CHRONIQUE - Avec le confinement, le masque est devenu un support projectif de biens des enjeux : sociaux, politiques, économiques, médicaux. Au-delà de ces dimensions qui sont toutes importantes, quelles sont ses implications au niveau psychique ? L'éclairage de Hélène Romano, psychothérapeute.
Le masque est un support temporaire plaqué sur le visage de façon plus ou moins complète, ce qui le transforme inévitablement et qui modifie totalement notre rapport à l’autre. Pour rappel, la communication passe en effet aussi et surtout par le comportement.
Autrement dit, nous nous ajustons à l’autre pour repérer comment il va, ce qu’il ressent, ce qu’il perçoit de nous et avec le masque "confinement", la moitié du visage se trouve cachée. Il y a donc un bouleversement dans l’intersubjectivité, c’est-à-dire dans notre mode de relation à l’autre puisque désormais seul le regard permet de traduire les ressentis.
Le masque est présent depuis tout temps et dans toute culture. Dans l’inconscient collectif, il a des fonctions innombrables. Il est l'objet qui permet de changer d’identité et de se rendre méconnaissable pour le meilleur (masque de carnaval, déguisement, support pour exprimer des émotions, objet de cérémonie religieuse ou du culte des ancêtres, masques initiatiques, support pour guérir, masque de guerre pour se protéger de l’ennemi ou de héros comme Zorro) comme pour le pire (agression, cambriolage). Il est notamment censé donner la force de celui qu’il représente.
Dans de nombreuses cultures, existe aussi le masque mortuaire (en argile, or, argent...), apposé sur le visage d’un défunt et conçu pour protéger les morts des démons qui voudraient les dévorer. Culturellement, le masque a également longtemps été utilisé pour épouvanter et chasser les mauvais esprits, en particulier en Europe lors d’épidémies. Cette représentation du "masque-épouvantail" se retrouve dans la mythologie, par exemple avec le mythe de la Gorgone qui décrit l’usage par des dieux du masque pour terroriser leurs adversaires.
Plus globalement, le masque désubjectivise les individus par la dissimulation qu’il impose et la métamorphose de l’apparence de chacun. Il interdit à la vue, il fait obstacle à la relation directe avec l’autre avec cette double fonction du fait qu’il est placé entre soi et le monde extérieur : il déguise, cache, protège, illusionne, transforme tout autant qu’il révèle, protège, libère. Il cache autant qu’il montre. Il est collé à soi, tourné vers l’intérieur de celui qui le porte tout autant qu’il projette des émotions à l’égard du monde extérieur.
Le Covid-19 vient changer la signification symbolique du masque et le réduit à son aspect matériel, hygiéniste, loin de ses dimensions ethnologique, culturelle, sacrée et ésotérique. Et notre société française avec ses racines latines n’est pas du tout habituée à utiliser le masque (chirurgical), contrairement aux populations asiatiques qui ont pour habitude d’en faire usage depuis bien longtemps pour se protéger de la pollution et des microbes de toutes sortes.
Si le masque devient obligatoire, nous allons devoir modifier notre rapport à cet objet pour l’investir comme support de protection et apprendre d’autres modes relationnels pour ne pas vivre (et faire vivre nos enfants) avec cette notion d'un monde extérieur hostile. La vie n’est pas sans souffrance, c’est une évidence. Mais elle est aussi porteuse de moments de bonheur, de joie et d'espoir.
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