assassinat pour déjouer une vraie tentative de meurtre contre lui. 

Seulement, est-ce réellement possible de disparaître comme dans un film - au hasard, A History of Violence (David Cronenberg, 2005) où l'ancien truand Viggo Mortensen changeait de vie en se faisant passer pour mort et s'achetait une nouvelle vie de bon père de famille ? Ou encore Romain Duris dans l'adaptation cinématographique du roman de Douglas Kennedy, "L'homme qui voulait vivre sa vie", qui, après avoir tué par accident un homme, décidait de simuler sa propre mort et de recommencer sa vie dans un autre pays, en s'adonnant cette fois à sa passion, la photographie ?

Rompre avec toutes les contraintes de l’identité

Ce qui interroge dans les cas de "pseudocide", c'est tout d'abord ce désir de tout brûler, de disparaître pour de bon. Comment peut-il s'expliquer, humainement ? Selon le sociologue David Le Breton, auteur de "Disparaître de soi, une tentation contemporaine" (Editions Métailié, 2015), s'exprime chez les adeptes du "pseudocide" le "sentiment d’une saturation dans leur existence et une volonté de rompre avec toutes les contraintes de l’identité propres à une existence sociale, familiale, professionnelle. Soit un sentiment de trop-plein, de burn-out, au regard d’une identité précise imposant des devoirs et des responsabilités". En d'autres termes, disparaître pour de bon, c’est une manière de "prendre la clef des champs", de "s'effacer socialement", d’éliminer une identité comme son état civil pour en refaire une autre, dans un pays qui ne sera pas trop regardant sur les papiers d’état civil. 

De quoi expliquer du coup les fameux "évaporés du Japon" (chaque année, quelque 100.000 Japonais s’évaporent volontairement sans laisser de traces) ou encore toutes ces disparitions inexpliquées dans l'Hexagone (40.000 disparus par an en France, selon le ministère de l'Intérieur) ? 

Quand on en a ras le bol de son existence et qu’on veut tourner la page de façon définitive, c’est une parfaite quête de renaissance.
David Le Breton, anthropologue et sociologue

Un article paru sur Gizmodo intitulé "The psychology of faking your own death" tente de comprendre les raisons d’une telle fuite en avant sans retour : en tête des motivations, un conjoint violent où des dettes. Selon l’essayiste américaine Elizabeth Greenwood, auteur du livre "Playing Dead: A Journey Through The World Of Death Fraud", ceux qui simulent leur mort sont "des hommes et des femmes acculés par une ou des action/s délétère/s et ayant, en disparaissant, le sentiment de sauver leur vie". D'autres disparaissent sans explication "pour provoquer le deuil des proches", constate David Le Breton. "Au gré de mon enquête au moment d’écrire Pour disparaître de soi, je notais une immense détresse des familles face à la disparition d’un mari, d’une épouse, d’un enfant sans jamais avoir aucune nouvelle, en se demandant jusqu’à la fin des temps si la personne disparue est toujours vivante. Au moins, en simulant sa mort, aucun doute n'est possible." Et le deuil, pour les proches, aussi.

Mais comment s'organise cette simulation de mort ? "Ceux qui veulent simuler s'organisent bien en amont avec des papiers d’identité déjà faits (ou de faux papiers procurés par un détective privé), élisent un pays d’accueil plus ou moins loin, nous détaille le le sociologue. Et il faut aussi que la police accrédite la thèse de la mort volontaire, il faut penser une mise en scène avec un faux cadavre. Certains vont même jusqu'à la chirurgie esthétique ou à altérer leurs empreintes digitales pour tromper les systèmes biométriques."

Est-ce vraiment possible dans une société ultra-connectée ?

Disparaître dans la vie réelle ok, mais n'est-ce pas plus compliqué au fond de disparaître de nos jours dans notre monde virtuel ultra-connecté, à une heure où Google connait en temps réel où se trouve le détenteur d'un smartphone et peut même anticiper ses pensées intimes ? Mission quasi-impossible, aux portes du Big data, de l'intelligence artificielle et des objets connectés, et ce même en faisant appel à des "effaceurs" professionnels et autres "nettoyeurs du web" spécialisés en "e-réputation". D'autant que "les traces numériques ne partent pas facilement, voire pas du tout", nous confirme l'écrivain Paul Vacca. Pour disparaître, il ne suffit pas de supprimer ses données numériques dans l'historique d'un simple clic mais bien de se débarrasser de son portable, de son ordinateur et de ses comptes sur les réseaux sociaux qui seront légués à la famille." La meilleure des solutions reste donc de se faire également passer pour mort virtuellement, en écho à sa mort dans le monde réel, en fuyant le moindre moteur de recherche. 

Personne ne vient chercher ceux qui veulent disparaître dans les sociétés lointaines, a fortiori qu’ils ne commettent pas d’entorse à la loi
David Le Breton, anthropologue et sociologue

Aussi, au milieu de toutes ces envies de disparaître, une question nous tarabuste : est-ce que cette "quête de renaissance" a fait ses preuves ? Pour le sociologue David Le Breton, "les gens intelligents qui veulent disparaître ne commettront jamais d'erreur" : "sans argent, cette quête est certes difficile à mettre en oeuvre mais ceux qui veulent fuir préméditent l'acte longtemps à l'avance pendant des mois voire des années. En fait, personne ne vient chercher ceux qui veulent disparaître dans les sociétés lointaines, a fortiori s’ils ne commettent pas d’entorse à la loi".

Dans son livre, Elizabeth Greenwood donne de son côté plusieurs exemples de "pseudocides" comme celui, très raté, de Steven Chin Leung qui, après le 11-Septembre, avait tenté de profiter de la catastrophe pour se faire passer pour mort, prenant l’identité de deux frères différents afin d'obtenir son propre certificat de décès et commencer une nouvelle vie. Un échec : l'homme avait rapidement été démasqué. 

Autre cas insolite, celui de la star de Grease Olivia Newton-John qui avait vécu une idylle avec Patrick McDermott, considéré comme mort après sa disparition en mer lors d'une partie de pêche en 2005 et...finalement"repêché" par des enquêteurs plusieurs années plus tard, grâce à un site internet qu'il fréquentait (!).

Bref, ceux qui veulent mourir pour de faux doivent bien réfléchir avant de passer à l'acte. Afin de ne pas finir leur vie... morts de honte.  


Romain LE VERN

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